Quebec Science

Naître à l’ombre d’un puits de gaz de schiste nd

- JEANFRANÇOIS CLICHE @clicjf

«Une étude, c’est juste une étude », dit-on en journalism­e scientifiq­ue pour signifier qu’il vaut toujours mieux attendre que des résultats soient reproduits avant de s’affoler. Dans le cas du lien entre l’extraction de gaz de schiste et la santé des nouveau-nés, il y a longtemps qu’on a dépassé ce point : les questionne­ments sont légitimes. L’exploitati­on des gaz de schiste, rappelons-le, consiste à injecter des fluides sous très haute pression dans des formations géologique­s profondes afin de les fracturer et d’en libérer le gaz naturel. La technique fait craindre que les fluides de fracturati­on, qui contiennen­t de nombreux produits chimiques, remontent contaminer les nappes phréatique­s, bien qu’on n’ait jamais fait la preuve d’un risque élevé. Les études sur les bébés nés à proximité de puits de gaz de schiste, elles, montrent plus clairement qu’il semble y avoir un problème, même s’il reste encore une part de flou. Elles n’ont pas toutes observé exactement la même chose, mais il s’en dégage quand même une tendance assez nette. Les unes ont trouvé une associatio­n avec les naissances prématurée­s, mais pas avec les bébés de faible poids, alors que d’autres ont établi le contraire ou même un lien avec la mortalité foetale. Certains travaux ont rapporté un lien entre le nombre de puits situés à moins de 2,5 km des habitation­s et les problèmes néonataux, tandis que d’autres ont relevé un effet à des distances allant jusqu’à 10 km. Par ailleurs, ce ne sont pas toutes les études qui décèlent ce type d’associatio­n. Mais dans l’ensemble, tout indique qu’il se passe quelque chose à proximité des puits de gaz de schiste et que ce « quelque chose » nuit au développem­ent du foetus. Les choses se corsent quand on tente de mettre le doigt sur les mécanismes exacts qui pourraient être en cause. Dans des études dirigées par la toxicologu­e de l’Université de Toronto Élyse Caron-Beaudoin, on a découvert que la densité de puits autour d’une résidence était associée à des concentrat­ions plus élevées de composés organiques volatils (ou COV : comme le chloroform­e, le xylène ou le toluène) à la fois dans l’air et dans l’eau des maisons. La source de ces polluants n’était toutefois pas clairement établie, même si les fluides de fracturati­on sont un «suspect» évident. Les travaux scientifiq­ues sur la question ont proposé une myriade d’autres causes potentiell­es imputables à l’industrie des gaz de schiste, au-delà de la fracturati­on. L’intense camionnage qui accompagne le forage et la fracturati­on de ces puits est une source de stress potentiel, que ce soit par le dérangemen­t qu’il occasionne ou par ses conséquenc­es sur la qualité de l’air. Une étude menée dans le nord-est de la Colombie-Britanniqu­e a aussi mis au jour des fuites dans environ 10 % des puits (surtout des émanations de gaz; les migrations de liquides hors des enveloppes de ciment étaient beaucoup plus rares). Et le torchage, soit le fait de brûler une partie du gaz qui sort d’un puits, est également sur le banc des accusés. Fait intéressan­t : dans plusieurs de ces travaux, les effets nocifs étaient concentrés (parfois entièremen­t) chez des femmes appartenan­t à des groupes défavorisé­s, comme les femmes de couleur et les hispanopho­nes aux États-Unis ou les Autochtone­s au Canada (Élyse Caron-Beaudoin a mesuré plus de COV dans les résidences des Autochtone­s que dans celles des non-Autochtone­s). «Une de nos hypothèses, dit la chercheuse, est que certains groupes comme les agriculteu­rs et les population­s autochtone­s dans le nord-est de la Colombie-Britanniqu­e sont plus vulnérable­s aux effets de cette industrie en raison de leurs contacts plus étroits avec l’environnem­ent, ce qui pourrait augmenter leur exposition à ces produits. Il y a également une panoplie d’exposition­s non chimiques liées à cette industrie − bruit, pollution lumineuse, stress − qui peuvent affecter certains groupes de façon disproport­ionnée : il y a plusieurs études sur ces sujets. Finalement, nous savons que certains groupes socioécono­miques souffrent d’iniquités en matière de santé [malnutriti­on, exposition­s antérieure­s à d’autres polluants par exemple] qui peuvent être exacerbées par une exposition environnem­entale supplément­aire. » L’industrie interprète ces vulnérabil­ités différemme­nt, faisant souvent valoir que les problèmes néonataux surviendra­ient sans égard aux activités industriel­les aux alentours, en raison du niveau de défavorisa­tion des régions où se déroulent souvent ses activités. Elle avance également qu’il est possible que les secteurs propices à l’exploitati­on des gaz de schiste soient naturellem­ent associés à des concentrat­ions plus fortes de certains contaminan­ts. Il se pourrait qu’une partie des écarts constatés tienne effectivem­ent à cela. Quoi qu’il en soit, l’heure n’est plus à se demander s’il y a vraiment un problème, mais plutôt à en déterminer (urgemment) les causes.

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