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Le témoignage farfelu des dirigeants de Hockey Canada

- Martin Leclerc

Les dirigeants de Hockey Canada ont comparu de‐ vant le comité permanent du Patrimoine en fin d’après-midi lundi. Et ils étaient attendus de pied ferme. Les élus voulaient savoir quel rôle la fédéra‐ tion nationale a joué dans la conclusion d’une en‐ tente à l'amiable qui a pour effet de balayer sous le tapis un présumé viol collectif impliquant huit joueurs de l’édition 2018 d’Équipe Canada junior.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le président-di‐ recteur général sortant, Tom Renney, son successeur Scott Smith et le président de la Fondation de Hockey Canada, Dave Andrews, n’ont eu l’air ni sincères ni intelligen­ts. Alors qu’ils témoignaie­nt sous ser‐ ment (une demande d’un membre du comité qui les a visiblemen­t pris par surprise), ceux-ci ont raconté une his‐ toire digne du capitaine bon‐ homme.

Selon la trame narrative adoptée par MM. Renney et

Smith, les dirigeants de Ho‐ ckey Canada (HC) ont été pré‐ venus quelques heures après le présumé viol collectif, soit le matin du 19 juin 2018, que de graves allégation­s concer‐ naient plusieurs joueurs ayant porté les couleurs de l’équipe nationale six mois au‐ paravant.

Or, la police de London, où se seraient produits les faits en marge d’un gala de la Fon‐ dation de Hockey Canada, n’a été prévenue que vers 19 h le soir.

Avant de prévenir la police, les dirigeants de HC sont ren‐ trés à Calgary, où ils ont tenu diverses réunions pour établir un plan d’action. Ils ont no‐ tamment rencontré leur viceprésid­ent responsabl­e des as‐ surances et de la gestion du risque, Glen McCurdie. Ils ont parlé à leur avocat et ils ont prévenu leur compagnie d’as‐ surance! Et ce n’est que par la suite qu’ils ont trouvé qu’il était temps de composer le 911.

La suite est tout à fait sur‐ réaliste.

Hockey Canada a rapide‐ ment confié à une tierce par‐ tie, la firme d’avocats Henein Hutchison, le mandat de me‐ ner une enquête interne pour déterminer ce qui avait bien pu se passer dans la nuit du 18 au 19 juin dans une chambre d’hôtel de London.

La fédération a ensuite contacté les agents de tous les joueurs de l’équipe pour les encourager à collaborer à l’enquête. Hockey Canada au‐ rait aussi communiqué avec les équipes juniors de tous les joueurs d’Équipe Canada ju‐ nior (ÉCJ) afin que ces organi‐ sations encouragen­t leurs joueurs à participer à l’en‐ quête interne.

Au pays des licornes, les agents représenta­nt des ath‐ lètes qui leur rapportero­nt éventuelle­ment des millions en commission conseillen­t peut-être à leurs clients de participer volontaire­ment à des enquêtes susceptibl­es de les incriminer. Mais au Canada en 2018, ça ne s’est pas pro‐ duit.

Et à la grande surprise de Tom Renney et de Scott Smith, tous les joueurs n’ont pas rencontré les enquêteurs privés. Renney estime que seulement 4 à 6 joueurs l’ont fait. Une heure et demie plus tard, constatant qu’ils avaient un sérieux problème de crédi‐ bilité, Smith a estimé que c’était plutôt entre 12 et 13 joueurs qui avaient choisi de participer.

Mais dans un cas comme dans l’autre, on s’entend, les huit présumés agresseurs ont facilement pu se faufiler dans les fentes du plancher.

Aussi, le fait de voir les deux plus hauts dirigeants de Hockey Canada incapables d’établir avec certitude com‐ bien de joueurs avaient colla‐ boré à l’enquête était extrê‐ mement révélateur. Visible‐ ment, ils ne se sont jamais vraiment préoccupés de celleci. Et ils n’ont même pas jugé bon de revoir le dossier avant de comparaîtr­e devant un co‐ mité du parlement.

Évidemment, ce qui devait arriver, arriva. Selon Tom Ren‐ ney et Scott Smith, en sep‐ tembre 2020, les enquêteurs retenus par Henein Hutchi‐ son en sont venus à la conclu‐ sion qu’il leur serait impos‐ sible d’établir qui étaient les huit joueurs qui se trouvaient dans la chambre d’hôtel avec une jeune femme de 20 ans dans la nuit du 18 au 19 juin 2018, ni de déterminer ce qui s’était produit cette nuit-là. Tu parles d’une malchance. Les membres du comité du Patrimoine ont demandé aux dirigeants de HC de leur remettre le rapport de Henein Hutchison. Les dirigeants de Hockey Canada s’y sont ob‐ jectés en invoquant le lien de confidenti­alité qui les unit à la firme légale qu’ils ont embau‐ chée. De toute manière, ce rapport est incomplet, a fait valoir Tom Renney.

Hockey Canada est la fédé‐ ration de hockey la plus puis‐ sante au monde et probable‐ ment la fédération sportive la plus puissante au Canada. Plusieurs députés, dont néodémocra­te Peter Julian et le li‐ béral Anthony Housefathe­r, sont revenus à la charge à plusieurs reprises pour de‐ mander pourquoi l'organisa‐ tion n’avait pas obligé tous les joueurs d’Équipe Canada ju‐ nior, sans exception, à ren‐ contrer les enquêteurs.

Notre code de conduite est flou lorsqu’il est question d’événements qui se dé‐ roulent à l’extérieur du cadre sportif. Nous sommes en train de le revoir, ont fait va‐ loir, à tout de rôle, Renney et Smith.

En les écoutant, on se de‐ mandait effectivem­ent pour‐ quoi personne n’avait aupara‐ vant songé à préciser, dans le code de conduite, que le viol collectif est prohibé les soirs de gala.

La suite, tenez-vous bien, est encore plus ahurissant­e.

Près de quatre ans après le présumé viol collectif survenu à London, Hockey Canada fait l’objet d’une poursuite civile le 20 avril dernier. La présumée victime, qui était âgée de 20 ans en juin 2018, poursuivai­t conjointem­ent Hockey Cana‐ da, la Ligue canadienne (re‐ groupant les trois circuits ju‐ nior majeur canadiens) et les huit présumés agresseurs (identifiés sous le pseudo‐ nyme John Doe et numérotés de 1 à 8) pour la somme de 3,55 millions.

Quelle a été la réaction des dirigeants de Hockey Canada lorsqu’ils ont reçu une pour‐ suite accusant des inconnus et alléguant des crimes odieux que leurs propres en‐ quêteurs n’étaient pas parve‐ nus à établir? Ils ont immédia‐ tement liquidé des investisse‐ ments que la fédération avaient fait afin de pouvoir compenser la victime.

Selon leur histoire abraca‐ dabrante, les dirigeants de HC n’avaient aucune idée de ce qui s’était produit. Et ils ne sa‐ vaient rien de l’identité des présumés agresseurs. En plus, les documents de la poursuite contenaien­t plusieurs fausse‐ tés, selon Scott Smith, notam‐ ment lorsque la présumée vic‐ time reprochait à Hockey Ca‐ nada de n’avoir rien fait pour épingler ou sanctionne­r les présumés agresseurs.

Mais dans les faits, Hockey Canada s’est dépêchée de ré‐ gler l’affaire au nom de tout le monde. En l’espace d’un petit mois, la Ligue canadienne et les huit présumés agresseurs ont vu surgir du siège social de Hockey Canada un cheva‐ lier blanc brandissan­t un chèque en leur nom.

Comme passe sur la pa‐ lette, il est difficile de faire mieux.

Nous avons assumé la res‐ ponsabilit­é (de la poursuite) en nous basant sur le fait que nous voulions respecter le droit à la vie privée de la jeune femme. Vous pouvez com‐ prendre que nous savions de‐ puis 2018. (…) Nous sommes entrés en contact avec les avocats de la plaignante et nous avons réglé immédiate‐ ment, a expliqué Scott Smith.

Critique face au scénario rocamboles­que qu’on lui pré‐ sentait, le député bloquiste Sébastien Lemire a suggéré que les équipes parrainées par Hockey Canada devraient perdre le droit d’arborer la feuille d’érable. À mes yeux, vous êtes John Doe numéro 9, a-t-il lancé aux trois représen‐ tants de Hockey Canada.

D’ailleurs, on se demande encore ce que Dave Andrews faisait devant les membres du comité du Patrimoine.

Le présumé viol collectif a eu lieu en marge d’un événe‐ ment organisé par la Fonda‐ tion de Hockey Canada. Mais le président de la Fondation (Andrews) n’a appris l’histoire que le 24 mai dernier, a-t-il ra‐ conté, quand une entente a été conclue avec la présumée victime.

Il est extrêmemen­t com‐ mode pour Andrews d’avoir été tenu dans l’ignorance parce qu’il était aussi pré‐ sident de la Ligue américaine de hockey à cette époque. Et plusieurs joueurs d’Équipe Ca‐ nada junior 2018 se sont joints à la Ligue américaine de hockey quelques semaines après le présumé viol collectif de London. Si Andrews avait su, son intégrité aurait été sé‐ rieusement entachée.

À la fin de l’audience, beau‐ coup de gens dans la salle se demandaien­t probableme­nt comment des types aussi dé‐ pourvus avaient pu se hisser jusqu’au sommet de la pyra‐ mide du hockey canadien.

Scott Smith a révélé qu’en moyenne, un ou deux cas d’agression ou d’inconduite sexuelle sont portés à la connaissan­ce des dirigeants de Hockey Canada.

Et il a précisé qu’outre l’his‐ toire du viol collectif de Lon‐ don, deux autres cas sont présenteme­nt actifs. Mais il n’a pu expliquer en quoi consistent ces deux autres cas parce qu’il n’avait pas jugé bon de se préparer à ré‐ pondre à des questions à ce sujet. L’ordre du jour, a-t-il jus‐ tifié, ne concernait que le pré‐ sumé viol collectif de London.

Imaginez. Vous comparais‐ sez devant un comité parle‐ mentaire pour parler d’un présumé viol collectif qui fait scandale d’un bout à l’autre du pays. Et vous n’êtes même pas capable de vous imaginer que des questions de mise en contexte sur le thème des agressions pourraient vous être posées

Le député démocrate Pe‐ ter Julian leur a reproché de s’être mal préparés pour cette audience et d’avoir lancé des mots comme zéro tolérance qui n’ont dans les fait aucune substance et qui ne sont ap‐ puyés par aucune mesure ou geste concret.

Et une fois de plus, Julian est revenu sur le fait que les joueurs d’ÉCJ n’ont jamais été obligés de coopérer avec les enquêteurs pour que justice soit faite.

Je ne vois pas de transpa‐ rence. Et vous n’avez aucune réponse à offrir. Qu’est-ce qui a changé à Hockey Canada au juste?, a-t-il demandé.

Il sera intéressan­t de voir quelle suite le comité du Patri‐ moine donnera à cette com‐ parution insultante pour qui‐ conque possède la moindre parcelle d’intelligen­ce.

La ministre des Sports, Pascale St-Onge, a déclaré qu’on venait d’avoir un bel exemple de la culture du si‐ lence qui existe dans le monde du hockey et elle a ajouté qu’il doit y avoir des conséquenc­es à ce qui s’est produit au sein de Hockey Ca‐ nada.

En attendant, tristement, nous avons tous constaté en direct que la culture de notre sport national est pourrie jus‐ qu’au sommet de la pyramide.

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