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Premier État à avoir criminalis­é l’avortement, le Missouri entre la fierté et le choc

- Valérie Gamache

Le procureur général du Missouri Eric Schmitt était prêt. La loi était écrite de‐ puis quelques semaines dé‐ jà et lorsque la décision de la Cour suprême est tom‐ bée, il n'a eu qu'à apposer sa signature pour que l'avortement devienne illé‐ gal au Missouri. L'État est ainsi devenu le premier à légiférer contre l'avorte‐ ment après le jugement du plus haut tribunal améri‐ cain.

À l'oratoire St. Francis de Sales dans la ville de Saint Louis, la décision de criminali‐ ser l'avortement fait l’unani‐ mité. L'église accueille tous les dimanches la communauté de l'Institut du Christ Roi Sou‐ verain Prêtre, une société de la mouvance catholique tradi‐ tionaliste. La messe y est célé‐ brée en latin et des centaines de fidèles y assistent chaque semaine.

Originaire de la France, Pierre Dumain est vicaire de‐ puis quatre ans dans cette pa‐ roisse du sud de la ville. Il par‐ tage et enseigne ses valeurs pro-vie avec les jeunes de sa communauté. Et ses convic‐ tions, dit-il, vont au-delà de la tradition religieuse. Il y a le cinquième commandeme­nt : "Tu ne tueras pas", mais ce n’est pas parce que je suis ca‐ tholique que je ne tue pas. Un athée ne tue pas un être hu‐ main. Un embryon est un être humain, donc on ne le tue pas explique-t-il.

Tuer un enfant sans dé‐ fense, c’est le plus grand crime.

Pierre Dumain, vicaire, ora‐ toire St. Francis de Sales

Dans la communauté, les familles sont nombreuses. Au sous-sol de l'église où les fi‐ dèles se rassemblen­t après la messe, il n'est pas rare de croi‐ ser des familles de 6, 7 ou même 12 enfants. L’avorte‐ ment, pour eux, n’est pas une option même en cas de viol.

Confronté à cette ques‐ tion, Pierre Dumain répond que ce n'est pas grâce à l'avor‐ tement que l'on peut com‐ battre la culture du viol. La question d’abord, c’est pour‐ quoi il y a des viols? Pourquoi il y a ce manque de respect pour la femme? soutient-il.

À quelques kilomètres de l’oratoire se trouve la seule cli‐ nique d’avortement de tout le Missouri. À Planned Paren‐ thood, depuis vendredi, qui‐ conque y pratique une inter‐ ruption volontaire de gros‐ sesse s’expose à une peine de 5 à 15 ans de prison. L'avorte‐ ment est devenu un crime passible de la même peine qu’un homicide volontaire.

Dorénavant, les avorte‐ ments sont autorisés seule‐ ment dans les cas où la vie de la mère est en danger. La loi vise à punir les médecins qui pratiquent des avortement­s et non leurs patientes.

C'est un choc, lance Tania

Thomas. J'avais entendu que c’était en discussion, mais je n’avais jamais pensé qu'ils prendraien­t les droits aux femmes, poursuit cette Qué‐ bécoise qui habite la banlieue de Saint Louis depuis plus de 25 ans.

Elle craint maintenant que les élus républicai­ns aillent plus loin. Ils pourraient très bien décider de s'en prendre ensuite au mariage entre deux personnes du même sexe ou bien les autres droits à la contracept­ion, dit la mère de famille.

Sa fille,

Jade,

s'inquiète également. La jeune femme de 25 ans est anthropolo­gue et termine un doctorat en médecine à l'Université Wa‐ shington de Saint Louis. Ses études l'ont menée à travailler dans une clinique venant en aide à des femmes victimes de violence conjugale, et la cri‐ minalisati­on de l'avortement maintiendr­a les femmes pri‐ sonnières du cercle de la vio‐ lence.

Dans des foyers où il y a de la violence conjugale, la gros‐ sesse est en quelque sorte une façon de garder les femmes prisonnièr­es de ce modèle et plus rien ne pourra plus arrêter ça, déplore-t-elle.

Je sens que notre futur est menacé.

Jade Thomas

De retour à l'oratoire St. Francis de Sales, Pierre Du‐ main, lui, croit plutôt que cette décision aura un effet positif dans les États qui sui‐ vront l’exemple du Missouri. On va voir les résultats dans quelques années dans les États qui l'ont interdit et ceux qui l'autorisent. On verra que des États, où l'avortement de‐ meurera légal, vont s’effon‐ drer [...] Sans enfant, la perte des valeurs familiales va dé‐ truire le tissu social, croit-il.

Pour l'instant, force est d'admettre que c’est le débat autour de cette loi qui me‐ nace le tissu social du Missou‐ ri.

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