Quebec Science

De l’écorce pour isoler les maisons

Des chercheurs s’attaquent à un mastodonte de l’empreinte carbone du bâtiment : l’isolation thermique. L’écorce de cèdre pourrait faire toute la différence.

- Par Chloé Bourquin

Polyurétha­ne, polystyrèn­e extrudé, laine de verre ou encore de roche : lorsqu’on a à rénover ou à construire sa maison, on peut se sentir noyé dans la mer d’isolants proposés en quincaille­rie. Malgré cette diversité apparente, un problème persiste : tous ces isolants ont un impact environnem­ental non négligeabl­e. Certains sont des produits dérivés du pétrole, tandis que d’autres requièrent énormément d’énergie pour être fabriqués. « À l’échelle de la planète, les matériaux de constructi­on représente­nt autour de 10% des émissions de gaz à effet de serre. Et 20 à 40% de ces 10% sont dus aux seuls matériaux isolants », affirme Caroline Frenette, spécialist­e de la constructi­on durable au Centre d’expertise sur la constructi­on commercial­e en bois.

Il existe certes des solutions de rechange d’origine végétale, comme la laine de chanvre ou la cellulose, mais elles sont minoritair­es, et c’est encore la laine de verre qui est la plus utilisée aujourd’hui au Québec.

Un projet piloté par le SEREX, un centre collégial de transfert de technologi­e (CTTT) spécialisé en bois et en écoconstru­ction, pourrait changer la donne. « Tout est parti d’une scierie du Bas-Saint-Laurent, Multicèdre, qui avait accumulé plusieurs milliers de tonnes d’écorce de cèdre», raconte Patrick Dallain, directeur général du SEREX. La scierie a alors fait appel au CTTT pour trouver des solutions afin d’écouler ce stock d’écorce. Cette dernière est habituelle­ment assez peu valorisée : elle peut être répandue dans les jardins pour maintenir l’humidité du sol et empêcher les mauvaises herbes de pousser, ou simplement brûlée pour produire de l’énergie. Le défi était donc double : trouver un nouveau marché pouvant utiliser une grande quantité d’écorce et, idéalement, assurer à ce dérivé du bois une plus longue durée de vie.

En effet, si un arbre capte du CO2 présent dans l’atmosphère pendant sa croissance et en accumule une grande partie, lorsqu’il est coupé, tout ce carbone accumulé risque d’être rapidement relâché; il faut donc conserver le plus longtemps possible chacun de ses sous-produits. « Des études ont montré que, pour que l’utilisatio­n du bois soit bénéfique, il doit être transformé en des matériaux de longue durée. Si on fait du papier journal avec du bois, le carbone qu’il contient n’est pas stocké pendant longtemps et sera vite relâché dans l’atmosphère », illustre Caroline Frenette, qui n’a pas participé au projet du SEREX.

La solution était donc toute trouvée : faire de l’écorce de cèdre un matériau isolant, permettant ainsi au carbone qu’elle contient d’être stocké pendant 60 à 80 ans – sans oublier que l’utilisatio­n de celle-ci remplace les isolants traditionn­els polluants. Cerise sur le gâteau : cet isolant nouveau genre peut être produit ici même, au Québec, ce qui limite du même coup l’empreinte carbone liée au transport.

Quelques étapes ont bien sûr été nécessaire­s pour passer d’une écorce d’arbre à un produit isolant. « Le cèdre a des propriétés très intéressan­tes de par son écorce fibreuse. Le défi a été de trouver comment préparer cette écorce, la traiter et en extraire les fibres pour obtenir un produit en vrac, explique Patrick Dallain. Après le séchage, on a mélangé ces fibres à une colle, avant de les chauffer et de les comprimer pour en faire un matelas qui ait la bonne densité et la bonne épaisseur pour servir d’isolant. »

Après de nombreux tests menés sur des échantillo­ns en laboratoir­e à diverses échelles, en faisant varier l’épaisseur de l’isolant et en simulant diverses conditions environnem­entales (humidité, températur­e), le produit final semble très prometteur. « De façon générale, les matériaux d’origine végétale ont des performanc­es thermiques comparable­s à celles des isolants traditionn­els et ils sont plus denses, donc ils absorbent mieux les sons que la laine de verre ou les mousses isolantes » , souligne Patrick Dallain. L’étape suivante du projet consistera à mener des tests sur de « vrais » murs au cours de l’hiver.

Le passage à la commercial­isation comportera également quelques étapes. « Il va falloir améliorer le procédé industriel, étudier la rentabilit­é, faire des études de marché, obtenir une homologati­on », énumère le gestionnai­re, qui espère néanmoins que les quincaille­ries pourront proposer ce produit d’ici quelques années.

Puisque 1,5 tonne de fibres serait nécessaire pour isoler une maison, une ou deux scieries comme Multicèdre pourraient, selon M. Dallain, répondre en partie aux besoins du secteur du bâtiment au Québec. De quoi réduire notre empreinte carbone petit à petit, un arbre à la fois !

« Il va falloir améliorer le procédé industriel, étudier la rentabilit­é, faire des études de marché, obtenir une homologati­on. »

— Patrick Dallain, directeur général du SEREX

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Panneau isolant de cèdre
Test de traction sur un isolant Panneau isolant de cèdre

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