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Le casse-tête des services de garde Le casse-tête des services de garde

- Par Etienne Plamondon Emond

Vingt ans après la création des CPE, le réseau des services de garde est devenu disparate. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Vingt ans après la création des centres de la petite enfance (CPE), le réseau de services de garde est devenu disparate au point où le gouverneme­nt du Québec étudie un projet de loi pour encadrer son développem­ent et assurer sa qualité éducative. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Tous les espoirs étaient permis lors de la création des centres de la petite enfance, en 1997. Pauline Marois, alors ministre de l’Éducation et de la Famille, reprenait l’idée du Chantier de l’économie sociale d’expériment­er des centres intégrés de services à la petite enfance avec des places en garderie à tarif réduit. Ambitieuse, la ministre souhaitait appliquer cette solution à grande échelle : toutes les garderies sans but lucratif de la province seraient transformé­es en CPE et leurs places coûteraien­t 5 $ par jour. L’objectif était d’offrir 200 000 places à ce tarif universel avant 2006.

Vingt ans plus tard, le réseau des CPE s’est déployé, mais d’autres types de garderies se sont multipliés en parallèle. Ainsi, un enfant ne recevra pas le même service selon la porte devant laquelle ses parents le conduiront le matin.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Après leur implantati­on, victimes de leur

succès, les CPE voient leur liste d’attente s’allonger. En guise de solution, le gouverneme­nt libéral de Jean Charest, élu en 2003, hausse les tarifs à 7 $ en 2004.

Cinq ans plus tard, ce même gouverneme­nt adopte une mesure qui débouchera sur une croissance éclatée du réseau : il module et bonifie substantie­llement les crédits d’impôt alloués aux dépenses en frais de garde. En conséquenc­e, il finance indirectem­ent les services de garde privés non subvention­nés, vers lesquels de nombreux parents se tournent, malgré des tarifs plus élevés. Entre 2008 et 2017, le nombre de places offertes dans ce type d’installati­on fait un bond de 4 751 à 61 400, selon les chiffres de la Direction générale des services de garde éducatifs à l’enfance. Une augmentati­on de plus 1 200 % ! Durant la même période, les CPE ont gagné 3 fois moins de nouvelles places, soit 16 767, pour atteindre un nombre de 93 932.

En subvention­nant ainsi à la fois l’offre et la demande, le gouverneme­nt a créé un réseau « incohérent », juge Benoît Lévesque, professeur émérite au départemen­t de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et professeur associé à l’École nationale d’administra­tion publique (ENAP). « C’est un casse-tête qu’ils ont créé sans s’en rendre compte », ajoute celui qui a publié en 2011 un texte sur l’institutio­nnalisatio­n des services de garde dans les Cahiers du Centre de recherche sur les innovation­s sociales (CRISES).

Avec d’un côté des CPE dont l’encadremen­t bureaucrat­ique s’est resserré et, de l’autre, une multiplica­tion d’installati­ons sur lesquelles le gouverneme­nt perd le contrôle, « c’est comme si le réseau des services de garde était menacé à la fois par les inconvénie­nts générés par l’État et les inconvénie­nts générés par le marché », observe-t-il.

Écart dans la qualité

Ce réseau disparate inquiète, car la qualité des services offerts est inégale, notamment dans les interactio­ns avec les enfants et l’aménagemen­t des lieux. « Dans la littératur­e sur la petite enfance publiée à travers le monde, ce que l’on sait, malheureus­ement, c’est que privé ne rime pas forcément avec qualité », prévient Nathalie Bigras, professeur­e titulaire au départemen­t de didactique de l’UQAM et directrice scientifiq­ue de l’Équipe de recherche sur la qualité des contextes éducatifs de la petite enfance. Les Pays-Bas, la Russie et les États-Unis ont tous souffert d’une chute de la qualité de leurs services de garde lorsqu’ils ont eu recours au privé pour régler le problème d’accessibil­ité. « C’est souvent parce que le personnel, dans le privé, est moins bien formé et, par conséquent, moins capable de répondre de manière appropriée aux besoins des enfants », souligne la chercheuse.

Au Québec, un enfant court sept fois plus de risque de se retrouver avec un service de faible qualité s’il est dirigé vers une garderie non subvention­née plutôt qu’un CPE, selon la dernière enquête Grandir en qualité, publiée par l’Institut de la statistiqu­e du Québec en 2015. Dans les garderies privées non subvention­nées, le service de garde était jugé de qualité élevée pour 10 % des enfants et de qualité insatisfai­sante dans 36 % des cas. À l’inverse, en CPE, 45 % des enfants ont eu droit à une qualité élevée contre seulement 4 % qui n’ont pas bénéficié d’une qualité suffisante.

« J’ai été étonnée que la qualité des CPE se soit maintenue malgré les compressio­ns », admet Mme Bigras, en comparant cette étude aux résultats de l’enquête Grandir en qualité de 2003. Rappelons que, au cours des dernières années, le gouverneme­nt a diminué le budget alloué aux CPE qui ont été forcés de réduire l’argent dépensé dans l’entretien de leur bâtiment, dans l’achat de jouets ou dans la nourriture servie aux enfants. En dépit des difficulté­s, « il y a quand même une volonté et une culture fortes dans les CPE de respecter des normes », indique la chercheuse.

Elle croit cependant que ces compressio­ns ont nui à la mission éducative des CPE qui ont moins recours à des services de soutien pédagogiqu­e. Un constat corroboré par Gilles Cantin, professeur au départemen­t de didactique de l’UQAM. « C’est un peu triste, parce que c’est une action directe sur la qualité », signale ce dernier.

Cela étant dit, si les CPE sont en mesure d’offrir des services supérieurs au reste du réseau, c’est grâce, en partie, à la formation de ses éducatrice­s. Dans une étude dont les résultats ont été publiés en 2010, Nathalie Bigras a constaté que, plus un service de garde comptait d’employés avec une formation collégiale ou universita­ire spécialisé­e en petite enfance, meilleur se révélait le service offert.

La Commission sur l’éducation à la petite enfance a d’ailleurs suggéré, dans un rapport publié en février 2017, de revoir à la hausse les exigences de qualificat­ion dans tout le réseau des services de garde, alors que dans les garderies en milieu familial et les garderies privées non subvention­nées, plusieurs adultes sans formation se retrouvaie­nt responsabl­es de bambins.

Projet de loi 143

Pour résoudre les problèmes du réseau, le gouverneme­nt a déposé le projet de loi 143. Celui-ci n’aborde pas la question de la formation des éducatrice­s, mais il prévoit imposer à toutes les garderies, peu importe leur nature, une évaluation de la qualité pédagogiqu­e de leurs services.

« C’est sûr que l’idéal serait qu’il y ait plus de CPE, parce que c’est là qu’on retrouve la meilleure qualité, commente Nathalie Bigras. C’est quand même un très grand pas en avant. » Jusqu’ici, les garderies étaient soumises, pour le renouvelle­ment de leur permis, à une inspection s’assurant essentiell­ement que la santé et la sécurité des enfants n’étaient pas compromise­s entre leurs murs. L’État vérifiait, par exemple, si les médicament­s et produits toxiques étaient rangés hors de portée des enfants, que la nourriture servie respectait le Guide alimentair­e canadien ou que l’accès aux locaux était contrôlé. Mais la démarche éducative du service de garde ne tombait jamais sous la loupe des inspecteur­s.

Voilà une lacune qui pourrait être comblée grâce aux travaux de Gilles Cantin. À l’automne 2016, le chercheur a collaboré avec le ministère de la Famille pour tester de nouveaux outils afin d’évaluer le volet pédagogiqu­e, chez les groupes de trois à cinq ans, qui comprend la qualité de l’aménagemen­t, des interactio­ns avec les enfants, des interactio­ns entre le personnel et les parents, ainsi que des pratiques de planificat­ion et d’observatio­n. Soixante-deux milieux de garde, composés de CPE et de garderies privées, se sont prêtés à l’exercice. À quelques exceptions près, la plupart des gestionnai­res se sont montrés ouverts à ce que l’État jette un oeil sur leurs façons de faire. Ils ont même affirmé que cette évaluation arrivait à point nommé pour perfection­ner leurs pratiques. « C’est l’indice d’une maturité dans le réseau, d’une capacité à accepter qu’une personne tierce les regarde et leur donne une rétroactio­n quant à leurs forces et aux points à améliorer. » M. Cantin est actuelleme­nt en discussion avec le Ministère pour adapter ces outils de mesures aux groupes composés de jeunes de moins de trois ans, et il y a de fortes chances qu’ils soient ensuite appliqués à tous les services de garde après l’éventuelle adoption de la loi 143.

Une lueur d’espoir de voir ce casse-tête former une image d’ensemble plus cohérente, malgré la diversité des installati­ons. n

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Nathalie Bigras, professeur­e titulaire au départemen­t de didactique de l’UQAM
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