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Migration : l’ASFC ne tient plus à savoir combien d’enfants elle sépare d’un parent

- Brigitte Bureau

L'Agence des services fron‐ taliers du Canada (ASFC) fait marche arrière sur sa promesse de compter tous les enfants qui sont sépa‐ rés d'au moins un parent détenu à des fins d'immi‐ gration.

L'histoire d'un père séparé de ses deux enfants à la fron‐ tière canadienne par l'ASFC avait fait grand bruit, en dé‐ cembre 2020.

Dans ce même reportage, Radio-Canada avait aussi ré‐ vélé qu'au moins 182 enfants avaient été séparés d'un pa‐ rent détenu au Centre de sur‐ veillance de l'immigratio­n à Laval, l'année précédente.

En réaction à ce reportage, l'Agence s'était engagée à compiler pour la première fois de son histoire des statis‐ tiques nationales sur les mi‐ neurs séparés d'au moins un parent détenu.

Or Radio-Canada a appris que l'Agence a adopté une dé‐ finition beaucoup plus étroite des enfants qu'elle a com‐ mencé à compter.

L'ASFC a confirmé à RadioCanad­a que seuls les enfants séparés des deux parents ou d’un tuteur légal sont mainte‐ nant recensés. Ces mineurs sont pris en charge soit par un autre membre de la famille ou par une agence de protec‐ tion de l'enfance.

En d'autres mots, si l'en‐ fant est séparé d'un parent détenu à des fins d'immigra‐ tion, mais qu'il demeure dans la communauté avec l'autre parent, l'Agence n'a plus l'in‐ tention d'en tenir compte.

Selon cette définition grandement resserrée, six mi‐ neurs ont été séparés de leurs parents entre janvier 2022 et juin 2022.

Enfants arrachés à un parent

Je ne crois pas que ces chiffres reflètent l'ampleur et l'étendue de ce problème, af‐ firme en anglais Hanna Gros, de Human Rights Watch, un organisme de défense des droits de la personne. Mme Gros est avocate en droit de l'immigratio­n et spé‐ cialiste des questions liées à la détention des migrants.

Quand vous n'avez pas une définition qui tient compte de la situation des en‐ fants qui sont arrachés à l'un ou l'autre de leurs parents, vous n'êtes même pas en me‐ sure de commencer à recon‐ naître le tort causé par le sys‐ tème.

Il est clair que l'ASFC re‐ vient sur son engagement de compter tous les cas de sépa‐ ration familiale qui résultent de la détention des migrants.

Hanna Gros, avocate, Hu‐ man Rights Watch

Le nombre de migrants en détention a chuté durant la pandémie en raison notam‐ ment de la fermeture des frontières.

En temps normal, l'ASFC emprisonne plus de 8000 mi‐ grants chaque année, dont plusieurs parents.

L’Agence reconnaît que la grande majorité ne repré‐ sente pas un danger pour le Canada. Elle les détient sur‐ tout parce qu'elle craint qu'ils ne se présentent pas à une procédure d'immigratio­n.

Plusieurs études ont docu‐ menté les effets néfastes de la détention chez les migrants. Mme Gros est elle-même l'au‐ teure d’un rapport intitulé Je ne me sentais pas comme un être humain - La détention des personnes migrantes au Canada et son impact en ma‐ tière de santé mentale, publié en juin 2021.

Même après que les en‐ fants ont retrouvé leurs pa‐ rents, les conséquenc­es de la détention ne vont pas juste s’effacer. J'ai interviewé une femme qui a été séparée de ses enfants et elle a raconté comment des années après leurs retrouvail­les, les enfants n’arrêtent pas de lui deman‐ der de promettre qu’elle ne disparaîtr­a pas à nouveau , re‐ late Mme Gros.

Et c'est absolument an‐ goissant pour les parents qui ne savent pas combien de temps ils vont être séparés de leur enfant. Du jour au lende‐ main, ils ne peuvent pas sou‐ haiter bonne nuit à leur en‐ fant, ils ne peuvent pas les ai‐ der à faire leurs devoirs, ils ne peuvent tout simplement pas s'occuper d'eux, dit-elle.

Essentiell­ement, la déten‐ tion prive les parents de leur capacité d’agir comme des forces protectric­es pour leurs enfants, ce qui a des effets dé‐ vastateurs sur la santé men‐ tale des enfants et des pa‐ rents.

L'Agence tenue de pré‐ server l'unité familiale

Pour se conformer au droit internatio­nal, le gouver‐ nement Trudeau a adopté, en 2017, une directive natio‐ nale en vertu de laquelle l'Agence des services fronta‐ liers doit cesser la détention des mineurs et la séparation des parents, sauf dans des cir‐ constances extrêmemen­t li‐ mitées. Selon cette directive, les familles doivent être mises en liberté avec ou sans condi‐ tion, afin de préserver l'unité familiale.

Pour des experts comme Hanna Gros, il est impossible de savoir si l'ASFC respecte ses obligation­s, si l'Agence ne tient pas de statistiqu­es sur les enfants qu'elle sépare d'un parent.

Le bureau du ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, responsabl­e de l'ASFC, n'a pas voulu dire pourquoi il avait fait marche arrière sur une promesse faite à l'époque de son prédéces‐ seur, Bill Blair.

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