Soudan du Sud : après les réfugiés de la guerre, les réfugiés climatiques
Plus de cinq ans après sa première mission au Sou‐ dan du Sud en 2016, en pleine guerre civile, le Dr Reza Eshaghian a pu constater l'aggravation de la situation dans ce pays aux prises avec des inonda‐ tions historiques.
Lors de son déplacement à la fin de 2021 et au début de 2022, le médecin de Vancou‐ ver a observé que les camps accueillant les réfugiés de la guerre civile sont maintenant aussi des camps pour réfugiés climatiques.
Normalement, on parti‐ cipe à des projets où les gens ont été déplacés à cause de conflits. Cette fois-ci, c’était de toute évidence en raison des changements climatiques.
Depuis 2018, le Soudan du Sud a connu des précipita‐ tions supérieures à la moyenne, causant des inon‐ dations sans précédent. L'an‐ née 2021 a été particulière‐ ment dévastatrice. Dans plu‐ sieurs régions, les eaux ne se sont jamais retirées et les fortes précipitations conti‐ nuent, explique à Radio-Cana‐ da le Dr Eshaghian.
Dans les États de Jonglei, d’Unity et d’Upper Nile, des centaines de milliers de per‐ sonnes ont dû fuir leurs mai‐ sons. Ces réfugiés sont désor‐ mais isolés dans d’énormes enceintes entourées de digues de boue, de bâtons et de bâches de plastique qui re‐ tiennent l’eau des crues.
C'est impressionnant de voir que ces digues improvi‐ sées stoppent l’eau. Mais ça devait être temporaire. Ils avaient espoir que l’eau dispa‐ raîtrait à un moment donné, mais ce n’est pas arrivé. Dr Reza Eshaghian
Lorsque l’avion du Dr Eshaghian a survolé le camp de Bentiu, dans l’État d’Unity, il a été estomaqué par l’ampleur du problème. La région était complètement coupée du reste du monde.
Quand on regarde au loin, au-dessus des barrières, on ne voit que de l’eau. Tout est entouré d’eau. Les barrières sont si hautes qu’on a l’im‐ pression d’atterrir sous l’eau.
Avant les inondations, ce camp logeait 200 000 per‐ sonnes. Au moins 30 000 nou‐ velles personnes ont cherché refuge dans ce camp, où il a aidé à la gestion des soins aux réfugiés, dit-il. C’est mainte‐ nant un camp de réfugiés cli‐ matiques, déplore le médecin.
Impacts sur la santé des réfugiés
Selon lui, ces inondations ne font qu’empirer la situation sanitaire dans ce pays.
Les réfugiés dans le camp de Bentiu et autour de celui-ci se sont retrouvés sans eau, sans toilettes, sans nourri‐ ture.
Tous les éléments sont présents pour faciliter la transmission de maladies, dit le Dr Eshaghian. Les gens sont entassés et le risque de pro‐ pagation de maladies infec‐ tieuses augmente.
D’ailleurs, à son arrivée, les hépatites B et C se propa‐ geaient dans le camp. Une éclosion de rougeole avait également éclaté et une cam‐ pagne de vaccination contre le choléra était en cours.
Les inondations ont égale‐ ment fait exploser les cas de malnutrition, ont constaté le Dr Eshaghian et son équipe.
Puisque des milliers d’hec‐ tares de terres ont été inon‐ dés, les agriculteurs ne peuvent plus cultiver leurs terres depuis des mois.
De plus, selon l’ONU, au moins 800 000 têtes de bétail ont péri par manque de nour‐ riture. Le Dr Eshaghian a ob‐ servé cet impact. Les gens es‐ sayaient de sauver leur bétail pour pouvoir survivre, mais les animaux mouraient l’un après l’autre. Il y avait des ca‐ davres partout dans les rues. C’était traumatisant.
Le Dr Eshaghian dit avoir eu le coeur brisé de voir que, même avec les rations distri‐ buées par le Programme ali‐ mentaire mondial (PAM) des Nations unies, la majorité des personnes ne mangeaient pas à leur faim.
Je parlais aux gens du PAM. Je leur disais que la quantité de nourriture don‐ née n’était pas suffisante. Ils m’ont dit : "On le sait, mais on n’a pas assez d’argent, donc on doit réduire les rations." Dr Reza Eshaghian Comment traiter la malnu‐ trition sachant que ces per‐ sonnes n’auront rien à man‐ ger après avoir été traitées, se demande-t-il?
Pour aggraver la situation, voilà que le PAM a suspendu la semaine dernière une par‐ tie de son aide alimentaire au Soudan du Sud. L’organisme dit manquer de financement en raison de la montée en flèche du prix des denrées ali‐ mentaires en raison de la guerre en Ukraine. Plus de 70 % de la population du Sou‐ dan du Sud devra composer avec une famine extrême cette année, a averti le PAM la semaine dernière.
Le Dr Eshaghian dit que sa mission au Soudan du Sud lui a permis de comprendre à quel point les changements climatiques nuisent aux pauvres et aux plus vulné‐ rables.
Ils paient pour les change‐ ments climatiques, alors que personne ici en Occident n’a conscience que les effets cli‐ matiques tuent déjà des gens ailleurs dans le monde.
Dr Reza Eshaghian D'ailleurs, les scientifiques martèlent ce message depuis plusieurs années. Le risque, selon eux, que certaines mala‐ dies infectieuses se propagent davantage et que des nou‐ veaux pathogènes pro‐ voquent des pandémies aug‐ mente avec les changements climatiques et la perte de bio‐ diversité.
Le Dr Eshaghian se de‐ mande combien de temps ces gens pourront vivre dans ces camps entourés d’eau. Ce n’est pas une façon de vivre. Comment les nourrir? Com‐ ment les soigner? Est-ce que cet endroit est encore vi‐ vable? Que faire si l'eau ne re‐ cule jamais?
Les organisations comme MSF ont commencé à adapter leurs interventions devant la multiplication des catas‐ trophes climatiques. Et le Dr Eshaghian se prépare lui aussi à participer à de plus en plus de missions pour aider ceux qui supporteront les ef‐ fets des changements clima‐ tiques. On voit déjà les consé‐ quences des changements cli‐ matiques. Je les ai vues. Et c'est une sombre perspective pour l'avenir. Il faut prendre ça au sérieux.