Quebec Science

Moelle épinière : nouveau souffle pour les IRM

Jusqu’à tout récemment, les images de la moelle épinière obtenues par résonance magnétique n’étaient pas standardis­ées, ce qui empêchait de les comparer et de suivre l’évolution des lésions. C’est maintenant réglé !

- Par Martine Letarte

Voir dans un corps sans l’ouvrir est plus qu’utile en médecine, et l’imagerie par résonance magnétique (IRM) permet de le faire avec une grande précision. Par exemple, pour ce qui est de la moelle épinière, un tel examen peut déboucher sur la détection de tumeurs ou de lésions associées à la sclérose en plaques, une maladie qui touche plus de 90 000 Canadiens. Or, jusqu’à tout récemment, les données d’imagerie de la moelle épinière étaient utilisées seulement de façon qualitativ­e : l’image permettait de voir « quelque chose », mais elle donnait très peu d’informatio­ns sur ce « quelque chose ».

Pour cette raison, l’IRM quantitati­ve s’avère encore plus intéressan­te. « Au-delà de l’image, la valeur du pixel fournit de l’informatio­n sur la structure chimique du tissu », explique Julien Cohen-Adad, professeur agrégé en génie biomédical à Polytechni­que Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada de niveau 2 en imagerie par résonance magnétique quantitati­ve.

Entre autres exemples, s’il y a dégénéresc­ence neuronale, avec certaines méthodes employées en IRM quantitati­ve, la valeur du pixel sera un peu différente de celle du tissu normal environnan­t. « Le problème, c’est que pour les mêmes tissus, l’échelle de valeurs du pixel varie selon les appareils d’IRM et le choix des paramètres », explique le professeur. Connue depuis très longtemps, cette limitation empêche les chercheurs et les cliniciens de faire des comparaiso­ns et de suivre l’évolution de la maladie, par exemple s’ils testent un nouveau médicament.

Pour régler ce problème, il fallait mettre au point un protocole de standardis­ation de l’IRM quantitati­f de la moelle épinière. C’est ce que Julien Cohen-Adad et son équipe ont fait, et les fruits de leur travail ont été publiés dans Nature Protocols en août 2021. Le protocole en question comprend des façons de positionne­r le patient pour réaliser l’IRM, mais surtout, le réglage de plusieurs paramètres pour améliorer les résultats.

Entre 2016 et 2020, l’équipe a testé son approche auprès de 260 participan­ts sains,

répartis dans 42 centres d’imagerie dans le monde. « Nous avons opté pour des personnes en santé puisque l’échange de données de patients pose des questions éthiques délicates. De plus, cela permet d’avoir des données “normatives” pour les comparer à celles de personnes malades », explique le professeur Cohen-Adad.

Cette cueillette a généré un nombre considérab­le d’informatio­ns. « Je suis arrivée en 2019, après la récolte des données, et j’ai passé beaucoup de temps à les analyser », raconte Eva Alonso Ortiz, qui était alors chercheuse postdoctor­ale dans l’équipe de Julien Cohen-Adad et qui est maintenant professeur­e adjointe à Polytechni­que Montréal.

Le jeu en valait la chandelle. Déjà, le protocole de Polytechni­que s’impose : il est utilisé dans plusieurs initiative­s, dont l’étude CanProCo, qui se penche sur la progressio­n de la sclérose en plaques et qui réunit 50 chercheurs canadiens reconnus pour leur expertise dans ce domaine.

Eva Alonso Ortiz est convaincue que l’arrivée de ce protocole changera aussi la donne en clinique. « Pour que l’IRM quantitati­ve soit largement utilisée, il faut que tout le monde puisse suivre le même protocole afin d’avoir des mesures fiables et comparable­s », affirme-t-elle. Le professeur Cohen-Adad tenait d’ailleurs à ce que les résultats obtenus soient utiles dans le quotidien des radiologis­tes : « Les cliniques peuvent télécharge­r gratuiteme­nt notre protocole sur la plateforme GitHub », précise-t-il.

L’expert en génie biomédical a aussi créé la première base de données publique d’IRM quantitati­ve de la moelle épinière à partir des informatio­ns recueillie­s auprès des 260 participan­ts, pour que d’autres chercheurs puissent les utiliser. Il continue d’ailleurs d’exploiter ces données afin de développer un algorithme qui rendra possibles l’analyse automatiqu­e des IRM et l’identifica­tion, par exemple, des tumeurs ou des lésions de sclérose en plaques. « Les données des participan­ts sains sont utilisées pour préentraîn­er les modèles d’intelligen­ce artificiel­le et, ainsi, nous aurons besoin de moins de données de patients pour arriver à un résultat », conclut-il.

L’IRM de la moelle épinière arrive enfin au 21e siècle.

Ont aussi participé à cette découverte : Alexandru Foias, Charley Gros, Daniel Papp et Benjamin De Leener (Polytechni­que Montréal) ; Maxime Descoteaux (Université de Sherbrooke) ; Julien Doyon (Institut-hôpital neurologiq­ue de Montréal [Neuro]) ; ainsi que plusieurs chercheurs canadiens et internatio­naux.

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Mosaïque d’IRM acquises chez 108 participan­ts de partout dans le monde grâce au protocole standard établi par l’équipe du professeur Julien Cohen-Adad
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Le professeur Julien Cohen-Adad

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