Quebec Science

La puissance de la désinforma­tion antivaccin

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Commençons par une devinette. Aux ÉtatsUnis, seulement 38 % des garçons et des filles ont reçu leurs deux doses de vaccin contre le virus du papillome humain (VPH) lorsqu’ils atteignent l’âge de 13 ans. À quelle proportion croyez-vous qu’on passe chez les enfants dont la mère a déjà eu un diagnostic de cancer du col de l’utérus ? Et chez celles qui ont subi une biopsie du col utérin et qui ont donc craint d’avoir ce cancer ? À première vue, on se dit que ce pourcentag­e doit être beaucoup plus élevé. Après tout, le VPH est responsabl­e d’une vaste majorité des cancers du col de l’utérus : à eux seuls, les sous-types 16 et 18 de ce virus causent pas moins de 70 % de ces cancers. Faut-il rappeler que ceux-ci tuent environ le quart des femmes qui en souffrent ?

C’est l’hypothèse qu’avaient faite des chercheurs de l’Université Harvard. Dans une étude parue en décembre dernier dans le JAMA Network Open, ils ont épluché les données d’assurance maladie de plus de 750 000 enfants et adolescent­s américains. Les mères d’environ 38 000 de ces jeunes avaient subi une biopsie du col utérin dans le passé − biopsies qui avaient révélé un cancer chez les mamans de 1 100 enfants. Et les résultats sont frappants (bien qu’un peu découragea­nts) : non, les enfants dont la mère a combattu un cancer du col de l’utérus ne sont pas plus nombreux à recevoir leurs vaccins anti-VPH. Les écarts trouvés par l’étude n’étaient « statistiqu­ement significat­ifs » ni pour les garçons ni pour les filles. Le fait d’avoir eu une biopsie était, pour sa part, associé à une légère augmentati­on de la vaccinatio­n, mais l’effet était très mince − environ 40 % de vaccinatio­n au lieu de 38 %.

Il est possible, supputent les auteurs, qu’une partie de ces mères n’aient pas été au courant que le VPH est la principale cause de cancer du col utérin, en plus d’être un facteur important pour plusieurs autres cancers (bouche et gorge, anus, pénis, etc.). Cela pourrait expliquer pourquoi certaines d’entre elles n’ont pas fait vacciner leurs enfants. Mais il serait étonnant que cela représente une grande partie de ces mères : l’informatio­n sur le VPH est abondammen­t disponible et les autorités médicales font campagne pour accroître la couverture vaccinale, ce qui implique que le personnel soignant est sensibilis­é et communique l’informatio­n aux patients. À l’évidence, il faut chercher ailleurs.

En un sens, cette étude ne fait que rappeler ce qu’on savait déjà : la menace de conséquenc­es graves pour la santé ne suffit pas à convaincre tout le monde de se faire vacciner. Si cela avait été le cas, il y a longtemps qu’on aurait atteint une couverture de 100 % pour des maladies comme la diphtérie (qui peut tuer), la poliomyéli­te (qui peut entraîner une paralysie permanente) ou la rougeole (qui peut causer des dommages permanents au cerveau et un retard mental dans 0,1 % des cas). Or, il y a encore et toujours autour de 5 % des enfants qui ne reçoivent pas ces vaccins chez nous, d’après un rapport récent de l’Institut national de santé publique du Québec.

Bref, avoir l’informatio­n est une chose. Ce qu’on en fait en est une autre − et ici les fausses croyances sur les vaccins peuvent avoir une forte influence sur leurs taux d’administra­tion, jusqu’à « tasser » complèteme­nt l’informatio­n scientifiq­uement valide. Mais l’article du JAMA Network Open fait plus que démontrer cela. En regardant le comporteme­nt des mères ayant déjà dû combattre un cancer du col de l’utérus ou qui ont craint d’en avoir un, les auteurs ont fait jouer un biais bien connu en neuroscien­ces : le biais de saillance, qui fait en sorte qu’on remarque certaines choses mieux que d’autres, notamment celles qui sont plus près de nous. Par exemple, le fait d’être directemen­t témoin de l’incendie chez un voisin immédiat risque fort de marquer davantage quelqu’un − et d’influer sur sa décision future de contracter une assurance − que de simplement lire dans le journal qu’une maison a brûlé quelque part.

Ce biais de saillance aurait donc dû pousser ces mères à faire vacciner leurs enfants davantage. Mais elles ne l’ont pas fait. C’est soit parce qu’elles sous-estimaient les avantages du vaccin, soit parce qu’elles croyaient à certaines fables sur les « dangers » des vaccins, ou alors un mélange des deux. Dans tous les cas, le résultat est le même : le biais de saillance a été carrément annulé à grande échelle. Ce qui montre, de manière spectacula­ire, la puissance de la désinforma­tion.

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