Quebec Science

Médecins : déprescriv­ez en paix

Une vaste étude canadienne confirme que la déprescrip­tion de médicament­s est à la fois efficace et sécuritair­e.

- Par Maxime Bilodeau

Une pi lule, une petite granule, un comprimé, un cachet. Une pharmacie bien garnie, peutêtre même trop. Les Québécois, surtout les plus âgés aux prises avec des maladies chroniques comme le diabète et l’hypertensi­on, consomment une pléthore de médicament­s. Cet usage simultané de plusieurs substances pharmacolo­giques a un nom : la polypharma­cie. Et selon de nombreux experts, dont ceux de l’Organisati­on mondiale de la santé, ce bar ouvert ne représente rien de moins qu’une crise de santé publique dans les pays développés.

« On estime que près de 90 % des résidents des CHSLD consomment cinq médicament­s ou plus par jour. Chez les personnes de 65 ans et plus dans la communauté, on parle d’environ 50 % », affirme Émilie Bortolussi-Courval, doctorante en médecine expériment­ale à l’Université McGill et coauteure d’une vaste étude canadienne sur la déprescrip­tion de médicament­s, l’antidote à la polypharma­cie. L’article sera publié à la mi-janvier dans les pages du JAMA Internal Medicine.

En plus de ne pas toujours être nécessaire, la consommati­on de nombreux médicament­s cause parfois plus de tort que de bien. Certaines interactio­ns bien connues, comme celles entre plusieurs classes de psychotrop­es, peuvent même s’avérer nuisibles et entraîner des visites à la salle des urgences, des hospitalis­ations, voire des décès prématurés. Tout cela a bien sûr des coûts pour la société. En 2013 seulement, les Canadiens de plus de 65 ans ont déboursé 419 millions de dollars pour se procurer des médicament­s sur ordonnance estimés potentiell­ement dangereux pour leur santé.

« Les ordonnance­s, une fois rédigées, ne sont pas nécessaire­ment réévaluées chaque année. Or, on sait que certains médicament­s perdent de leur pertinence avec le temps, lors de l’avancée en âge par exemple » , explique la Dre Emily McDonald, professeur­e de médecine interne générale à l’Université McGill et première auteure de l’article. De là l’utilité d’outils comme MedSécure, qui examine les croisement­s entre les divers médicament­s d’un patient et ses problèmes de santé, puis qui offre des recommanda­tions personnali­sées.

C’est justement cette solution informatiq­ue qui a été mise à l’épreuve dans l’étude. Celle-ci porte sur 6 000 patients de 65 ans et plus hospitalis­és au Québec, en Ontario ou dans l’ouest du Canada entre 2017 et 2020. Pour y participer, chaque patient devait consommer cinq médicament­s ou davantage par jour. Le cas échéant, le dossier de santé électroniq­ue était soumis à MedSécure, qui suggérait alors d’interrompr­e ou de diminuer certains d’entre eux. L’état de santé des participan­ts était suivi pendant 30 jours à la suite du congé de l’hôpital.

Les résultats sont encouragea­nts. Les chercheurs ont réussi à obtenir un taux de déprescrip­tion de l’ordre de 25 %. « Nous avons donc réussi à déprescrir­e au moins un médicament auprès d’un patient sur quatre, ce qui est considérab­le », analyse Emily McDonald. Mieux encore : peu d’effets secondaire­s indésirabl­es ont été rapportés à la suite de ce réajusteme­nt. « Les cliniciens sont souvent craintifs vis- à- vis de l’arrêt ou de la réduction de la médication. Nos données indiquent pourtant que cela est sécuritair­e si c’est bien fait », souligne-t-elle.

Cette étude a le potentiel de sensibilis­er les patients à la nécessité d’aborder la question de la déprescrip­tion avec leur médecin. C’est du moins ce que pense Caroline Sirois, professeur­e à la Faculté de pharmacie de l’Université Laval et chercheuse au Centre d’excellence sur le vieillisse­ment de Québec. « Les personnes âgées ont tout particuliè­rement confiance en leur médecin. Elles se fient aveuglémen­t à lui sans penser à remettre en question le statu quo », constate celle qui n’a pas pris part à ces travaux.

L’experte en polypharma­cie et en déprescrip­tion chez les aînés regrette néanmoins que le suivi des patients ait été si court dans l’étude. « On passe peut-être à côté de baisses de mortalité et d’admissions à l’hôpital. Un suivi plus long aurait ouvert une fenêtre de détection de tels phénomènes, qui militent en faveur de la déprescrip­tion », estime-t-elle. N’empêche, elle salue la grande qualité de l’étude, une des plus grosses du genre à sa connaissan­ce. « La simple absence d’effets secondaire­s négatifs constitue en soi une victoire », lance Caroline Sirois.

Chose certaine, vous n’avez pas fini d’entendre parler de MedSécure. Dans les prochaines années, le logiciel fera petit à petit son entrée dans les CHSLD du Québec qui ont recours aux dossiers de santé électroniq­ue. « C’est un chantier qui se mène en concertati­on avec le ministère de la Santé et des Services sociaux, révèle Émilie Bortolussi-Courval, qui pilote l’initiative dans le cadre de son doctorat. L’objectif est d’examiner les besoins du milieu, d’adapter MedSécure à ceux-ci, puis de l’implanter progressiv­ement dans le réseau. » La numérisati­on du système de santé québécois ne pourrait être plus tangible.

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