Quebec Science

Doit-on s’inquiéter (encore) du clonage humain ?

La naissance, début 2018, de deux singes clonés pourrait relancer le débat, complexe, sur l’éthique du clonage humain.

- NORMAND BAILLARGEO­N @nb58

Au début de l’année, on a annoncé en Chine la naissance par clonage de deux macaques. Une première, puisque aucun primate n’avait pu être cloné jusqu’ici par la technique du « transfert de noyau de cellules somatiques ».

C’est cette méthode qui avait permis, en 1996, de créer la fameuse brebis Dolly. En bref, cela consiste à vider un ovule de son matériel génétique, et à y insérer à la place un noyau contenant l’ADN d’un individu adulte, créant ainsi une copie conforme dudit individu.

Après la naissance de Dolly, premier mammifère cloné, un vent de panique avait soufflé et on avait rapidement, ici et là, mis des moratoires sur la pratique du clonage humain. Cela n’a pas empêché les chercheurs de cloner, depuis, de nombreuses espèces de mammifères; ni la chanteuse Barbra Streisand, il y a peu, de payer 50000$ pour faire cloner son chien.

Mais la naissance de ces deux macaques remettra sans doute les débats éthiques à l’ordre du jour, car elle constitue un pas de plus vers le clonage humain. Tant mieux, mais, disons-le, les questions posées dans ce dossier sont d’une complexité largement inédite.

Il arrive en effet – et le cas du clonage en est un exemple édifiant – que des technologi­es présentent des dimensions à ce point nouvelles qu’elles nous confronten­t aux limites de nos intuitions morales.

Pourtant, quand de tels enjeux sont discutés, bien des participan­ts au débat tendent à s’en remettre à un certain grand principe, qu’on applique mécaniquem­ent au problème discuté. On ne saisit pas toujours toute la complexité et les rami fications, parfois étonnantes, du sujet avant de conclure au caractère moral ou immoral de la procédure. Cette manière de faire se retrouve dans le grand public, bien entendu, et aussi dans les médias; mais elle n’est pas non plus totalement absente des discussion­s plus savantes.

Des exemples ? Un croyant enjoint les scientifiq­ues de ne pas se prendre pour Dieu et, invoquant un principe religieux, demande que l’on interdise non seulement le clonage reproducti­f, mais aussi le clonage thérapeuti­que qui permet d’obtenir des cellules souches.

Inspiré par le philosophe Emmanuel Kant, un humaniste insiste pour rappeler la dignité de la personne qui interdit qu’on traite un individu comme un simple objet et s’insurge donc contre les deux types de clonage humain.

Un autre rappelle que chacun a un droit

fondamenta­l relativeme­nt à son identité personnell­e et que le clonage reproducti­f doit donc être rigoureuse­ment interdit.

Un autre encore, utilitaris­te, en mesure plutôt les bienfaits et les conséquenc­es négatives, estimant le bilan positif et approuvant la pratique.

Dans tous ces exemples, on pense et on juge ce que signifie le clonage (notamment humain) à l’aide de normes qui ont été formulées dans un contexte où la technique était inimaginab­le. Pour cette raison, on passe à côté de dimensions qu’il nous faut pourtant prendre en compte et méditer.

OÙ TRACER LA LIMITE ?

Notre sens de l’identité, de sa nature et de sa dignité est profondéme­nt secoué par la perspectiv­e de créer un clone humain. Mais en quel sens précis faut-il entendre le terme « identité » ? Comme nous l’enseigne la science, elle résulte du jeu complexe de la génétique et de l’environnem­ent.

Ne pas traiter autrui comme un moyen est un beau principe. Mais la transplant­a- tion d’organes, le recours aux mères porteuses et d’autres pratiques le mettent déjà à mal. Où tracer la frontière et pourquoi ?

Quant au principe religieux, doit-il vraiment être érigé en norme collective pour interdire de tirer d’un embryon humain du matériel pour transplant­er, soigner, étudier ou expériment­er ? Et si cet interdit vaut pour le clonage, pourquoi ne vaut-il pas aussi pour des embryons surnumérai­res issus des fécondatio­ns in vitro déjà utilisés pour la recherche ?

Doit- on s’en remettre à un calcul coûts/bénéfices, alors ? Avec le clonage thérapeuti­que, on a bien des pistes prometteus­es pour guérir des affections aujourd’hui incurables comme le diabète, les maladies cardiaques, le parkinson, l’alzheimer; sans oublier qu’elles feront énormément pour limiter les rejets en cas de transplant­ation.

Enfin, si les enjeux et le contexte sont nouveaux, il ne faudrait pas oublier que les dangers liés à ces techniques sont eux aussi inédits, voire imprévisib­les, et pas seulement parce que ces procédures ne sont pas au point. Déjà, on sait qu’il faut un grand nombre d’essais avant de réussir le clonage. Ainsi, on a mené pas moins de 277 essais pour obtenir Dolly qui a, de surcroît, eu une vie très brève pour une brebis (6 ans au lieu de 11 ou 12). Il ne faudrait pas oublier non plus ce que peut signifier, en pratique, une logique qui conduirait à faire en sorte que ces technologi­es soient offertes seulement à qui peut se les payer.

Je dois le dire, sur nombre des questions que pose le clonage humain, je n’ai pas de réponse claire et assurée, voire même pas un début de réponse.

Ce dont je suis cependant persuadé, c’est que le débat doit se poursuivre. Il faut que toute réflexion sur ces questions rassemble non seulement le plus grand nombre possible de participan­ts, mais aussi elle doit être scientifiq­uement informée et être ouverte à l’idée que les réponses éthiques traditionn­elles rencontrer­ont peut-être là leurs limites.

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