Le pouvoir des saules
Des plantations de saules à croissance rapide pourraient jouer un triple rôle : en plus de filtrer des eaux usées, ces arbres fourniraient de la biomasse en grande quantité de même que des molécules d’intérêt.
Les saules sont reconnus pour leurs capacités filtrantes : leurs racines peuvent capter de nombreux polluants dans l’eau du sol et les utiliser comme nutriments. Et si on se servait de ces arbres comme solution verte pour traiter les eaux usées ? Mieux encore : si on trouvait des arguments pour susciter un engouement commercial envers cette méthode ? C’est ce qu’a fait, avec toute une équipe, Eszter Sas, étudiante au doctorat sous la direction de Frédéric Pitre, professeur au Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal et membre de l’Institut de recherche en biologie végétale (IRBV).
L’expérience a été menée dans une plantation de saules à croissance rapide située à proximité de la station de traitement des eaux de Saint-Roch-de-l’Achigan, dans Lanaudière. Pour réaliser l’étude, l’usine a appliqué uniquement un traitement primaire aux eaux usées, ce qui signifie qu’elle n’a éliminé qu’une partie des solides en suspension et des matières organiques, avant de rejeter dans la nature une eau encore chargée de contaminants.
Pendant la saison de croissance, soit de mai à octobre, des parcelles de la plantation ont été arrosées avec ces eaux incomplètement traitées. Au moyen de 16 000 saules par hectare (0,01 km2), soit une densité près de 10 fois plus élevée que celle d’une forêt traditionnelle, l’équipe de chercheurs a constaté que le traitement des eaux usées peut se poursuivre à la sortie de l’usine. Elle estime qu’une telle plantation de saules permettrait de traiter chaque année plus de 20 millions de litres d’eaux usées par hectare. Une option « verte » séduisante alors qu’environ 35 % des eaux usées municipales au Québec sont insuffisamment traitées avant leur rejet.
À cette première bonne nouvelle s’ajoute une seconde : les saules irrigués par les eaux usées produisent de la biomasse en grande quantité. « Les saules à croissance rapide sont gourmands ; ils captent énormément d’éléments nutritifs — notamment l’azote, qu’on trouve en abondance dans les eaux usées et qui agit comme fertilisant —, alors ils gagnent rapidement en biomasse », explique Frédéric Pitre.
La biomasse est récoltée après un cycle de croissance d’environ trois ans. On coupe alors les arbres à la base, et ils repoussent pour entreprendre une deuxième vie de filtration. Cette biomasse peut ensuite être utilisée pour fabriquer des biocarburants de deuxième génération, qui sont une solution de rechange aux combustibles fossiles, mais aussi aux céréales de la filière alimentaire (dont une partie de la production est accaparée à des fins énergétiques).
Mais ce n’est pas tout ! Les scientifiques ont aussi trouvé différentes molécules dans ces saules filtreurs. « Elles sont produites par l’arbre en réponse à l’environnement difficile dans lequel il pousse », souligne Eszter Sas. Parmi ces molécules, certaines sont connues, comme l’acide salicylique, qui est utilisé pour fabriquer l’aspirine. D’autres,
comme des flavonoïdes et des lignanes, pourraient avoir des effets antioxydants, anticancéreux ou antiinflammatoires.
Enfin, l’étude de ces saules a dévoilé des molécules totalement inconnues. « On se concentre sur cinq d’entre elles qui étaient présentes dans tous les saules irrigués par les eaux usées, indique Eszter Sas. J’essaie d’élucider leur structure chimique et de mettre à jour leurs propriétés. » La doctorante espère ainsi découvrir quels types de produits pourraient être mis au point à partir de ces molécules.
« Comme le rendement des plantations de saules à croissance rapide dans les eaux usées est élevé, ces molécules sont aussi produites en grande quantité, ce qui permet d’envisager une utilisation commerciale », ajoute Frédéric Pitre.
« Tous ces avantages pourraient inciter les municipalités qui appliquent seulement une filtration primaire à leurs eaux usées à s’intéresser à la plantation de saules », se réjouit Eszter Sas.
Ont aussi participé à cette découverte : Adrien Frémont, Ahmed Jerbi, Noémie Legault, Julien Lamontagne, Noël Fagoaga, Michel Labrecque et Nicholas J. B. Brereton (IRBV) ; Mathieu Sarrazin (Centre d’études des procédés chimiques du Québec) ; Simon Barnabé (Université du Québec à Trois-Rivières) ; et des chercheurs de l’Imperial College London.