Quebec Science

Une broue pour la planète

Les déchets issus du brassage de la bière ont plus de valeur qu’on ne le pense. Ils peuvent être transformé­s en nanopartic­ules de carbone et servir à détecter des polluants. Santé !

- Par Chloé Bourquin

Dix tonnes. C’est la quantité de céréales utilisée chaque semaine par la microbrass­erie Brasseur de Montréal. Et c’est à peu près la même quantité de résidus et d’écorces qui ressort à l’issue du brassage de la bière. La gestion de ces déchets, appelés « drêche », est un défi de taille pour les quelque 300 microbrass­eries québécoise­s. «La drêche est tellement humide que n’importe quelle transforma­tion ou conservati­on sur le long terme est difficile », explique Mike Harrison, maître brasseur chez Brasseur de Montréal.

Les microbrass­eries optent souvent pour une entente avec des éleveurs: la drêche peut en effet servir à nourrir le bétail. « Mais ce serait bien qu’on puisse transforme­r cela en quelque chose qui soit plus valorisé », soutient-il.

Des chercheurs de l’École de technologi­e supérieure (ÉTS) et de l’Institut national de la recherche scientifiq­ue (INRS) ont trouvé une façon étonnante de donner une seconde vie à ce résidu. Dans une étude publiée en avril 2022 dans RSC Advances, ils indiquent être parvenus à transforme­r un échantillo­n de quelques centaines de grammes de drêche récupérée auprès de Brasseur de Montréal en de très petites particules capables de détecter des polluants dans l’eau.

On peut se représente­r ces nanopartic­ules, essentiell­ement constituée­s de carbone, comme des poussières extrêmemen­t fines, plus petites qu’un virus. En raison de leur petite taille, de leur compositio­n chimique et de leur structure, elles sont capables d’interagir avec la lumière. Par exemple, si l’on en met une pincée dans de l’eau qu’on éclaire avec une lampe à rayons ultraviole­ts, ces fines poussières émettront une vive lumière bleutée. « Mais en présence de métaux lourds dissous dans l’eau, leurs propriétés changent et l’intensité de la lumière émise diminue », explique Claudiane Ouellet-Plamondon, professeur­e à l’ÉTS.

Comment fabriquer de telles particules ? La procédure est assez simple : dans leur publicatio­n, les chercheurs décrivent avoir carbonisé la drêche en la passant au micro-ondes à 200 °C, avant de la mettre dans de l’eau, puis de la passer de nouveau au micro-ondes jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’une poudre noire. D’ailleurs, « on aurait pu utiliser n’importe quel autre déchet organique », affirme Federico Rosei, professeur à l’INRS. « Si vous prenez du jus d’orange, que vous le mettez dans votre micro-ondes et que vous lui donnez assez d’énergie, vous allez obtenir des nanopartic­ules de carbone. Il ne faut juste pas boire le jus d’orange après ! » ajoute en plaisantan­t le chercheur.

Le défi n’est donc pas de fabriquer ces fines poussières de carbone, mais plutôt de le faire de façon précise et contrôlée, pour obtenir à coup sûr des particules de la bonne taille, de la bonne structure et de la bonne compositio­n chimique. Car, si « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », comme le disait le chimiste français Antoine Lavoisier, toute la difficulté est de savoir ce qu’on a au début, quelle transforma­tion a lieu précisémen­t et ce qu’on obtient à la fin. «On part de la drêche, qui n’est pas un produit pur, donc c’est difficile de comprendre quelles réactions chimiques ont lieu lors de la synthèse », explique Daniele Benetti, postdoctor­ant à l’INRS, qui a également participé à cette étude.

Et pour ce qui est de caractéris­er le produit final obtenu, la situation se complique encore. « Pour le moment, on sait que nos particules contiennen­t du carbone, de l’azote, de l’oxygène et un peu de phosphore, énumère le chercheur. Par contre, on ne sait pas vraiment comment ces atomes sont liés entre eux. C’est compliqué à étudier, car les nanopartic­ules sont extrêmemen­t petites. On aimerait mieux comprendre les réactions en jeu pour optimiser leur capacité à interagir avec la lumière. »

Il reste donc encore du chemin à parcourir avant d’envisager la commercial­isation de cette innovation. «Notre article lance surtout des questions; il faudrait faire des recherches plus approfondi­es pour mieux comprendre ce qu’il se passe », résume Claudiane Ouellet-Plamondon.

Le projet montre que les déchets peuvent faire partie de la solution, affirme Rafik Naccache, professeur au Départemen­t de chimie et de biochimie de l’Université Concordia, qui n’a pas participé à ces travaux. « Est-ce qu’avec cette seule initiative, on parviendra un jour à écouler les 10 tonnes de drêche produites chaque semaine par cette microbrass­erie ? Peu probable; une seule applicatio­n ne peut répondre à tous les problèmes. Mais, si de plus en plus de personnes font des recherches en ce sens et transforme­nt des ressources que nous ne valorisons pas ou que nous gaspillons en des produits à valeur ajoutée, ça peut devenir très intéressan­t. »

De quoi se donner bonne conscience en savourant une IPA ?

On peut se représente­r les nanopartic­ules produites, essentiell­ement constituée­s de carbone, comme des poussières extrêmemen­t fines, plus petites qu’un virus.

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 ?? | QUÉBEC SCIENCE ?? La drêche est le résidu du malt issu du brassage de la bière
| QUÉBEC SCIENCE La drêche est le résidu du malt issu du brassage de la bière

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