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Données sur le cancer retirées par le Dr Arruda : « Les révélation­s sont très graves »

- Jean-Michel Cotnoir

Les trois principaux groupes d’opposition à Qué‐ bec ont réagi fortement lundi aux révélation­s de Radio-Canada selon les‐ quelles des données por‐ tant sur les cas de cancer du poumon à Rouyn-No‐ randa ont été retirées à la dernière minute d’un rap‐ port, à la demande du di‐ recteur national de la san‐ té publique de l'époque, le docteur Horacio Arruda.

Selon ce que Radio-Cana‐ da a appris, la santé publique régionale savait, dès sep‐ tembre 2019, que le taux de mortalité lié au cancer du poumon était plus élevé à Rouyn-Noranda et souhaitait en aviser la population.

L’annexe 6 du rapport sur l’étude de biosurveil­lance du quartier Notre-Dame faisait état de ces préoccupat­ions, mais à la demande du Dr Ar‐ ruda, celle-ci n’a pas été pu‐ bliée.

Pour le porte-parole du Parti québécois en matière de santé, Joël Arseneau, ces révé‐ lations sont consternan­tes.

Les révélation­s de ce ma‐ tin sont graves, sont très graves. C’est une nouvelle qui est consternan­te. Quand on connaît le rôle et la confiance qu’on doit avoir envers la di‐ rection nationale de la santé publique pour protéger la santé, la sécurité et la vie des gens et qu’il y a une informa‐ tion aussi capitale sur des possibles liens entre les éma‐ nations d’arsenic d’une fonde‐ rie et la communauté envi‐ ronnante de Rouyn-Noranda [...], que cette informatio­n soit soustraite au public de façon volontaire, je ne comprends pas cette décision-là, men‐ tionne-t-il.

La porte-parole du Parti li‐ béral du Québec en matière d’environnem­ent, Isabelle Me‐ lançon, abonde dans le même sens.

Je suis excessivem­ent cho‐ quée. Choquée parce que comme pour les citoyens du Québec, les législateu­rs que nous sommes à l’Assemblée nationale n’avons pas eu en main toute l’informatio­n en lien avec la situation cancéro‐ logique en Abitibi-Témisca‐ mingue.

Isabelle Melançon, porteparol­e du PLQ en environne‐ ment

Mme Melançon fait le lien entre le dossier de l’arsenic et celui du nickel, ce métal pour lequel le gouverneme­nt du Québec a récemment autori‐ sé une hausse des émissions dans l’atmosphère.

Ça me ramène un dossier en tête, celui de la hausse du taux de nickel dans l’air. Est-ce qu’on a eu toute l’informa‐ tion? Je ne suis pas certaine, j’ai un doute. Je dois vous dire que la confiance est mise à mal aujourd’hui, quand on voit qu’on s’est fait cacher de l’informatio­n. Je ne pense pas que c’est Dr Arruda qui ait voulu, lui, qu’on retire l’annexe 6. Moi, ce que je pense, c’est qu’il y a eu de la manipulati­on politique, estime la députée de Verdun.

Isabelle Melançon avance que les révélation­s concer‐ nant Rouyn-Noranda sèment un doute quant aux informa‐ tions qui ont été transmises au public afin de justifier les hausses des taux de Nickel permis dans l’air.

Si on s’est fait cacher de l’informatio­n en 2019, je pense qu’on peut continuer à nous cacher de l’informatio­n en 2022, soutient-elle.

Quel pouvoir pour les di‐ rections régionales de san‐ té publique?

Pour la députée de RouynNoran­da-Témiscamin­gue et porte-parole de Québec soli‐ daire en matière d’environne‐ ment, Émilise Lessard-Ther‐ rien, il est étonnant de voir le directeur national de la santé publique intervenir de cette façon auprès de la direction régionale de l’Abitibi-Témisca‐ mingue.

Si notre direction régionale de santé publique jugeait que c’était pertinent de mettre ces données-là dans son rapport de biosurveil­lance, je ne com‐ prends pas pourquoi le natio‐ nal s’en est mêlé et leur a de‐ mandé de retirer ces don‐ nées-là, d’autant plus qu’elles sont extrêmemen­t préoccu‐ pantes.

Émilise Lessard-Therrien, députée de Rouyn-NorandaTém­iscamingue

Si on avait eu ces donnéeslà en 2019, peut-être que la population se serait mise da‐ vantage en marche et qu’il y aurait eu plus de pressions faites sur le gouverneme­nt pour qu'il pose des gestes ra‐ pides et concrets dans le dos‐ sier de l’arsenic, affirme-t-elle.

Le porte-parole du Parti québécois abonde à son tour dans le sens de sa collègue so‐ lidaire, soulignant l’impor‐ tance de faire preuve de pru‐ dence en matière de santé publique.

Il y a des raisons de se questionne­r, surtout quand les directions régionales disent : Ce serait peut-être une meilleure idée de retenir le principe de précaution.On s’attendrait à ce que l’instance supérieure, décisionne­lle, la direction nationale de santé publique, retienne le principe de précaution, indique Joël Ar‐ seneau.

Pas d’interventi­on du gouverneme­nt, dit Legault

Selon les intervenan­ts des trois principaux partis d’oppo‐ sition, les deux rôles occupés par le directeur national de la santé publique, avec celui de sous-ministre, ne sont pas compatible­s, faisant en sorte que des considérat­ions poli‐ tiques peuvent influencer des décisions de santé publique.

De passage en Estrie lundi, le premier ministre du Qué‐ bec, François Legault, a nié toute forme d’interventi­on du gouverneme­nt dans la déci‐ sion de ne pas publier l’an‐ nexe 6 du rapport sur l’étude de biosurveil­lance en 2019.

On n’est pas intervenus. Ce que j’ai compris en parlant avec l’équipe du docteur Arru‐ da ce matin, c’est qu’il atten‐ dait plus d’informatio­ns pour être plus précis sur les risques concernant le cancer, mais on n’est pas intervenus et on n’intervient jamais. La santé publique est complèteme­nt autonome

François Legault

Selon Isabelle Melançon, la ligne doit toutefois être tracée de façon plus claire entre la santé publique et le gouver‐ nement.

Il faut vraiment qu’il y ait un mur pare-feu entre le poli‐ tique et la santé publique, chose qui n’est pas le cas ac‐ tuellement parce que malheu‐ reusement, il y a confusion des genres. Je tiens à le rappe‐ ler, celui qui est directeur de la santé publique est aussi sousminist­re actuelleme­nt. Le gouverneme­nt de la CAQ n’a pas appris de ses erreurs parce qu’il a renommé un nouveau directeur de la santé publique qui est aussi sousminist­re à la santé, chose qui ne fonctionne pas, exprime-telle.

« Y a-t-il eu camouflage po‐ litique? Je pense que la ré‐ ponse, c’est oui », renchérit Isabelle Melançon

Au-delà de cette ligne entre le politique et la santé publique, Émilise LessardThe­rrien croit que les déci‐ sions du gouverneme­nt sont trop souvent motivées par des motifs économique­s et sont parfois prises au détri‐ ment de la santé et de l’envi‐ ronnement.

Encore il y a deux se‐ maines, quand j’ai posé une question en chambre sur le dossier de l’arsenic, le ministre de l’Économie m’a répondu que c’est son ministère qui analyse le plan de Glencore pour diminuer ses émissions d’arsenic. Pourquoi ce n’est pas la Santé? Pourquoi ce n’est pas l’Environnem­ent? C’est encore une preuve que l’aspect économique a pré‐ séance sur l’aspect de la san‐ té. À l’heure actuelle, j’ai beau‐ coup plus de questions que de réponses, conclut-elle.

(Avec la collaborat­ion de Jean-Marc Belzile)

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