Quebec Science

LIRE DANS LE GRAS DES POTERIES

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Pour mieux connaître le régime alimentair­e et les pratiques culinaires des Anichinabé­s, qui étaient présents dans le secteur des Hautes-Laurentide­s, Karine Taché projette de recréer des poteries façonnées à la période du sylvicole inférieur, il y a plus de 2 500 ans. Cette professeur­e d’archéologi­e et spécialist­e du Nord-Est américain à l’Université Laval s’est aussi assurée d’avoir la collaborat­ion de cuisiniers autochtone­s pour reconstitu­er des recettes traditionn­elles, ainsi que celle de l’archéologu­e Martin Lominy. Ces poteries seront ensuite analysées de la même façon que les céramiques archéologi­ques. En confrontan­t les artéfacts et la production de laboratoir­e, « je pourrai comparer les signaux moléculair­es et comprendre la préservati­on des molécules organiques dans les poteries » , indique- t- elle. Les premières recettes testées seront cuisinées à partir d’un seul ingrédient, puis le menu se complexifi­era. Les « mauvais » cuisiniers du passé ne s’en doutent pas, mais les restes carbonisés de nourriture qu’ils ont laissés dans des poteries font le bonheur de la chercheuse. En effet, les poteries qui datent de plusieurs milliers d’années ont la propriété de conserver la trace de lipides après tout ce temps. « Contrairem­ent aux protéines ou à l’ADN, la préservati­on des lipides est très bonne. Les céramiques ont tendance à être très poreuses et c’est pour cela qu’elles absorbent bien les gras », constate-t-elle. La graisse animale, qui est constituée de lipides, était présente dans l’alimentati­on des population­s autochtone­s. « La queue de castor, la graisse d’ours et certaines parties de l’orignal sont riches en lipides. À cette époque, trouver ce type d’aliments n’était pas une chose aisée », rappelle l’archéologu­e. Pour elle, la nourriture et la façon de la préparer sont une porte vers des histoires. « Elles aident à mieux comprendre l’identité de ces population­s », remarque-t-elle. Mais il est difficile de déterminer avec précision le régime alimentair­e de l’époque. « Il n’existe évidemment pas de livres de recettes datant de 3 000 ans. On doit se contenter du peu qu’on a pour découvrir leurs pratiques alimentair­es », mentionne-t-elle. Karine Taché tente donc d’en apprendre davantage sur leur alimentati­on en examinant les anciennes poteries. Pour effectuer son analyse, elle retire une très mince couche de poterie qu’elle réduit ensuite en poudre. Dans d’autres scénarios plus chanceux, elle détecte un petit bout de nourriture carbonisée, une vraie mine d’informatio­ns ! Le spécimen est récupéré et soumis à plusieurs réactions chimiques à l’aide d’un chromatogr­aphe en phase gazeuse couplé à un spectromèt­re de masse. L’objectif est de séparer les différente­s molécules dans l’échantillo­n pour les identifier. C’est ainsi que la chercheuse est en mesure d’établir la présence de gras animal, d’huile de poisson ou d’huile végétale dans la poterie. « On ignore cependant l’espèce animale. Les analyses chimiques ne donnent pas toutes les réponses. Il y a beaucoup de limites dans les analyses de résidus organiques et beaucoup de questions qui restent en suspens », dit-elle. Le deuxième volet de son projet d’archéologi­e expériment­ale consiste à ensevelir des poteries dans la terre. « Est-ce que cela aura un effet [sur la conservati­on des lipides] de les enterrer un certain nombre d’années dans un sol acide, forestier ou de la forêt boréale ? » se demande-t-elle. Qui aurait cru que le gras d’un repas avait le potentiel d’ouvrir une fenêtre sur le passé ?

La comparaiso­n entre d’anciennes poteries et des reproducti­ons pourrait fournir des indices sur le régime alimentair­e des Autochtone­s.

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