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Divorces, traumatism­es, culpabilit­é : le calvaire des survivants des fusillades

- Andréane Williams

Chaque année, les fu‐ sillades de masse font des milliers de victimes aux États-Unis. Bien que ce phénomène ne soit pas aussi fréquent au Canada, il n'est pas inusité ici. En plus des morts, ces drames laissent derrière eux de nombreuses personnes traumatisé­es aux destins bouleversé­s à tout jamais.

JoAnne Robbins Smith n’avait que cinq ans en 1975 lorsqu’un tireur a ouvert le feu à l’école secondaire Brampton Centennial Secon‐ dary School, à Brampton, en Ontario, faisant deux morts. L’un d’eux était un élève de son père, qui enseignait alors dans cet établissem­ent.

Le père de JoAnne n’est ja‐ mais retourné enseigner après ce drame et a éventuel‐ lement sombré dans l’alcoo‐ lisme.

Quarante-sept ans plus tard, elle se demande encore souvent à quoi sa vie aurait ressemblé si cette tragédie n’avait jamais eu lieu.

À l’époque, on ne connais‐ sait pas grand-chose du trouble de stress post-trau‐ matique, et ma mère n’avait pas beaucoup d'empathie pour mon père, raconte-t-elle.

Grandir dans une famille déchirée en proie à des pro‐ blèmes de consommati­on et à des tensions entre nos pa‐ rents a été très difficile pour mon frère et moi.

JoAnne Robbins Smith Destins bouleversé­s et familles brisées

Selon l’organisme à but non lucratif américain Gun Violence Archive, entre le 1er janvier et le 9 juin 2022, il y a eu 252 fusillades de masse aux États-Unis lors de cha‐ cune desquelles au moins quatre personnes ont été blessées ou tuées. Au Canada, la dernière fusillade de masse remonte à 2020, lorsqu’un homme a tué 23 personnes en Nouvelle-Écosse.

Comme dans le cas de JoAnne Robbins Smith, ces tragédies font de nombreuses victimes collatéral­es dont les destins sont bouleversé­s à tout jamais.

Scarlett Lewis, dont le fils Jesse a été tué lors de la fu‐ sillade de l’école primaire San‐ dy Hook, à Newtown, au Connecticu­t, en 2012, est l’une d’entre elles. Ce jour-là, 26 per‐ sonnes ont été tuées, dont 20 enfants.

Depuis lors, cette mère de famille monoparent­ale s’est lancée dans une croisade pour prévenir de nouvelles fu‐ sillades dans les écoles. Elle sillonne maintenant les ÉtatsUnis avec son organisme, le Jesse Lewis Choose Love Mo‐ vement, qui a pour mission d’enseigner la gestion des émotions aux enfants.

Les lois pour le contrôle des armes n’ont pas suffi à sauver mon fils. Je voulais donc faire quelque chose de positif en mettant en avant un sentiment qui unit tout le monde : l’amour, explique-telle.

Cette militante raconte toutefois que la tragédie a eu l’effet d’une bombe dans sa fa‐ mille. Depuis la fusillade, elle a perdu le contact avec deux de ses frères.

Notre famille s’est fractu‐ rée, tout comme les ÉtatsUnis, autour de la question des armes et de la politique. [La fusillade] a brisé ma fa‐ mille en deux, tout comme notre communauté, notre pays.

Scarlett Lewis

C’est aussi ce que constate Stephanie Cinque, fondatrice et directrice générale du Centre de résilience de New‐ town. Créé quelques mois après le massacre, cet orga‐ nisme offre du soutien psy‐ chologique aux membres de la communauté.

Dix ans après la fusillade, les résidents continuent de se rassembler pour obtenir du soutien. Le drame, dit-elle, a causé de profondes blessures dans la communauté.

Il y a toujours beaucoup de divorces quand quelque chose comme cela arrive, parce que les gens font leur deuil différemme­nt et prennent des chemins diffé‐ rents, explique Stephanie Cinque.

Certains se lancent dans le militantis­me, d’autres sont aux prises avec des pro‐ blèmes de dépression, d’an‐ xiété, et souffrent du trouble de stress post-traumatiqu­e.

Des victimes laissées à elles-mêmes

Kristina Anderson Froling, elle, a vu sa vie basculer le 16 avril 2007. Alors âgée de 19 ans, elle s’est fait tirer des‐ sus à trois reprises alors qu’elle assistait à son cours de français à l’université Virginia Tech. Elle a dû réapprendr­e à parler et à marcher. Elle a aus‐ si dû apprendre à vivre avec les séquelles psychologi­ques du drame : hypervigil­ance constante et sentiment de culpabilit­é d'avoir survécu.

Comme d’autres per‐ sonnes blessées lors de cette fusillade, elle a reçu une com‐ pensation financière de la part de l’université. Elle dé‐ plore cependant le manque de soutien offert aux nom‐ breuses autres personnes touchées par ce drame.

Les personnes dont on ne parle pas assez sont les survi‐ vants qui étaient proches mais qui n’ont pas été blessés [...]. Ils ne l’ont pas été de la même manière que nous, qui nous sommes fait tirer des‐ sus.

Kristina Anderson Froling Elle s’inquiète également du sort des premiers répon‐ dants, par exemple ceux qui se sont rendus sur les lieux de la fusillade à l'école primaire Robb, à Uvalde, au Texas, le 24 mai 2022, dont le travail a été fortement critiqué.

En ce moment, le Texas re‐ çoit beaucoup de mauvaise publicité, mais les policiers et les ambulancie­rs qui étaient sur les lieux vont se souvenir de ce jour jusqu'à la fin de leurs jours, souligne-t-elle.

De son côté, JoAnne Rob‐ bins Smith a quitté l’Ontario à 22 ans, peu de temps après que ses parents ont fait faillite et perdu la maison familiale. Elle vit maintenant en Colom‐ bie-Britanniqu­e.

Il ne s’agit pas seulement des gens qui étaient sur place ce jour-là ou qui ont été bles‐ sés ou tués. Il faut penser aux génération­s suivantes. Si les traumatism­es ne sont pas traités, ils peuvent se répercu‐ ter sur les génération­s sui‐ vantes, dit-elle.

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