LE DÉPARTEMENT DU TEMPS
Sur le toit d’un des bâtiments du BIPM, une dizaine de petites antennes circulaires se dressent vers le ciel. Elles sont les garantes de l’heure du monde : elles collectent des données satellites via une quinzaine de récepteurs, des boîtes rectangulaires reliées par un fouillis de câbles dans une petite salle ressemblant à un centre informatique.
C’est ici qu’est calculé le temps universel coordonné (UTC), en combinant les données d’environ 450 horloges de référence situées dans 85 laboratoires tout autour de la Terre. « Notre travail est surtout théorique ; on fait une sorte de moyenne de ces horloges. Même si elles sont très précises, il y a de petites fluctuations, parfois des anomalies, donc il faut pouvoir les comparer », explique Patrizia Tavella, directrice du Département du temps au BIPM. Si l’on voyageait autrefois avec les horloges, on les compare désormais avec les systèmes de satellites conçus pour le positionnement.
Comme les satellites ont à leur bord des horloges atomiques synchronisées, l’idée est simple : « Le laboratoire de métrologie chinois voit le satellite GPS no 22 et mesure la différence entre l’horloge de son laboratoire et l’horloge du satellite. Au même moment, le CNRC voit le même satellite et fait la même mesure ; on a donc une référence commune », illustre l’experte.
Seul hic : les calculs pour produire le « temps atomique international » sur la base de ces données sont longs à effectuer. « On donne à postériori l’heure d’il y a un mois. Ce que le BIPM publie mensuellement, c’est la différence entre le temps international et le temps de chaque pays, obtenu le mois précédent en temps réel par les laboratoires nationaux. Si le Canada constate que son UTC a 35 nanosecondes de retard sur le temps atomique, il peut faire la correction pour le mois suivant. »
Le système est bien rodé, mais il est encore l’objet d’importants débats. « Dans les années 1960, on se disait que le temps civil, qui servait pour la navigation, devait tout de même rester lié à la rotation de la Terre. Or, le jour de la Terre est un peu plus
long que la journée atomique. On a donc décidé de corriger légèrement le temps atomique international afin qu’il reste en accord avec la rotation de la Terre : c’est ce qui donne l’UTC », détaille Patrizia Tavella. À 27 reprises depuis 1972 (la dernière fois en 2016), il a donc fallu ajouter une seconde aux horloges atomiques : c’est ce qu’on appelle les secondes intercalaires.
Ces ajouts mettent un joyeux bazar dans les systèmes informatiques, qui ne sont pas conçus pour des minutes à 61 secondes. Résultat : le système GPS, né dans les années 1980, a décidé de ne pas ajouter de secondes intercalaires. « Les horloges GPS sont 18 secondes en avance par rapport à l’UTC ; idem pour le système européen Galileo. Le système russe, lui, s’est synchronisé ; le système chinois, né plus tard, a un décalage de 4 secondes. Il y a une confusion énorme ! Et dans les systèmes de navigation, la synchronisation est cruciale. Une erreur de 10 nanosecondes, ça correspond à une erreur de trois mètres au sol… On aimerait supprimer ces secondes intercalaires et en discuter à la conférence de cette année », indique la chercheuse.
Si l’on découple la rotation de la Terre et l’heure atomique, les horloges finiront par dire qu’il est midi alors qu’il fait nuit sur Terre, dans des milliers d’années. Est-ce le prix à payer pour remettre les pendules à l’heure ?