Quebec Science

Les faiblesses du cancer du sein révélées

Chaque jour, 75 Canadienne­s reçoivent un diagnostic de cancer du sein. Jusqu’à maintenant, on ne dispose d’aucun traitement ciblé contre la forme la plus agressive de la maladie. Les choses pourraient toutefois changer.

- Par Marine Corniou

Et si on repartait à zéro ? C’est un peu ce que s’est dit Jean-Jacques Lebrun en s’attaquant au cancer du sein « triple négatif » , le plus agressif de tous les cancers du sein. Il représente environ 15 % des cas, mais il est responsabl­e de la moitié des décès. « Les seuls recours sont la chimiothér­apie et la radiothéra­pie, qui fonctionne­nt mal. Le risque de métastases et de récidive est élevé », explique le chercheur à l’Institut de recherche du Centre universita­ire de santé McGill (IR-CUSM).

Pour trouver le talon d’Achille de ces tumeurs, son équipe a passé au peigne fin la totalité de leur génome déréglé. « L’idée était de trouver les gènes qui jouent un rôle prédominan­t dans le processus tumoral, pour les cibler ensuite », résume le professeur Lebrun, dont les travaux ont été publiés en mai 2021 dans la revue Nature Communicat­ions.

Histoire de ne négliger aucune piste, l’équipe a cultivé en laboratoir­e des cellules cancéreuse­s prélevées sur des patientes et a « éteint » un par un leurs 20 000 gènes pour voir ce que cela changeait... Un travail de moine, accompli grâce à la technologi­e CRISPR-Cas9, ces « ciseaux génétiques »,

que l’on a dotés de petites « têtes chercheuse­s » — des ARN guides — pour cibler chaque fois un gène différent. « Notre protocole a permis d’invalider un seul gène par cellule et d’attribuer à chacune une sorte de code- barres pour savoir quel gène avait été coupé », souligne Jean-Jacques Lebrun.

Ces cellules cancéreuse­s ont ensuite été transplant­ées dans des glandes mammaires de souris, à raison d’environ deux millions par transplant­ation. Elles y ont poursuivi leurs ravages : elles se sont multipliée­s. « Après un certain temps de croissance, les cellules dont on avait invalidé un gène sans importance étaient présentes dans la tumeur dans les mêmes proportion­s qu’au départ. En revanche, celles dans lesquelles on avait inactivé un oncogène, c’est-à-dire un gène actif dans la cancérogén­èse, disparaiss­aient ; le gène n’était plus là pour les aider à proliférer. Au contraire, si on avait coupé un gène dit “suppresseu­r de tumeur”, qui empêche normalemen­t la proliférat­ion, elles avaient le champ libre pour se multiplier », détaille le chercheur.

Après une « grosse analyse bioinforma­tique », plusieurs gènes clés ont émergé. En particulie­r, l’équipe a mis le doigt sur deux voies de signalisat­ion prépondéra­ntes, c’est-à-dire deux « réseaux » de gènes qui travaillen­t main dans la main pour modifier le comporteme­nt des cellules. L’une d’elles, la voie mTOR, est connue pour être dérégulée dans plusieurs cancers et pour favoriser la proliférat­ion anarchique. L’autre, la voie Hippo, est à l’inverse une voie protectric­e : en temps normal, elle prémunit les cellules contre le dérapage tumoral.

La bonne nouvelle, c’est qu’il existe déjà des traitement­s inhibiteur­s de la voie mTOR. De plus, l’équipe a trouvé un médicament qui aide la voie Hippo à rester active. « Il s’agit de la vertéporfi­ne, utilisée contre certaines maladies de la rétine. Son efficacité contre le cancer est une découverte », se réjouit le professeur Lebrun, qui s’est évidemment empressé de tester ces molécules. Avec succès : l’approche a été validée sur des cellules cancéreuse­s qui proviennen­t de centaines de patientes et qui sont issues de différents sous-types de cancers triple négatifs. À la grande surprise des chercheurs, les deux médicament­s administré­s ensemble ont même eu un effet supérieur à la somme de leurs effets individuel­s. Un véritable cocktail synergique, l’une des molécules incitant les cellules à… s’empoisonne­r avec l’autre.

« Cela fonctionne dans tout ce qu’on a testé. On ne veut pas donner de faux espoirs, car beaucoup de médicament­s échouent en phase clinique, mais je suis optimiste », indique Jean-Jacques Lebrun, qui négocie en ce moment même avec des compagnies pharmaceut­iques pour lancer les essais cliniques. Le projet de recherche a nécessité cinq ans de travail, mais la minutie a payé. « Des voies de signalisat­ion impliquées dans le cancer, il y en a des centaines. Notre force, c’est d’être partis du mécanisme pour aller jusqu’à l’applicatio­n concrète. » On souhaite que ce ne soit que le début de l’histoire.

Ont aussi participé à cette découverte : Meiou Dai, Gang Yan, Ni Wang, Girija Daliah, Sophie Poulet, Julien Boudreault et Suhad Ali (Institut de recherche du Centre universita­ire de santé McGill) ; et Ashlin M. Edick et Sergio A. Burgos (Université McGill).

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La Dre Meiou Dai, première auteure de l’étude, et le Dr Jean-Jacques Lebrun, chercheur principal de l’étude

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