C’EST QUAND QU’ON VA OÙ ?
Les migrations animales sont un phénomène impressionnant. Comment les animaux s’orientent-ils ? Et pour aller où, au fait ?
Véronique Lesage connaît le rorqual bleu comme personne. Depuis plusieurs années, cette chercheuse de l’Institut Maurice-Lamontagne « tague » des individus pour suivre leurs migrations. Pourtant, elle ignore comment ces baleines font pour s’orienter ! « Les bélugas migrent en famille, donc on pense que la connaissance est transmise. Pour les autres cétacés, on spécule beaucoup, mais, en réalité, on ne sait pas. Ils suivent peut-être la nourriture, ou font des choix en fonction de leur expérience. »
Le rorqual bleu n’est pas le seul à captiver les chercheurs. En fait, les mécanismes qui permettent à de nombreuses espèces migratrices de trouver leur chemin sont méconnus. Certaines semblent se repérer grâce
aux astres, aux courants marins ou à la géographie. D’autres y parviendraient à l’aide de leur odorat ou de la composition chimique de l’eau.
Une étude menée sur les saumons rouges de la rivière Fraser, en Colombie-Britannique, laisse croire que cette espèce se réfère à une « empreinte magnétique » de l’endroit où elle a accédé à la mer pour la première fois afin de retourner à sa rivière natale afin de s’y reproduire. Comment se forme cette empreinte? Cela reste à éclaircir. Mais chez certains oiseaux, des études récentes suggèrent que le champ magnétique terrestre est détecté par les cryptochromes, des protéines présentes dans leurs yeux.
Il est probable que différents mécanismes soient en jeu selon les espèces, d’après Jean-François Giroux, professeur au département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal. « Et pour chaque espèce, il y a peut-être un mécanisme A et, si ça ne fonctionne pas, le plan B sera utilisé. Mais ce n’est pas facile à démontrer. »
Ensuite, comment les animaux savent-ils que c’est l’heure de filer ? Encore là, c’est flou; ou étonnant. Pour ce qui est de la tortue luth, une petite tache rosée sur sa tête pourrait jouer un rôle, selon un article de 2014 du Journal of Experimental Marine Biology and Ecology. Elle permettrait à la lumière du jour de pénétrer dans le cerveau, plus particulièrement dans la glande pinéale qui régule le sommeil et l’éveil. La tortue serait ainsi informée du changement de saison.
Enfin, le trajet parcouru par plusieurs espèces laisse encore les scientifiques perplexes. Des réponses émergent grâce à la miniaturisation et la sophistication croissante des appareils de localisation qu’on peut accrocher aux animaux. « Ça ouvre la possibilité de suivre même les plus petits oiseaux. On découvre des trajets de migration auxquels on n’aurait pas pensé, ou alors on réalise qu’ils transitent par des endroits insoupçonnés », indique M. Giroux qui s’intéresse aux goélands, bernaches et autres eiders.
Il utilise d’ailleurs un nouveau système dans le cadre d’un projet sur la bernache du Canada dans la région de la baie James. « Les données de localisation s’accumulent sur les consignateurs et, lorsque les oiseaux sont proches d’une tour cellulaire, ces données se téléchargent. C’est comme s’ils nous appelaient ! » Tout cela permettra de déterminer si les bernaches volent au-dessus des terres ou le long de la côte de la baie James pour commencer leur périple vers le sud et si le trajet pour l’aller est le même qu’au retour.
Pour les baleines, surtout celles qui n’ont pas de nageoire dorsale où fixer fermement un émetteur satellite, c’est plus compliqué. « La moitié des appareils tombent avant trois semaines et l’autre moitié peut nous donner des informations pour seulement quelques semaines ou mois, dit Véronique Lesage au sujet des rorquals bleus. C’est peu pour les migrations saisonnières. »
Connaître les parcours migratoires est pourtant essentiel à la conservation des espèces, dont le rorqual bleu, en voie de disparition. lQS