Quebec Science

L’encre de tes oeufs

En utilisant des coquilles d’oeufs comme ingrédient dans une encre destinée à l’impression 3D, des chercheurs espèrent économiser de précieuses ressources.

- Par Renaud Manuguerra-Gagné

Àpremière vue, un oeuf de poule ne semble pas particuliè­rement solide. On en casse facilement des milliers au cours d’une vie, parfois même accidentel­lement. Et l’expression « marcher sur des oeufs » évoque la fragilité plutôt qu’une rigidité à toute épreuve.

Pourtant, les coquilles d’oeufs ont le potentiel d’améliorer et même de renforcer certains matériaux, selon des chercheurs de l’École de technologi­e supérieure de Montréal (ÉTS) et de l’Université de la Saskatchew­an. Une fois combinées à certains polymères, elles peuvent servir à « imprimer » des objets de toutes formes.

L’impression 3D, qui connaît une expansion fulgurante depuis 2010, consiste à programmer une machine pour qu’elle superpose de fines couches d’un matériau jusqu’à l’obtention d’un objet complet. « Il existe de nombreux types de matériaux destinés à l’impression 3D, explique Lucas Hof, professeur au Départemen­t de génie mécanique à l’ÉTS. De ceux-ci, l’acide polylactiq­ue, ou PLA, est de loin le plus populaire. Mais il est fragile et casse facilement. »

Plusieurs substances conçues en industrie peuvent être ajoutées au PLA pour en améliorer les propriétés, dont la solidité. Problème réglé ? Pas quand on aspire à une économie circulaire. « À la base, tant les encres que les additifs nécessiten­t d’extraire des ressources naturelles, explique Jean-Philippe Leclair, étudiant à la maîtrise dans le laboratoir­e du professeur Hof. Si on peut diminuer cette exploitati­on en remplaçant les matières premières par des déchets d’une autre industrie, on règle deux problèmes d’un coup ! »

C’est là qu’on en revient aux oeufs. Si on peut facilement composter ses coquilles d’oeufs chez soi, il est plus difficile de disposer des tonnes de coquilles résultant de la consommati­on d’oeufs à grande échelle par des usines de transforma­tion alimentair­e. « Ces débris se ramassent présenteme­nt aux ordures ! » affirme l’étudiant.

L’IMPRIMANTE OU LA POULE ?

Si améliorer les propriétés d’une encre d’impression 3D peut sembler simple, il y a cependant des règles à suivre. « Tout dépend de ce qu’on veut faire, indique Sampada Bodkhe, professeur­e au Départemen­t de génie mécanique de Polytechni­que Montréal, qui n’est pas impliquée dans le projet d’encre aux coquilles d’oeufs. Parfois, il y a une incompatib­ilité entre deux matériaux qui empêche la formation d’un bon mélange, ce qui pourrait bloquer la machinerie. Un mauvais mélange peut aussi affecter la façon dont le matériel se solidifie. Il faut donc prendre une décision informée avant de choisir la combinaiso­n à effectuer. »

Et c’est justement une décision informée qui a poussé les chercheurs à s’intéresser à la combinaiso­n coquille d’oeuf et polymère. « Une coquille d’oeuf, c’est du carbonate de calcium, explique Jean-Philippe Leclair. Chimiqueme­nt, c’est pratiqueme­nt le même minéral que le calcaire, un additif déjà commercial­isé et utilisé pour renforcer le PLA. Dans ce projet, lancé par le professeur Hof et le professeur Duncan Cree, en Saskatchew­an, notre question est : peut-on arriver à la même chose ou à un meilleur résultat avec des coquilles ? »

Pour y répondre, les chercheurs ont incorporé des coquilles d’oeufs réduites en poudre dans de l’encre et imprimé des formes simples de PLA, soit des barres rectangula­ires. Ils ont ensuite soumis celles-ci à toute sorte de tests.

Première surprise : le PLA combiné à la poudre de coquilles s’avère plus flexible que celui combiné à du calcaire. La ductilité du PLA combiné à la poudre d’oeufs dépasse de 12% celle du PLA seul et de 7% celle du PLA combiné avec du calcaire. D’autres propriétés semblent aussi avoir été améliorées. « On garde des primeurs pour une publicatio­n scientifiq­ue, mais disons que cette combinaiso­n est intéressan­te d’un point de vue commercial », ajoute Jean-Philippe Leclair.

Les chercheurs ne crient toutefois pas encore victoire, car il est aussi possible que l’ajout des coquilles interfère avec le recyclage du PLA, ce qui serait contreprod­uctif lorsqu’on veut favoriser l’économie circulaire. «On ne sait pas comment le procédé dégrade le plastique à la longue ni si l’ajout des coquilles d’oeufs réduit la recyclabil­ité du produit, explique le professeur Hof. C’est une question à laquelle on tente de répondre. »

En attendant, l’équipe voit grand pour son mélange. « On vient d’obtenir une subvention en partenaria­t avec des usines québécoise­s et ontarienne­s pour vérifier si les coquilles d’oeufs peuvent aussi être utiles en constructi­on en améliorant les propriétés du béton destiné à l’impression 3D. Le ciment à l’intérieur du béton a une empreinte écologique énorme. Si l’on pouvait en remplacer ne serait-ce que 15% par des coquilles d’oeufs, cela réduirait cette empreinte tout en valorisant un déchet. »

On peut donc imaginer que des imprimante­s 3D alimentées par des oeufs pourront, un jour, construire des structures de toutes tailles, allant de la cage à poules jusqu’au poulailler, donnant ainsi un sens littéral au terme « économie circulaire » !

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Cet appareil de l’ÉTS servira à extruder les filaments contenant des coquilles d’oeuf.
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L’imprimante 3D qui a été utilisée à l’Université de la Saskatchew­an pour imprimer le matériel pour des essais en flexion

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