LES SECRETS BIEN GAR DÉS DU COSMOS
S’il y a un domaine où le mystère règne en maître, c’est bien celui de la cosmologie. Notre Univers est-il le seul ? Le premier ? De quoi est-il constitué ? Pourquoi est-il ainsi en expansion ? Une quête de connaissances aussi vertigineuse que fascinante, résumée en cinq questions. QU’Y AVAIT-IL AVANT LE BIG BANG ?
Le commun des mortels ne sait pas grandchose de la genèse de l’Univers, mais admet généralement que tout a commencé par un gros « bang ». Un moment où un point minuscule a explosé pour devenir subitement un cosmos immense.
Cela, les scientifiques l’ont déduit, il y a environ un siècle, en observant que l’Univers était en expansion. En toute logique, il était donc plus compact par le passé. « En remontant le temps jusqu’au “bout”, il y a 13,8 milliards d’années, les modèles indiquent qu’on arrive à une li- mite, une singularité, où le cosmos était comprimé en un point infiniment petit, infiniment dense et infiniment chaud », explique Robert Lamontagne, astrophysicien à l’Université de Montréal (UdeM).
Mais le big bang est- il vraiment le commencement? Nul ne le sait. De plus en plus de théoriciens pensent qu’il ne s’agissait en fait que d’une transition entre deux univers. Certains, comme le Brésilien Juliano César Silva Neves, qui a publié un article à ce sujet en 2017, défendent l’idée d’un cycle éternel d’expansions et de contractions, permettant de passer d’un « vieil » univers à un nouveau. Selon
son modèle mathématique, le big bang n’aurait d’ailleurs pas eu lieu, ce qui pourrait faciliter la tâche de ceux qui essaient désespérément de « remonter » jusqu’à l’instant zéro.
En effet, si les cosmologistes comprennent assez bien ce qui s’est passé jusqu’à un certain point, ils se heurtent à un mur infranchissable 10- seconde après le big bang. Au-delà de ce « mur de Planck », c’est le noir complet. Les lois physiques ne fonctionnent plus, et tout ce que l’on peut avancer n’est que pure spéculation. La question de l’origine de l’Univers reste donc ouverte.
OÙ EST PASSÉE L’ANTIMATIÈRE ?
Mais où est donc passée la moitié de l’Univers ? La question est de taille, c’est le moins qu’on puisse dire! Théoriquement, le modèle du big bang prévoit que, dès les premiers instants de l’Univers, matière et antimatière se sont créées en quantités identiques. Ainsi, pour chaque particule de matière que l’on connaît aujourd’hui, il s’est créé simultanément une particule « miroir », de même masse, mais de charge opposée, l’antimatière.
L’électron, par exemple, a un alter ego chargé positivement, appelé positron. Le proton, lui, fait face à un antiproton. Le hic, c’est que particules et antiparticules s’anéantissent avec fracas dès qu’elles se rencontrent ! Dans le chaos qui a suivi le big bang, des couples de particules de matière et d’antimatière jaillissaient et s’annihilaient donc constamment.
Sauf que, pour une raison inconnue, la matière a fini par gagner. « Aujourd’hui, l’Univers est uniquement fait de matière », résume laconiquement Jean-François Arguin, professeur de physique à l’UdeM. Il y a bien quelques traces d’antimatière, mais elles sont très fugaces. C’est notamment le cas des positrons, découverts dès 1932 dans les rayons cosmiques, ou de l’antihydrogène créé artificiellement dans les accélérateurs de particules. « Dans ces collisionneurs, on recrée un peu de big bang pour essayer d’observer les propriétés de l’antimatière », ajoute le physicien. L’objectif : trouver une « anomalie » dans le comportement de l’antimatière qui pourrait enfin expliquer pourquoi elle a disparu de notre Univers.
QU’EST-CE QUE L’ÉNERGIE SOMBRE?
Sous l’impulsion du big bang, l’Univers est, depuis sa naissance, en constante expansion. Mais, jusqu’aux années 1990, les cosmologistes pensaient que cette expansion ralentissait peu à peu, « freinée » par la force d’attraction entre toutes les masses du cosmos.
C’est en voulant chiffrer ce ralentis- sement que deux équipes américaines ébranlent le dogme, en 1998. Alors qu’ils étudient la vitesse d’éloignement de supernovæ, des explosions d’étoiles, les chercheurs calculent que, loin de ralentir, l’expansion de l’Univers s’accélère depuis quelques milliards d’années. Un véritable coup de théâtre !
« Or pour accélérer, que ce soit à vélo ou en voiture, il faut fournir de l’énergie », rappelle la physicienne québécoise Pauline Gagnon dans son livre Qu’est-ce que le boson de Higgs mange en hiver. Cette énergie, une étonnante force répulsive dont on ne sait rien, est appelée, faute de mieux, « énergie noire » ou sombre. Elle constituerait pas moins de 68% de l’Univers ! « C’est considéré comme le problème le plus difficile de la physique. Il n’y a actuellement aucune bonne solution théorique pour expliquer l’énergie sombre », soulève Jean-François Arguin, de l’UdeM.
Le problème est d’autant plus épineux que les récentes mesures de la vitesse d’expansion – que l’on appelle « constante de Hubble » – suggèrent que celle-ci pourrait être jusqu’à 10 % plus élevée que ce qu’on pensait. « On ne peut pas encore interpréter ce que cela signifie, mais c’est peut-être le signe qu’il existe une nouvelle physique que l’on n’a pas prise en compte », commente Vivien Bonvin, de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, dont l’équipe a fait cet étonnant constat en 2017. Le mystère s’obscurcit…
QU’EST-CE QUE LA MATIÈRE SOMBRE?
Difficile de croire que 85 % de la matière dans l’Univers nous échappe encore totalement. La fameuse matière sombre, ou noire, est constituée de particules inconnues, jamais observées.
Pourtant, on sait que cette « masse manquante » est là. « Plein de données indirectes trahissent sa présence. Ces particules seraient partout, mais elles n’interagissent presque pas avec la matière ordinaire », explique Alain Bellerive, physicien à l’université Carleton.
L’existence de cette matière insaisissable a été postulée pour expliquer certaines observations, notamment la cohésion des galaxies dans les amas. Sans elle, les galaxies seraient en quelque sorte trop légères et se disloqueraient sous l’effet de la rotation. Au total, une quarantaine d’expériences dans le monde essaient en ce moment de détecter la matière noire. « C’est peut-être là qu’il y a le plus d’efforts de recherche, commente Jean-François Arguin, qui travaille pour l’expérience ATLAS au Grand collisionneur de hadrons (LHC), à Genève. Nous essayons de créer des particules de matière sombre au LHC. Pour l’instant, nous n’avons rien trouvé, mais on n’a analysé qu’environ 1 % des données. On essaie maintenant de détecter des signaux faibles dans les 99 % restants. » Les chasseurs de matière noire nous le promettent : ils auront la réponse d’ici 5 à 10 ans.
PEUT-ON « UNIFIER » L’UNIVERS?
Pour décrire l’Univers, les physiciens disposent de deux puissantes théories: la relativité d’Einstein, qui concerne la gravité et fonctionne très bien pour l’infiniment grand, et la mécanique quantique qui, elle, est parfaite pour l’infiniment petit. Mais il y a un os… Ces deux modèles, qui ont, l’un comme l’autre, révolutionné la physique au XXe siècle, sont incompatibles !
Or, on a besoin d’une théorie unique qui fonctionnerait à toutes les échelles et unifierait toutes les forces physiques. « Cette théorie du Tout, c’est le graal, explique le physicien Jean-François Arguin. On en a besoin pour deux raisons principales. D’abord, pour décrire les trous noirs, qui ont des effets macroscopiques dans l’Univers, mais aussi des effets quantiques. Ensuite, pour expliquer pourquoi les particules comme les protons et les électrons interagissent par le biais de la gravité. »
À ce jour, la meilleure piste qui permettrait aux physiciens d’unifier les deux échelles est la théorie des cordes. « C’est une théorie incroyablement compliquée, au point qu’on n’arrive pas à l’utiliser pour faire des prédictions expérimentales », précise-t-il. Par exemple, une version de cette théorie suppose l’existence de dimensions supplémentaires à l’Univers et d’une « supersymétrie », qui associerait aux particules élémentaires connues des partenaires encore mystérieux. Vous nous suivez toujours? lQS