Avant l’embarquement, on a généralement droit au spectacle du ravitaillement de l’avion dans lequel on s’apprête à monter. Justement, le secteur mise gros sur le recours à de nouveaux carburants au moment de remplir les réservoirs.
Depuis peu, l’industrie s’intéresse à ce qu’on appelle les « carburants d’aviation durable ». Leur viscosité et leur densité énergétique s’avèrent quasi identiques à celles du kérosène conventionnel. Cependant, certains d’entre eux (les biocarburants) sont plutôt conçus à partir de biomasses agricoles ou forestières, d’algues, d’huile de cuisson ou de graisse animale. D’autres sont carrément des produits de synthèse, comme les « électrocarburants », fabriqués à l’aide d’électricité, d’eau et de CO2.
Comme aucune ressource fossile n’est extraite pour leur production, les émissions de CO2 qui leur sont associées sont moindres si l’on effectue une analyse de cycle de vie.
Autre atout : ils contiennent moins de soufre et de composés aromatiques précurseurs de particules comme la suie, favorable à la formation de traînées de condensation. Plusieurs expériences, dont certaines menées par le Conseil national de recherches du Canada (CNRC), ont détecté une plus faible concentration de ces aérosols à la queue d’aéronefs alimentés par ces carburants. « C’est très difficile à mesurer en vol et il y a beaucoup d’incertitude », nuance toutefois Pervez Canteenwalla, chef du programme Aviation à faible émission au CNRC.
Si des compagnies aériennes, dont Air Canada et Air France, ont publicisé certains vols effectués avec ces carburants de nouvelle génération, leur production actuelle ne pourrait combler que 0,05% des besoins.
Qu’à cela ne tienne, l’Union européenne a adopté un règlement en juillet 2022 pour qu’ils représentent 6 % du ravitaillement dans ses aéroports en 2030. Comme les carburants de synthèse demandent encore beaucoup de recherche et de développement, « une cible plus haute nécessiterait de se rabattre sur les biocarburants », met en garde Nikita Pavlenko, expert en la matière pour l’International Council on
Clean Transportation (ICCT), un organisme indépendant publiant des avis techniques et scientifiques. « Cela exigerait l’exploitation de plus de terres agricoles et contribuerait à la déforestation. Dans certains cas, les émissions de GES pourraient devenir pires qu’avec l’utilisation du pétrole. »
Après un passage à l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), Alexandru Iordan a réalisé le même constat en effectuant des projections sur la demande anticipée en biocarburant en tant que directeur principal au Groupe Conseil Carbone.
« J’étais choqué », raconte-t-il. C’est ce qui l’a motivé à se lancer dans la production d’un électrocarburant. En 2018, il a cofondé le Consortium SAF+ et réuni autour de ce projet des partenaires comme Aéroports de Montréal, Air Transat et Polytechnique Montréal.
Dans son usine pilote de Montréal-Est, il récupère d’abord le CO2 relâché par la cheminée de l’usine d’hydrocarbures voisine. Son procédé dissocie le carbone de l’oxygène, pour ensuite le mélanger à de l’hydrogène produit grâce à l’électrolyse de l’eau. Le gaz de synthèse obtenu est alors passé dans un réacteur pour en tirer un carburant liquide.
L’AVENIR SERAITIL ÉCRIT DANS L’HYDROGÈNE ?
Si ces nouveaux carburants dits «durables » sont intéressants, « on pense que ce ne sera pas suffisant», lance Stéphane Azam, gestionnaire du programme Zéro émission chez Airbus. L’avionneur français s’est donc donné une cible plus ambitieuse : mettre en service d’ici 2035 un avion de 100 à 200 sièges propulsé à l’hydrogène.
Les trois aéronefs considérés pourront parcourir de 1 800 à 3 700 kilomètres, soit au mieux la distance entre Montréal et Vancouver. Deux systèmes demeurent à l’étude. L’un consiste à injecter l’hydrogène dans une chambre à combustion, comme on le fait avec le kérosène. L’autre s’articule autour de piles à combustible, qui convertiraient l’hydrogène en énergie électrique.
Chose certaine, cet avion n’émettra aucun carbone en vol. La chambre à combustion peut toutefois générer des oxydes d’azote. L’eau, qui constituera le principal rejet, risque quant à elle de toujours former des traînées de condensation.
Un banc d’essai prévu d’ici 2026 mettra les choses au clair. Un moteur à combustion d’hydrogène sera installé sur une poutre à l’arrière d’un Airbus A380 pour voir ce qui en sera évacué, et des réservoirs et un système de distribution à l’intérieur d’un appareil seront aussi testés.
Les défis techniques, en effet, ne manquent pas. Trois fois plus léger que le kérosène, l’hydrogène prend cependant quatre fois plus de volume pour fournir la même énergie. Et ça, c’est lorsqu’on le maintient sous forme liquide, état dans lequel il occupe le moins d’espace. Pour y arriver, il faut le conserver à des températures sous -253 °C, ce qui exige des réservoirs mieux isolés et un stockage cryogénique dans les aéroports.
Autre souci : la vaste majorité de l’hydrogène reste produite à partir d’hydrocarbures. Stéphane Azam assure qu’Airbus discute déjà avec des fournisseurs pour obtenir suffisamment d’hydrogène dit « vert », c’està-dire fabriqué à partir d’eau et d’électricité de source renouvelable.
Les besoins en énergie s’annoncent néanmoins colossaux. Dans un document publié en 2020, l’ICCT estime que la demande d’énergie pour produire les biocarburants, les électrocarburants et l’hydrogène nécessaires à l’alimentation de la flotte aérienne mondiale en 2050 équivaudra à toute l’électricité générée par des sources renouvelables en 2019 ! Ce qui soulève une question : pourquoi ne pas tout simplement électrifier les avions ?