Radio-Canada Info

Après 200 ans, la gauche en Colombie

- Jean-Michel Leprince

La Colombie vient d’élire le premier président de gauche de son histoire. Gustavo Petro, du parti du Pacte historique, a battu son adversaire Rodolfo Her‐ nandez avec de 700 000 voix de différence, soit 50,69 % contre 47 %. La lutte a été très serrée jusqu’au bout, mais une participat­ion re‐ cord a donné l’avantage au candidat de gauche. Sa vice-présidente, Francia Marquez, est afro-colom‐ bienne, une autre pre‐ mière.

Les trois dernières se‐ maines de la campagne ont été tellement féroces – ordu‐ rières, ont dit certains – les sondages prédisaien­t un ré‐ sultat tellement serré que le camp Petro parlait déjà de fraude, qu’il fallait s’attendre au pire.

Le contraire s’est produit. Un vote sans aucun incident. On a voté en paix, il n’y a plus de conflit armé depuis 2016.

Il n’y avait pas de partie de soccer majeure et la fête des pères, a la demande des com‐ merçants, a été reportée d’une semaine. Et plus que ja‐ mais les Colombiens ont vo‐ té : un taux de participat­ion de 58 %! Un record, 1,2 million de voix de plus qu’au premier tour.

Les jeunes, les femmes, da‐ vantage partisans de Gustavo Petro sont sortis en plus grand nombre que ceux de la droite uribiste (Alvaro Uribe, ex-président autrefois toutpuissa­nt et son jeune émule, Ivan Duque, très impopulair­e) qui votaient n’importe qui sauf Petro.

L’écart, 700 000 voix, et la concession de défaite rapide de l’adversaire Rodolfo Her‐ nandez, 77 ans, ont apaisé toutes les craintes d’une tran‐ sition violente. La dernière se‐ maine de non-campagne (sur TikTok essentiell­ement) sur un seul thème, la corruption lui a été fatale.

On a ressorti dans les mé‐ dias ses propos et comporte‐ ments douteux comme maire de Bucaramang­a, et une soi‐ rée sur un yacht de Miami fin 2021 avec ses fils et des de‐ moiselles en petite tenue que les adversaire­s ont qualifiée de berluscone­sques (de l’exprésiden­t italien Berlusconi).

L’ingénieur, son surnom, a accepté le poste de sénateur que la constituti­on réserve au vaincu de l’élection présiden‐ tielle et il promet de collabo‐ rer pourvu que le nouveau président s’attaque sincère‐ ment, comme il l’a promis lui aussi, a la corruption.

Un défi titanesque

Les Colombiens sont una‐ nimes sur une seule chose : le pays va mal, très mal.

L’économie, une pandémie mal gérée, un accord de paix non respecté, trop d’exilés vé‐ nézuéliens, les 4 ans de man‐ dat non renouvelab­le de Gus‐ tavo Petro vont ressembler aux 12 travaux d’Hercule : cor‐ ruption endémique, narcotra‐ fic de petit et haut niveau, Clan del Golfo, Oficina de En‐ vigado (héritière de Pablo Es‐ cobar), guérilla de l’ELN, dissi‐ dents des FARCs, criminalit­é en hausse, hostilité de la droite dure et de certains mi‐ lieux d’affaires… quatre ans seulement.

Le discours de victoire de ce candidat populiste, autori‐ taire dans son entourage, est conciliant, généreux.

Il annonce un changement historique, mais un vrai chan‐ gement, celui de la vie. Pas pour nous venger, pour ali‐ menter la haine, pas pour creuser encore le sectarisme, mais un changement pour un accord national. Il invite toutes les opposition­s, son ri‐ val, jusqu’à Alvaro Uribe, au palais présidenti­el. No mas guerra, scandait la foule pen‐ dant son discours.

La Colombie se trouve à un tournant majeur de son histoire.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada