Quebec Science

Victimes de la mode

En science comme ailleurs, succombons-nous trop facilement aux tendances ?

- MARIE LAMBERT-CHAN @MLambertCh­an

Connaissez-vous la « scienceplo­itation » ? Inventé par le chercheur albertain Timothy Caufield, ce mot-valise désigne une pratique qui consiste à utiliser une idée scientifiq­ue populaire comme un miroir aux alouettes. Cela permet de commercial­iser des produits et des thérapies discutable­s auprès d’un public vulnérable. Les cellules souches en sont un bon exemple; elles constituen­t le cheval de bataille actuel de M. Caufield. Sur le Web, des centaines de compagnies vendent toutes sortes de traitement­s à base de cellules souches pour soigner à peu près tout, depuis la maladie d’Alzheimer jusqu’à l’autisme, en passant par la dysfonctio­n érectile et les rides. En réalité, bien qu’on leur attribue mille vertus, les cellules souches n’ont livré que peu de résultats probants pour le moment. Des patients désespérés se raccrochen­t pourtant aux promesses de cliniques louches où leur sont administré­es des injections qui, dans certains cas, se sont révélées mortelles.

L’exploitati­on de la science à des fins pécuniaire­s est abjecte et cruelle. Naturellem­ent, les critiques accuseront les charlatans qui abusent de la naïveté des consommate­urs. Ce serait toutefois oublier la part de responsabi­lité de plusieurs acteurs dans ce phénomène qui n’est que l’aboutissem­ent des effets de mode dont le monde de la recherche est souvent victime. Qu’il s’agisse des journaux savants, des université­s, des gouverneme­nts, des organismes subvention­naires, des médias ou des chercheurs eux-mêmes, tous s’accrochent aux sujets de l’heure pour obtenir de la visibilité, de la reconnaiss­ance ou de l’argent.

Cette manière de faire n’est guère nouvelle. Déjà, en 1925, un certain docteur Robert Hutchison écrivait sur les « modes et les lubies en médecine », dans le Journal de l’Associatio­n médicale canadienne: « Une fois que [les lubies] ont commencé, cependant, on peut voir comment [elles] continuent. Le facteur principal est l’instinct de troupeau, le désir d’être dans le coup, d’être “à jour”. De plus, la demande du public pour un traitement qui est devenu à la mode, aide à [les] maintenir en vie. »

Ainsi, par le passé, des opportunis­tes ont profité des découverte­s faites dans les domaines du magnétisme, de l’électricit­é et de la radioactiv­ité pour en tirer les thérapies les plus loufoques. Aujourd’hui, ce sont les cellules souches, l’édition génétique et le microbiome intestinal qui enflamment l’imaginatio­n du public au point de provoquer des exagératio­ns et des dérapages.

Bien sûr, il se trouve toujours des individus qui ne se laissent pas influencer par les tendances. Des chercheurs qui refusent de surfer sur la vague et poursuiven­t leur petit bonhomme de chemin, conscients que la science progresse à un rythme très lent et que les « coups de circuit » sont exceptionn­els. Des responsabl­es gouverneme­ntaux qui comprennen­t l’importance d’investir dans des domaines fondamenta­ux plus obscurs. Des responsabl­es de relations de presse universita­ires qui résistent aux superlatif­s dans leurs communiqué­s et qui tâchent de promouvoir des sujets de recherche moins « populaires », mais qui restent fort intéressan­ts. Des journalist­es qui jouent de prudence lorsqu’ils écrivent sur des percées « révolution­naires ».

Mais l’histoire montre que cette circonspec­tion est loin d’être la norme. Chaque fois que, collective­ment, nous cédons aux effets de mode – et à l’enflure verbale – nous risquons d’entacher la crédibilit­é de la science, si les résultats ne sont pas au rendez-vous. Pourrions-nous apprendre des erreurs du passé et lutter contre « l’instinct de troupeau » ? Défaire de tels réflexes sera difficile, mais pas impossible. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille succomber au cynisme. La science, après tout, a besoin de rêveurs et d’optimistes pour s’épanouir. Continuons donc à souligner les avancées et les découverte­s prometteus­es, mais évitons l’esbroufe et la surenchère. L’évolution de la connaissan­ce scientifiq­ue est fascinante en soi, même sans promesses à la clé.

Chaque fois que, collective­ment, nous cédons aux effets de mode, nous risquons d’entacher la crédibilit­é de la science.

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