SUR LA BALANCE
Pour percer le secret des neutrinos, il faudrait déjà savoir combien ils « pèsent » exactement. Pour l’instant, les scientifiques en ont juste une vague idée, mais une expérience en cours en Allemagne, nommée KATRIN, tente de préciser la chose. C’est un gros défi : l’installation, qui fait 200 t et 70 m de long, permet de scruter de près la désintégration d’un atome radioactif, la désintégration « bêta », qui donne lieu à l’émission d’un électron et d’un antineutrino. On utilise pour cela une forme radioactive de l’hydrogène, le tritium, et l’on mesure l’énergie des électrons éjectés pour en déduire celle des neutrinos (masse et énergie sont liées, rappelez-vous la fameuse équation E = mc2). « C’est une expérience vraiment difficile, mais la sensibilité de l’appareil va augmenter peu à peu. Le fait de connaître la masse va nous aider à privilégier certains modèles afin d’expliquer l’origine de cette masse », dit Roxanne Guénette, qui ne travaille pas sur le projet. Pour l’instant, l’expérience a permis de fixer une limite supérieure que les neutrinos ne peuvent dépasser. « La première prise de données en 2019 a abouti à une limite de 1,1 électronvolt [l’unité de mesure d’énergie utilisée]. Nous venons de préciser la limite à 0,8 électronvolt », explique Thierry Lasserre, physicien au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives en France et membre du groupe KATRIN.
Il précise qu’on obtiendra en fait une sorte de moyenne des trois masses des neutrinos. Ce qui ne résoudra pas le casse-tête de l’« ordre des masses ». En effet, s’il y a trois saveurs de neutrinos, il y a aussi trois masses, nommées m1, m2 et m3. Mais à une saveur donnée ne correspond pas une masse précise. Comme les neutrinos évoluent dans un monde quantique, ils sont, à un instant t, une superposition des trois saveurs et donc une combinaison des trois états de masse. L’étude des oscillations a permis d’établir que m1 est inférieure à m2. Ce qu’on ne sait pas, c’est si m3 est plus petite que les deux autres valeurs ou plus grande. Et, croyez-le ou non, c’est tout de même une question importante, qui a des conséquences sur l’harmonie du « tableau » global sur lequel les théoriciens travaillent. « La masse des quarks respecte un certain ordre ; si la hiérarchie des masses des neutrinos est inversée, ce sera surprenant », indique Roxanne Guénette. L’expérience DUNE devrait aider à déterminer cette hiérarchie.