Ce que les mots disent de nous
Les algorithmes utilisés dans les systèmes d’intelligence artificielle dépendent des données avec lesquelles ils sont programmés. Or, celles-ci contiennent parfois des biais sociaux que ces systèmes contribuent à renforcer. Bien qu’il soit possible de les retirer de manière systématique, des scientifiques ont plutôt cherché à s’en servir pour mieux comprendre l’impact des mouvements sociaux sur certains stéréotypes.
Ces chercheurs de Stanford ont utilisé un algorithme capable de détecter l’évolution des biais ethniques et genrés aux ÉtatsUnis au cours du XXe siècle. Ils ont appliqué la technique de plongement lexical pour cartographier les liens entre les mots issus de livres et de journaux. Ils ont pu ainsi corréler certains changements linguistiques avec de grands schismes sociaux, comme le mouvement féministe des années 1960 et les vagues d’immigration issue de pays asiatiques des années 1960 et 1980.
Certains résultats sont encourageants, d’autres le sont moins. Par exemple, dans la première partie du XXe siècle, les adjectifs « intelligent », « logique » ou « réfléchi » étaient davantage attribués aux hommes; mais, depuis les années 1960, ils sont de plus en plus souvent associés aux femmes. Cela dit, quand on observe les adjectifs les plus fréquents pour décrire les femmes entre 1910 et 1990, l’évolution est plus étrange. On est passé de « charmante », « placide » et « délicate » à « maternelle », « morbide » (?) et « artificielle ». Vive le progrès !
La recherche s’est aussi attardée aux stéréotypes des populations asiatiques qui sont passées des adjectifs « barbares », « monstrueux » et « cruels » à « inhibés », « passifs » et « sensibles » au cours du
XXe siècle. Comme quoi, les stéréotypes évoluent, mais ne disparaissent pas. Et le langage courant les absorbe, tel un témoin des moeurs et attitudes d’une époque.
Voilà un terreau fertile qui permet d’envisager des analyses sociologiques à une tout autre échelle, grâce à l’apprentissage-machine. Peut-être que, dans 20 ans, on se rendra compte de l’effet positif du mouvement #MoiAussi sur notre discours collectif à propos des femmes.
Si on pouvait remplacer « morbide » par « résiliente », ce serait déjà ça de gagné.