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Wyclef Jean, les montgolfiè­res de Gatineau et le « vodou drill »

- Charles Rioux

Wyclef Jean était de pas‐ sage à Montréal samedi pour le Grand Prix de F1 du Canada. Rencontré à son hôtel quelques heures avant sa prestation au Maxim Grand Prix Party, il en a profité pour parler de son concert du mois de sep‐ tembre au Festival de montgolfiè­res de Gatineau, de son nouveau style musi‐ cal – le « vaudou drill » – et de l’instabilit­é politique dans son pays d’origine, Haïti.

Le rappeur, chanteur et musicien n’était pas venu au Québec depuis 2017, alors qu’il avait joué à l’Internatio‐ nal de montgolfiè­res de SaintJean-sur-Richelieu. Le 4 sep‐ tembre prochain, il sera de passage au Festival de mont‐ golfières de Gatineau, sa seule présence en festival au Cana‐ da cet été. Deux choix qui peuvent paraître curieux, mais dont les motivation­s re‐ montent à l’enfance de l’ar‐ tiste.

J’ai toujours vécu comme un enfant dans ma tête, comme Michael Jackson. Quand j’ai émigré d’Haïti aux États-Unis, je vivais à Coney Island, [un quartier de New York], explique-t-il.

Coney Island, c’est une foire ininterrom­pue avec des manèges, des montagnes russes et des ballons dans les airs. En guise de célébratio­n pour les 25 ans de The Carni‐ val [sorti en 1997], je me suis dit que [de jouer devant les montgolfiè­res à Gatineau] se‐ rait une chose formidable à faire.

Une rétrospect­ive de près de 30 ans de carrière

Wyclef Jean affirme d’ailleurs qu’il réserve un mo‐ ment très festif aux mélo‐ manes qui viendront le voir à Gatineau. En plus de souligner les 25 ans de son premier al‐ bum solo, The Carnival, il compte aussi se rattraper pour le quart de siècle de The

Score, album mythique des Fugees qu’il a lancé en 1996 avec Lauryn Hill et Pras Mi‐ chel.

Le trio devait partir en tournée l’an dernier pour marquer le coup, mais la pan‐ démie en a décidé autrement. En plus de son répertoire per‐ sonnel, Wyclef pourra donc puiser dans celui des Fugees – riche de succès comme Ready or Not ou Killing Me Softly with his Song – et dans son répertoire en tant que pro‐ ducteur pour d’autres ar‐ tistes.

J’ai créé tellement de mu‐ sique en tant que producteur. Mes fans n’étaient pas avec moi en studio quand j’ai créé My Love is Your Love pour Whitney Houston, alors nous allons la chanter ensemble. Ils n’étaient pas là quand j’ai créé Hips Don’t Lie avec Shakira, Maria Maria avec Santana ou 911 avec Mary J. Blige, pré‐ cise-t-il. Ce sera une liste com‐ plète de tout ce que j’ai créé.

Un retour vers le créole avec Voye Dlo

Wyclef Jean travaille pré‐ sentement sur son 10e album solo, qui sera intitulé 1997, en clin d'oeil à l’année de sortie de son premier opus. Voye dlo, un premier extrait rappé ma‐ joritairem­ent en créole, a été lancé le 18 mai dernier à l’oc‐ casion de la Fête du drapeau haïtien.

"Voye dlo", ça veut dire "je‐ ter de l’eau". Lorsque tu veux désamorcer une situation, plutôt de que de l’escalader, tu peux "voye dlo". Si tu re‐ gardes la situation en Ukraine en ce moment, ou celle en Haïti, ou la folie que l’on voit en Afrique avec les milices ar‐ mées, tu pourrais dire "voye dlo", explique-t-il.

C’est une façon de dire que les choses ne peuvent pas rester comme elles sont et qu’il faut trouver de nouvelles solutions. C’était important pour moi de revenir avec une chanson en créole.

Le vodou drill, un sousgenre du hip-hop inspiré du vaudou haïtien

Voye dlo est basé sur un rythme nouveau que Wyclef Jean a intitulé le vodou drill, une variation sur le drill – un sous-genre du hip-hop connexe à la musique trap – inspirée du vaudou haïtien. “Le drill, c’est un peu de la mu‐ sique de gangs, qui raconte d’abord des histoires. Et en Haïti, on raconte aussi des histoires, celles de nos an‐ cêtres d’Afrique, à travers les chants vaudous”, explique-t-il.

Le vodou drill se dé‐ marque par ses basses pro‐ fondes, ainsi qu’un son et des paroles plutôt sombres. Voye dlo aborde des thèmes comme le kidnapping, la vio‐ lence des gangs de rue et la fi‐ gure publique de Guy Phi‐

lippe, chef rebelle haïtien qui a tenté de renverser le gouver‐ nement de Jean-Bertrand Aris‐ tide en 2004.

L’histoire que je raconte dans le "vodou drill", c’est une réflexion de moi lorsque je me regarde dans le miroir. Ce que je dis, c’est je suis le kid‐ nappeur, je suis le membre de gang, je suis le Pape, je suis le pasteur, je suis la petite fille que vous venez de violer.

Wyclef Jean tenait égale‐ ment à inclure la culture vau‐ dou dans sa nouvelle proposi‐ tion, se désolant qu’on ré‐ duise souvent à tort cette reli‐ gion d’origine africaine à ses seuls aspects plus spectacu‐ laires. Plusieurs personnes prennent le vaudou et es‐ saient d’en faire une chose ef‐ frayante, mais c’est dingue parce que lorsque tu vas à l’église, il y a plein de trucs qui se passent et personne ne trouve ça effrayant. Tu bois du vin, et tu ne trouves pas ça sinistre.

L’instabilit­é politique, le vrai fléau d’Haïti

Le vidéoclip de Voye dlo a été tourné dans Little Haïti, ou La petite Haïti, un quartier de Miami. La chanson met également en vedette deux autres artistes d’origine haï‐ tienne, Jessie Woo et Eddy François. Bien qu’Américain depuis longtemps, Wyclef Jean demeure très attaché à Haïti et sa ville natale de Croix-des-Bouquets.

Il y retourne régulière‐ ment, mais toujours en cati‐ mini, parce qu’il connaît la mi‐ sère qui règne là-bas et la cri‐ minalité qui en découle. J’y vais très discrèteme­nt, ex‐ plique-t-il. Selon lui, malgré tous les fléaux qui se sont abattus sur son pays, comme le séisme de 2010, le pro‐ blème de l’instabilit­é politique demeure le pire ennemi de la reconstruc­tion du pays. Il dé‐ plore aussi la couverture faite par les médias étrangers en Haïti ne se concentre que sur la ville de Port-au-Prince, qui n’est pas représenta­tive de l’ensemble du pays.

Je dis toujours qu’Haïti a la pire couverture médiatique au monde. Je dis ça parce que 99,9% des problèmes rappor‐ tés par les médias sont liés à Port-au-Prince, mais nous ne nous identifion­s pas tous [à la capitale], explique Wyclef Jean.

C’est comme Kingston en Jamaïque. Au début des an‐ nées 1980, Kingston, c’était fou. Alors les entreprise­s ont commencé à investir à Mon‐ tego Bay, à construire de nou‐ veaux aéroports, de nou‐ veaux hôtels [...] Je pense que si on développe certaines par‐ ties d’Haïti, par exemple dans le nord, il y aura une tout autre énergie qui pourra aider Port-au-Prince.

Les billets pour le concert que Wyclef Jean donnera le 4 septembre sont en vente sur le site du Festival de montgolfiè­res de Gatineau.

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