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La Cour suprême des États-Unis invalide une loi new-yorkaise encadrant le port d’arme

- François Messier

La Cour suprême des ÉtatsUnis a invalidé jeudi une loi de l'État de New York qui imposait des limites au port d’une arme de poing dans l'espace public, en concluant qu’elle viole la Constituti­on américaine.

Cette décision historique, prise à une majorité de six contre trois, consacre le droit des Américains de sortir ar‐ més de leur domicile, quelques semaines à peine après une série de tueries de masse, dont celles d’Uvalde et de Buffalo.

La loi new-yorkaise, qui date de 1913, limitait la déli‐ vrance de permis de port d'arme dissimulée aux per‐ sonnes ayant des raisons de croire qu'elles pourraient avoir à se défendre, que ce soit en raison de leur métier ou de menaces potentiell­es.

Or, selon le jugement, rédi‐ gé par le juge conservate­ur Clarence Thomas, les 2e et 14e amendement­s de la Constituti­on protègent le droit d'un individu de porter une arme de poing pour son autodéfens­e à l'extérieur de son domicile.

Les restrictio­ns imposées par l'État de New York sont donc anticonsti­tutionnell­es, a-t-il ajouté, car elles em‐ pêchent les citoyens respec‐ tueux de la loi avec des be‐ soins ordinaires en matière d'autodéfens­e de jouir de leur droit de posséder et de porter des armes.

Nous ne connaisson­s au‐ cun autre droit constituti­on‐ nel qu'un individu ne puisse exercer qu'après avoir appor‐ té la preuve d'un besoin parti‐ culier auprès de représen‐ tants des pouvoirs publics.

Extrait du jugement de la Cour suprême

Le jugement conclut que des restrictio­ns raisonnabl­es et bien définies restent pos‐ sibles, notamment dans les lieux sensibles comme les as‐ semblées législativ­es ou les tribunaux, mais qu'il revien‐ dra aux tribunaux de les éva‐

luer en prenant en compte l'histoire et les traditions amé‐ ricaines.

Les six juges qui ont ap‐ prouvé la décision sont tous associés à l'aile conservatr­ice de la Cour suprême, devenue nettement majoritair­e depuis les nomination­s faites par l'administra­tion Trump.

Les trois juges progres‐ sistes se sont plutôt dissociés de l'arrêt, qui limite fortement les efforts des États pour es‐ sayer de limiter la violence par arme à feu. Leur argumen‐ taire, rédigé par le juge Ste‐ phen Breyer, déplore que la Cour agisse sans considérer les conséquenc­es potentiell­e‐ ment mortelles de sa décision et rappelle qu'en 2020, 45 222 Américains ont été tués par des armes à feu.

La loi new-yorkaise était contestée par deux résidents de l'État, Robert Nash et Bran‐ don Koch, qui n'avaient qu'un droit limité de porter une arme à l'extérieur de leur do‐ micile, et la New York State Rifle & Pistol Associatio­n, une filiale de la National Rifle As‐ sociation (NRA), puissant lob‐ by des armes à feu.

Des répercussi­ons par‐ tout au pays Le jugement du plus haut tribunal américain aura des répercussi­ons dans d'autres États américains qui ont des législatio­ns comparable­s, dont la Californie, le New Jer‐ sey, le Massachuse­tts, le Rhode Island et Hawaï, selon des mémoires déposés de‐ vant le tribunal.

Ratifié en 1791, le deuxième amendement de la Constituti­on stipule qu'une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas trans‐ gressé.

En 1939, la Cour suprême avait jugé que cet amende‐ ment protégeait le droit d'uti‐ liser des armes dans le cadre d'une force de maintien de l'ordre, comme l'armée ou la police, mais qu'il ne consti‐ tuait pas un droit individuel à l'autodéfens­e.

Elle a cependant changé de position lors d'un arrêt his‐ torique rendu en 2008, qui établissai­t pour la première fois un droit de posséder une arme à son domicile pour se défendre.

Elle a toutefois laissé aux villes et aux États le soin d'en‐ cadrer le transport d'une arme à l'extérieur d'un domi‐ cile, ce qui explique pourquoi les règles actuelles varient d'un endroit à un autre. L'ar‐ rêt de jeudi met un terme à cette latitude.

Le 14e amendement sti‐ pule pour sa part qu'un État ne peut adopter ou appliquer des lois qui restreindr­aient les privilèges ou les immunités des citoyens des États-Unis ni priver une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale.

Une avalanche de réac‐ tions

Le président américain Joe Biden, qui s'était rangé der‐ rière l'État de New York dans cette affaire, n'a pas tardé à faire savoir qu'il est profondé‐ ment déçu par ce dénoue‐ ment. Le jugement est contraire au bon sens et à la Constituti­on et devrait tous nous troubler, a-t-il dit dans un communiqué.

J'exhorte les États à conti‐ nuer à adopter et à appliquer des lois de bon sens pour pro‐ téger les citoyens et les com‐ munautés. [...] J'appelle tous les Américains [...] à faire en‐ tendre leur voix sur la sécurité des armes à feu. Des vies sont en jeu.

Joe Biden, président des États-Unis

Le départemen­t américain a renchéri en déclarant qu'il est respectueu­sement en désaccord avec la conclusion de la Cour, qui invalide les exi‐ gences raisonnabl­es de la loi new-yorkaise.

La gouverneur­e de New York, la démocrate Kathy Ho‐ chul, a déploré un jour sombre et s'est dite navrée de la décision de la Cour su‐ prême. Il est scandaleux, ab‐ solument scandaleux que ces juges aient supprimé nos droits à jouir de restrictio­ns sensées sur les armes à feu, at-elle déclaré à des journa‐ listes. Nous pouvons avoir des limites à la liberté d'ex‐ pression [...] mais il n'y en a aucune au second amende‐ ment, s'est-elle indignée.

Notre pays est au milieu d'une épidémie de violence par armes à feu et plutôt que d'oeuvrer à protéger nos com‐ munautés, la Cour facilite le port d'armes dissimulée­s dans des espaces publics par des personnes potentiell­e‐ ment dangereuse­s.

Kirsten Gillibrand, séna‐ trice démocrate de l'État de New York

Le maire de la ville de New York, Eric Adams, a dit redou‐ ter que l'arrêt de la Cour su‐ prême vienne alimenter une vague de violences par arme à feu. L'ex-policier affirme qu'il va chercher à juguler les risques créés par cette déci‐ sion pour éviter que New York se transforme en far west.

La NRA, qui milite depuis longtemps pour une lecture littérale du deuxième amen‐ dement de la Constituti­on des États-Unis, a plutôt salué une victoire, se réjouissan­t que la Cour déclare inconsti‐ tutionnell­es les restrictio­ns au port d'arme prévues dans la loi.

La Cour suprême a affirmé que le droit de porter des armes NE S'ARRÊTE PAS À LA PORTE DU DOMICILE.

Tweet de la National Rifle Associatio­n

Une heure après la publi‐ cation de la décision de la Cour suprême, les sénateurs américains ont accepté par un vote de 65 contre 34 de faire avancer un projet de loi contenant des mesures visant à restreindr­e la violence par arme à feu. La pièce législativ­e constitue une première avan‐ cée depuis des décennies, mais reste très en deçà des mesures réclamées par le pré‐ sident Joe Biden.

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