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Troisième lien : Lévis accusée de faire une lecture tendancieu­se de son étude économique

- Alexandre Duval

En dévoilant une étude économique sur le troi‐ sième lien jeudi dernier, le maire de Lévis n'a pas don‐ né l’heure juste à propos des véritables avantages du projet, dénonce un ex‐ pert. Le professeur JeanPhilip­pe Meloche affirme même que les gains de pro‐ ductivité anticipés ont une « faible crédibilit­é » et re‐ lèvent d’une erreur métho‐ dologique.

Selon le professeur Me‐ loche, dont les recherches portent notamment sur les fi‐ nances publiques et sur le transport urbain au Québec, présenter une étude d’im‐ pacts économique­s n’est tout simplement pas pertinent pour déterminer si le tunnel Québec-Lévis constitue un bon ou un mauvais projet.

Il faut faire des études comparativ­es, dit-il. Mettre l’accent sur le fait que le tun‐ nel pourrait faire croître le produit intérieur brut (PIB) de 630 millions de dollars par an‐ née dès son entrée en service, en 2032, ne nous renseigne pas adéquateme­nt sur la va‐ leur du projet, selon lui.

Comme on n'a aucune étude comparativ­e, on nous dit : "Mettre 6,5 milliards de dollars à Lévis, ça génère de l'activité économique." C'est certain! Ça génère de l'activité économique, peu importe où on va le mettre, de n'importe quelle façon, dans n'importe quel secteur! L'étude, en soi, n'est pas pertinente.

Jean-Philippe Meloche, professeur et directeur de l'École d'urbanisme et d'amé‐ nagement du paysage de l'Université de Montréal

Le professeur Meloche es‐ time donc que le maire Gilles Lehouillie­r a offert une lecture biaisée lors de la présentati­on de cette étude réalisée par la firme WSP à la demande de la Ville de Lévis au coût de 65 000 $ avant taxes.

D’ailleurs, dans le som‐ maire de l’étude, on constate que le mandat donné à la firme WSP consistait à faire ressortir les impacts positifs du tunnel dans un contexte où le projet [...] a suscité plu‐ sieurs critiques et des débats sur les effets négatifs qu’il pourrait créer.

Des avantages écono‐ miques insuffisan­ts

Une section de l’étude sur les avantages économique­s du futur troisième lien pour la société dans son ensemble a cependant retenu l’attention du professeur Meloche. On y calcule les montants que les automobili­stes pourraient épargner en carburant et en entretien de leur véhicule, par exemple.

On y calcule aussi les avan‐ tages économique­s du troi‐ sième lien en ce qui a trait à la diminution des accidents rou‐ tiers ainsi que les bienfaits en‐ vironnemen­taux liés à la ré‐ duction des émissions de cer‐ tains polluants dans l’air.

En additionna­nt tous ces avantages économique­s, l’étude conclut que les gains s'élèveraien­t à un peu moins de 550 000 $ par année aux heures de pointe.

C'est encore pire que ce que je pensais, s’exclame JeanPhilip­pe Meloche. Même en doublant ces gains écono‐ miques pour tenir compte de l’ensemble de la journée, le to‐ tal serait très loin d’égaler les sommes nécessaire­s à l’exploi‐ tation et à l’entretien du troi‐ sième lien, évaluées à 25,6 mil‐ lions de dollars par année.

C'est comme si je vous de‐ mandais d'investir dans un projet qui va coûter 25 fois plus cher que ce qu'il pourrait générer comme bénéfices en vous disant : "C'est un super bon projet pour notre ré‐ gion!"

Jean-Philippe Meloche, professeur et directeur de l'École d'urbanisme et d'amé‐ nagement du paysage de l'Université de Montréal

C’est sans compter les coûts d’amortissem­ent de l’in‐ frastructu­re, ajoute le profes‐ seur. Sous l'angle d'un ges‐ tionnaire de fonds publics, il n'y a personne qui devrait trouver que c'est un bon in‐ vestisseme­nt, analyse-t-il.

Invité à commenter, le di‐ recteur du développem­ent économique et de la promo‐ tion à la Ville de Lévis rappelle que les gains du tunnel ont été calculés uniquement pour quatre secteurs, c'est-à-dire l’approche des ponts de Qué‐ bec et Pierre-Laporte dans les deux directions.

C'est uniquement ça. On n'a pas extrapolé à l'ensemble de la région, soutient M. Meu‐ rant, parce que les données fournies par le Bureau de pro‐ jet du troisième lien ne per‐ mettaient pas de calculer audelà de ces secteurs précis.

Ce sont des gains significa‐ tifs pour quatre petits sec‐ teurs, géographiq­uement très limités, aux abords des ponts de Québec et Laporte.

Philippe Meurant, direc‐ teur du développem­ent éco‐ nomique et de la promotion à la Ville de Lévis

Tirée par les cheveux Lors de sa conférence de presse, le maire Gilles Le‐ houillier avait aussi souligné que le troisième lien entraîne‐ rait une hausse de la produc‐ tivité des travailleu­rs de 0,62 $ de l’heure.

C’est notamment ce gain de productivi­té qui permet d’affirmer que le PIB de la grande région de Québec aug‐ menterait avec l'entrée en ser‐ vice du tunnel.

La firme WSP s’est notam‐ ment basée sur une étude américaine qui démontre que les efforts d’aménagemen­t destinés à réduire les dis‐ tances parcourues en voiture peuvent avoir des effets posi‐ tifs sur les économies locales.

Or, le professeur Meloche rappelle que cette étude s'ap‐ plique non pas aux projets autoroutie­rs mais plutôt aux projets d’aménagemen­t qui favorisent les déplacemen­ts non motorisés, notamment le vélo et la marche.

De plus, la firme WSP semble avoir calculé les gains de productivi­té pour Lévis en les appliquant à l’ensemble des emplois sur le territoire de la ville. C’est une autre er‐ reur, selon le professeur Me‐ loche, car tous les travailleu­rs ne verront pas leur temps de déplacemen­t réduit par l’avè‐ nement du troisième lien.

Il donne l’exemple des cy‐ clistes, des piétons et des au‐ tomobilist­es qui n’ont pas à emprunter les ponts ou qui ne circulent pas à leurs abords.

Non seulement on cite une étude hors contexte – on reprend un résultat d'étude dans un contexte qui n'est pas approprié – mais on l'ex‐ trapole ensuite à une popula‐ tion qui n'est pas touchée par l'infrastruc­ture.

Jean-Philippe Meloche, professeur et directeur de l'École d'urbanisme et d'amé‐ nagement du paysage de l'Université de Montréal

L’augmentati­on projetée du PIB est donc tirée par les cheveux, déplore le profes‐ seur Meloche. Ce n'est pas in‐ tellectuel­lement très rigou‐ reux.

Là aussi, Philippe Meurant affiche son désaccord. Selon lui, la congestion routière ac‐ tuelle déborde sur les réseaux routiers municipaux des deux côtés du fleuve, ce qui justifie qu’on extrapole les gains de productivi­té à tous les tra‐ vailleurs.

C'est évident que ça af‐ fecte les conditions de circula‐ tion, la mobilité de l'ensemble du territoire de Lévis, soutient le directeur du développe‐ ment économique et de la promotion de la Ville.

L'étude, ce qu'elle confirme, c'est que les em‐ ployeurs et les employés vont bénéficier de la réalisatio­n de ce projet parce que le temps de déplacemen­t va être rac‐ courci, [non seulement] la du‐ rée mais également la dis‐ tance de déplacemen­t.

Philippe Meurant, direc‐ teur du développem­ent éco‐ nomique et de la promotion à la Ville de Lévis

Selon lui, l’étude est même conservatr­ice dans son éva‐ luation de l’augmentati­on de la productivi­té et du PIB.

Infrastruc­tures vieillis‐ santes

M. Meurant ajoute que l’actualité des dernières se‐ maines avec les craintes liées à l’état des suspentes du pont Pierre-Laporte est un autre argument qui rend nécessaire le tunnel Québec-Lévis.

On ne peut pas être tribu‐ taire de deux ponts qui sont menacés pour l'un ou pour l'autre de graves consé‐ quences étant donné l'état dans lequel ils se trouvent. On n'a pas le choix. C'est vrai‐ ment une nécessité, dit-il.

Jeudi dernier, après le dé‐ voilement de l’étude, la Coali‐ tion Non au troisième lien avait publié un communiqué pour dénoncer les incohé‐ rences contenues dans le do‐ cument.

L'analyse des retombées économique­s perd en crédibi‐ lité de par l’absence de com‐ paratif et l’inexistenc­e d’une étude d’opportunit­é sur le projet de troisième lien Qué‐ bec-Lévis, écrivait la Coalition.

Aux détracteur­s du projet, Philippe Meurant réplique que contrairem­ent à la Ville de Lévis, ils n’ont produit au‐ cune étude sur le troisième lien.

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