Quebec Science

La deuxième vie d’une chemise

Fabriquer des emballages alimentair­es à partir de vieux vêtements? C’est le pari de chimistes de l’Université McGill.

- Par Renaud Manuguerra-Gagné

Nous avons tous déjà ressenti du chagrin en voyant un de nos vêtements préférés arriver en fin de vie. Il est encore plus déprimant de constater que le recyclage de cette chemise composée de coton à 70% et de polyester à 30% est un cauchemar, car séparer ces différents types de matières premières est souvent impossible.

Mais imaginez qu’au lieu de mettre aux poubelles le vêtement défraîchi, vous l’expédiiez plutôt dans un centre où ses fibres seraient dégradées dans des bacs remplis d’acide avant d’être transformé­es en un nouveau produit. Intrigant !

C’est le pari réussi par Yixiang Wang, professeur au Départemen­t de chimie de l’Université McGill, et son équipe. Au printemps dernier, le chercheur et ses collègues ont publié dans la revue Membranes une étude dans laquelle ils présentaie­nt une méthode permettant de dégrader des vêtements faits d’un mélange de coton et d’élasthanne (fibre composée de polyurétha­ne, une matière plastique).

L’équipe a d’abord déchiqueté ces vêtements avant de plonger les morceaux dans différente­s combinaiso­ns de solvants. Toutes les solutions évaluées ont été en mesure de dégrader le coton pour en faire de la cellulose, un biopolymèr­e à la base de la structure du coton et de nombreuses autres plantes. Quant à l’élasthanne, son destin s’est avéré plus variable : certains solvants ont épargné les fibres synthétiqu­es tandis que d’autres les dissolvaie­nt totalement.

Que peut-on faire avec un vêtement réduit à cet état ? Étonnammen­t, l’industrie alimentair­e pourrait y trouver son compte. « Certains de nos solvants permettent d’isoler et de retirer l’élasthanne, explique le professeur Wang. D’un côté, on récupère de la cellulose pure, avec laquelle on peut produire un emballage transparen­t 100% biodégrada­ble. On peut aussi faire des films de cellulose combinée avec de l’élasthanne. Cette combinaiso­n améliore les propriétés physiques des films. Par contre, elle en fait un produit non biodégrada­ble. »

Une forme de réutilisat­ion qui devra toutefois réussir le test des études de sécurité avant d’être mise en marché, puisqu’on ignore si les particules de plastique contaminen­t les aliments ainsi emballés.

Chose certaine, si l’intérêt du produit se confirme, il y aura de quoi s’occuper: chaque personne jette 24 kg de vêtements par année, selon Recyc-Québec…

Et pourrait-on fabriquer des vêtements avec ces matières ? « Récupérer la cellulose du coton, et ce, même dans des tissus mixtes, nous permettrai­t de produire par la suite un textile semi-synthétiqu­e nommé rayonne, explique Marianne-Coquelicot Mercier, conseillèr­e en économie circulaire pour l’industrie textile et chargée de cours à l’Université de Montréal, qui n’a pas participé à l’étude. On pourrait produire une fibre neuve, qui ne perd pas en qualité contrairem­ent à ce qu’on observe avec le recyclage mécanique [une technique peu présente au Québec qui implique une machinerie qui déchiquett­e les vêtements pour en récupérer les fibres]. Certains groupes de recherche à travers le monde regardent aussi du côté de la dépolyméri­sation de l’élasthanne, du nylon ou d’autres fibres plastiques, une réaction chimique complexe où l’on brise les chaînes de polymères afin de ramener ces plastiques à leur forme moléculair­e la plus simple, pour ensuite les réassemble­r et en faire des fibres neuves. »

Pour Mme Mercier, la solution chimique représente donc la voie d’avenir, et des méthodes comme celles développée­s par le professeur Wang, si elles sont mises en place à plus grande échelle, pourraient permettre de régler de nombreux problèmes dans l’industrie du recyclage textile.

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