Naître à l’ombre d’un puits de gaz de schiste nd
«Une étude, c’est juste une étude », dit-on en journalisme scientifique pour signifier qu’il vaut toujours mieux attendre que des résultats soient reproduits avant de s’affoler. Dans le cas du lien entre l’extraction de gaz de schiste et la santé des nouveau-nés, il y a longtemps qu’on a dépassé ce point : les questionnements sont légitimes. L’exploitation des gaz de schiste, rappelons-le, consiste à injecter des fluides sous très haute pression dans des formations géologiques profondes afin de les fracturer et d’en libérer le gaz naturel. La technique fait craindre que les fluides de fracturation, qui contiennent de nombreux produits chimiques, remontent contaminer les nappes phréatiques, bien qu’on n’ait jamais fait la preuve d’un risque élevé. Les études sur les bébés nés à proximité de puits de gaz de schiste, elles, montrent plus clairement qu’il semble y avoir un problème, même s’il reste encore une part de flou. Elles n’ont pas toutes observé exactement la même chose, mais il s’en dégage quand même une tendance assez nette. Les unes ont trouvé une association avec les naissances prématurées, mais pas avec les bébés de faible poids, alors que d’autres ont établi le contraire ou même un lien avec la mortalité foetale. Certains travaux ont rapporté un lien entre le nombre de puits situés à moins de 2,5 km des habitations et les problèmes néonataux, tandis que d’autres ont relevé un effet à des distances allant jusqu’à 10 km. Par ailleurs, ce ne sont pas toutes les études qui décèlent ce type d’association. Mais dans l’ensemble, tout indique qu’il se passe quelque chose à proximité des puits de gaz de schiste et que ce « quelque chose » nuit au développement du foetus. Les choses se corsent quand on tente de mettre le doigt sur les mécanismes exacts qui pourraient être en cause. Dans des études dirigées par la toxicologue de l’Université de Toronto Élyse Caron-Beaudoin, on a découvert que la densité de puits autour d’une résidence était associée à des concentrations plus élevées de composés organiques volatils (ou COV : comme le chloroforme, le xylène ou le toluène) à la fois dans l’air et dans l’eau des maisons. La source de ces polluants n’était toutefois pas clairement établie, même si les fluides de fracturation sont un «suspect» évident. Les travaux scientifiques sur la question ont proposé une myriade d’autres causes potentielles imputables à l’industrie des gaz de schiste, au-delà de la fracturation. L’intense camionnage qui accompagne le forage et la fracturation de ces puits est une source de stress potentiel, que ce soit par le dérangement qu’il occasionne ou par ses conséquences sur la qualité de l’air. Une étude menée dans le nord-est de la Colombie-Britannique a aussi mis au jour des fuites dans environ 10 % des puits (surtout des émanations de gaz; les migrations de liquides hors des enveloppes de ciment étaient beaucoup plus rares). Et le torchage, soit le fait de brûler une partie du gaz qui sort d’un puits, est également sur le banc des accusés. Fait intéressant : dans plusieurs de ces travaux, les effets nocifs étaient concentrés (parfois entièrement) chez des femmes appartenant à des groupes défavorisés, comme les femmes de couleur et les hispanophones aux États-Unis ou les Autochtones au Canada (Élyse Caron-Beaudoin a mesuré plus de COV dans les résidences des Autochtones que dans celles des non-Autochtones). «Une de nos hypothèses, dit la chercheuse, est que certains groupes comme les agriculteurs et les populations autochtones dans le nord-est de la Colombie-Britannique sont plus vulnérables aux effets de cette industrie en raison de leurs contacts plus étroits avec l’environnement, ce qui pourrait augmenter leur exposition à ces produits. Il y a également une panoplie d’expositions non chimiques liées à cette industrie − bruit, pollution lumineuse, stress − qui peuvent affecter certains groupes de façon disproportionnée : il y a plusieurs études sur ces sujets. Finalement, nous savons que certains groupes socioéconomiques souffrent d’iniquités en matière de santé [malnutrition, expositions antérieures à d’autres polluants par exemple] qui peuvent être exacerbées par une exposition environnementale supplémentaire. » L’industrie interprète ces vulnérabilités différemment, faisant souvent valoir que les problèmes néonataux surviendraient sans égard aux activités industrielles aux alentours, en raison du niveau de défavorisation des régions où se déroulent souvent ses activités. Elle avance également qu’il est possible que les secteurs propices à l’exploitation des gaz de schiste soient naturellement associés à des concentrations plus fortes de certains contaminants. Il se pourrait qu’une partie des écarts constatés tienne effectivement à cela. Quoi qu’il en soit, l’heure n’est plus à se demander s’il y a vraiment un problème, mais plutôt à en déterminer (urgemment) les causes.