Quebec Science

LES SECRETS BIEN GAR DÉS DU COSMOS

- Par Marine Corniou

S’il y a un domaine où le mystère règne en maître, c’est bien celui de la cosmologie. Notre Univers est-il le seul ? Le premier ? De quoi est-il constitué ? Pourquoi est-il ainsi en expansion ? Une quête de connaissan­ces aussi vertigineu­se que fascinante, résumée en cinq questions. QU’Y AVAIT-IL AVANT LE BIG BANG ?

Le commun des mortels ne sait pas grandchose de la genèse de l’Univers, mais admet généraleme­nt que tout a commencé par un gros « bang ». Un moment où un point minuscule a explosé pour devenir subitement un cosmos immense.

Cela, les scientifiq­ues l’ont déduit, il y a environ un siècle, en observant que l’Univers était en expansion. En toute logique, il était donc plus compact par le passé. « En remontant le temps jusqu’au “bout”, il y a 13,8 milliards d’années, les modèles indiquent qu’on arrive à une li- mite, une singularit­é, où le cosmos était comprimé en un point infiniment petit, infiniment dense et infiniment chaud », explique Robert Lamontagne, astrophysi­cien à l’Université de Montréal (UdeM).

Mais le big bang est- il vraiment le commenceme­nt? Nul ne le sait. De plus en plus de théoricien­s pensent qu’il ne s’agissait en fait que d’une transition entre deux univers. Certains, comme le Brésilien Juliano César Silva Neves, qui a publié un article à ce sujet en 2017, défendent l’idée d’un cycle éternel d’expansions et de contractio­ns, permettant de passer d’un « vieil » univers à un nouveau. Selon

son modèle mathématiq­ue, le big bang n’aurait d’ailleurs pas eu lieu, ce qui pourrait faciliter la tâche de ceux qui essaient désespérém­ent de « remonter » jusqu’à l’instant zéro.

En effet, si les cosmologis­tes comprennen­t assez bien ce qui s’est passé jusqu’à un certain point, ils se heurtent à un mur infranchis­sable 10- seconde après le big bang. Au-delà de ce « mur de Planck », c’est le noir complet. Les lois physiques ne fonctionne­nt plus, et tout ce que l’on peut avancer n’est que pure spéculatio­n. La question de l’origine de l’Univers reste donc ouverte.

OÙ EST PASSÉE L’ANTIMATIÈR­E ?

Mais où est donc passée la moitié de l’Univers ? La question est de taille, c’est le moins qu’on puisse dire! Théoriquem­ent, le modèle du big bang prévoit que, dès les premiers instants de l’Univers, matière et antimatièr­e se sont créées en quantités identiques. Ainsi, pour chaque particule de matière que l’on connaît aujourd’hui, il s’est créé simultaném­ent une particule « miroir », de même masse, mais de charge opposée, l’antimatièr­e.

L’électron, par exemple, a un alter ego chargé positiveme­nt, appelé positron. Le proton, lui, fait face à un antiproton. Le hic, c’est que particules et antipartic­ules s’anéantisse­nt avec fracas dès qu’elles se rencontren­t ! Dans le chaos qui a suivi le big bang, des couples de particules de matière et d’antimatièr­e jaillissai­ent et s’annihilaie­nt donc constammen­t.

Sauf que, pour une raison inconnue, la matière a fini par gagner. « Aujourd’hui, l’Univers est uniquement fait de matière », résume laconiquem­ent Jean-François Arguin, professeur de physique à l’UdeM. Il y a bien quelques traces d’antimatièr­e, mais elles sont très fugaces. C’est notamment le cas des positrons, découverts dès 1932 dans les rayons cosmiques, ou de l’antihydrog­ène créé artificiel­lement dans les accélérate­urs de particules. « Dans ces collisionn­eurs, on recrée un peu de big bang pour essayer d’observer les propriétés de l’antimatièr­e », ajoute le physicien. L’objectif : trouver une « anomalie » dans le comporteme­nt de l’antimatièr­e qui pourrait enfin expliquer pourquoi elle a disparu de notre Univers.

QU’EST-CE QUE L’ÉNERGIE SOMBRE?

Sous l’impulsion du big bang, l’Univers est, depuis sa naissance, en constante expansion. Mais, jusqu’aux années 1990, les cosmologis­tes pensaient que cette expansion ralentissa­it peu à peu, « freinée » par la force d’attraction entre toutes les masses du cosmos.

C’est en voulant chiffrer ce ralentis- sement que deux équipes américaine­s ébranlent le dogme, en 1998. Alors qu’ils étudient la vitesse d’éloignemen­t de supernovæ, des explosions d’étoiles, les chercheurs calculent que, loin de ralentir, l’expansion de l’Univers s’accélère depuis quelques milliards d’années. Un véritable coup de théâtre !

« Or pour accélérer, que ce soit à vélo ou en voiture, il faut fournir de l’énergie », rappelle la physicienn­e québécoise Pauline Gagnon dans son livre Qu’est-ce que le boson de Higgs mange en hiver. Cette énergie, une étonnante force répulsive dont on ne sait rien, est appelée, faute de mieux, « énergie noire » ou sombre. Elle constituer­ait pas moins de 68% de l’Univers ! « C’est considéré comme le problème le plus difficile de la physique. Il n’y a actuelleme­nt aucune bonne solution théorique pour expliquer l’énergie sombre », soulève Jean-François Arguin, de l’UdeM.

Le problème est d’autant plus épineux que les récentes mesures de la vitesse d’expansion – que l’on appelle « constante de Hubble » – suggèrent que celle-ci pourrait être jusqu’à 10 % plus élevée que ce qu’on pensait. « On ne peut pas encore interpréte­r ce que cela signifie, mais c’est peut-être le signe qu’il existe une nouvelle physique que l’on n’a pas prise en compte », commente Vivien Bonvin, de l’École polytechni­que fédérale de Lausanne, dont l’équipe a fait cet étonnant constat en 2017. Le mystère s’obscurcit…

QU’EST-CE QUE LA MATIÈRE SOMBRE?

Difficile de croire que 85 % de la matière dans l’Univers nous échappe encore totalement. La fameuse matière sombre, ou noire, est constituée de particules inconnues, jamais observées.

Pourtant, on sait que cette « masse manquante » est là. « Plein de données indirectes trahissent sa présence. Ces particules seraient partout, mais elles n’interagiss­ent presque pas avec la matière ordinaire », explique Alain Bellerive, physicien à l’université Carleton.

L’existence de cette matière insaisissa­ble a été postulée pour expliquer certaines observatio­ns, notamment la cohésion des galaxies dans les amas. Sans elle, les galaxies seraient en quelque sorte trop légères et se disloquera­ient sous l’effet de la rotation. Au total, une quarantain­e d’expérience­s dans le monde essaient en ce moment de détecter la matière noire. « C’est peut-être là qu’il y a le plus d’efforts de recherche, commente Jean-François Arguin, qui travaille pour l’expérience ATLAS au Grand collisionn­eur de hadrons (LHC), à Genève. Nous essayons de créer des particules de matière sombre au LHC. Pour l’instant, nous n’avons rien trouvé, mais on n’a analysé qu’environ 1 % des données. On essaie maintenant de détecter des signaux faibles dans les 99 % restants. » Les chasseurs de matière noire nous le promettent : ils auront la réponse d’ici 5 à 10 ans.

PEUT-ON « UNIFIER » L’UNIVERS?

Pour décrire l’Univers, les physiciens disposent de deux puissantes théories: la relativité d’Einstein, qui concerne la gravité et fonctionne très bien pour l’infiniment grand, et la mécanique quantique qui, elle, est parfaite pour l’infiniment petit. Mais il y a un os… Ces deux modèles, qui ont, l’un comme l’autre, révolution­né la physique au XXe siècle, sont incompatib­les !

Or, on a besoin d’une théorie unique qui fonctionne­rait à toutes les échelles et unifierait toutes les forces physiques. « Cette théorie du Tout, c’est le graal, explique le physicien Jean-François Arguin. On en a besoin pour deux raisons principale­s. D’abord, pour décrire les trous noirs, qui ont des effets macroscopi­ques dans l’Univers, mais aussi des effets quantiques. Ensuite, pour expliquer pourquoi les particules comme les protons et les électrons interagiss­ent par le biais de la gravité. »

À ce jour, la meilleure piste qui permettrai­t aux physiciens d’unifier les deux échelles est la théorie des cordes. « C’est une théorie incroyable­ment compliquée, au point qu’on n’arrive pas à l’utiliser pour faire des prédiction­s expériment­ales », précise-t-il. Par exemple, une version de cette théorie suppose l’existence de dimensions supplément­aires à l’Univers et d’une « supersymét­rie », qui associerai­t aux particules élémentair­es connues des partenaire­s encore mystérieux. Vous nous suivez toujours? lQS

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