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C’est notamment en repérant certains motifs de matière dans l’Univers que les scientifiques espèrent voir l’influence de l’énergie noire. D’où viennent ces dessins ? Tout a commencé, juste après le big bang, par une « soupe » primordiale immensément dense et chaude. Le tout jeune Univers était alors totalement opaque; impossible pour la lumière d’y circuler. Dans ce plasma de matière ionisée, d’électrons et de photons, des ondes de pression (telles des ondes sonores) se sont propagées à partir de minuscules variations de la densité. « C’est un peu comme lorsqu’on jette des cailloux dans un lac. Chaque caillou crée un cercle, une vaguelette qui s’éloigne de l’endroit de l’impact. Dans l’Univers, cela correspondait en fait à des ondes de photons et de matière », explique la physicienne Nathalie Palanque-Delabrouille.
Puis, environ 380 000 ans après le big bang, le cosmos refroidit suffisamment pour devenir « transparent » : les électrons s’associent aux protons pour former les premiers atomes d’hydrogène, libérant ainsi l’espace pour que la lumière se propage enfin. «Subitement, c’est comme si le lac avait gelé. Toutes les vaguelettes se sont figées en l’état. La matière, constituée de ce qu’on appelle des baryons (des protons et des neutrons qui composent les atomes), s’est retrouvée là où les photons l’avaient portée. Or les photons se déplaçant à la vitesse de la lumière, on sait exactement quelle distance ces vaguelettes ont eu le temps de parcourir en 380 000 ans», poursuit-elle. Les empreintes circulaires, qui portent le nom barbare d’oscillations acoustiques baryoniques (BAO), ont formé des « noyaux » de matière qui ont par la suite donné naissance aux galaxies.
Tout s’est étiré, superposé et entrecroisé depuis, « mais avec des méthodes statistiques, on doit pouvoir retrouver ces motifs, grâce aux nouveaux télescopes. L’étirement des motifs aux différentes époques va nous renseigner sur les variations du taux d’expansion». Quant à la toute première lumière émise lorsque les photons se sont échappés de la soupe, elle s’appelle « fond diffus cosmologique » et est encore perceptible aujourd’hui. Elle constitue en quelque sorte l’image de départ du film de la dilatation cosmique. Lors de simulations, les scientifiques partent de l’Univers actuel et tentent de « rembobiner la cassette » selon différents paramètres d’énergie noire. L’idée étant que les paramètres qui permettront le mieux de revenir au fond diffus cosmologique sont vraisemblablement ceux qui ont présidé jusqu’ici à son expansion... Un autre élément crucial dans la boîte à outils des chasseurs d’énergie noire.