Le cyberespace, l’autre front de la guerre en Ukraine
L'armée russe et les forces ukrainiennes ne se com‐ battent pas uniquement sur le champ de bataille conventionnel. Dès le dé‐ but des hostilités, le gou‐ vernement de Kiev a résis‐ té sur l’autre terrain pri‐ mordial de la guerre : le cy‐ berespace.
Après avoir franchi plu‐ sieurs points de contrôle aux alentours des bâtiments offi‐ ciels de ce pays en guerre contre la Russie, nous sommes accueillis par une des assistantes du ministère de la Transformation numérique dans un des édifices impo‐ sants du gouvernement Ze‐ lensky à Kiev.
Et c’est George Dubinsky, le vice-ministre de cette intri‐ gante transformation numé‐ rique de l’Ukraine, qui nous reçoit dans une salle de confé‐ rences où seuls trônent un drapeau et l’emblème jaune et bleu du pays.
Avec son t-shirt noir mar‐ qué du slogan Be Brave (Soyez courageux) écrit en jaune, M. Dubinsky, une des chevilles ouvrières de ce vaste programme, nous vante l’am‐ bitieux projet de faire de l’Ukraine un des leaders mon‐ diaux du numérique d’ici 2030.
Le ministère de la Transi‐ tion numérique a été créé par le gouvernement Zelensky lors de son accession au pou‐ voir, en 2019. Et c’est le jeune vice-premier ministre trente‐ naire Mykhailo Fedorov qui est devenu le porte-voix des aspirations numériques de ce pays.
L’Ukraine, du numérique
En coulisses, George Du‐ binsky, son ministre adjoint, fait l’inventaire des réalisa‐ tions dans le domaine. Nous avons commencé à transférer tous les services administra‐ tifs gérés par le gouverne‐ ment dans cette application pour que les citoyens aient accès à tout ce dont ils ont besoin sur leur téléphone in‐ telligent.
Ce projet a été mené grâce à l’application Diia (action en ukrainien), devenue un des
pionnière fers de lance de cette straté‐ gie. Sorte de guichet unique à portée de main, elle est main‐ tenant au coeur de la vie de 17 millions d’Ukrainiens qui s'y sont inscrits. On peut ainsi avoir accès à sa carte d’identi‐ té, à son passeport et à tout autre document essentiel.
Au départ, cette applica‐ tion avait surtout été conçue et lancée pour mieux gérer la pandémie. Depuis l’invasion russe, c’est devenu un puis‐ sant outil pour aider la popu‐ lation.
Comment? Notamment grâce à la géolocalisation pour indiquer, par exemple, les en‐ droits où se trouvent les as‐ saillants russes ou encore pour permettre à des Ukrai‐ niens coincés dans des zones de combat moins pourvues en services de demander une aide financière sans devoir se déplacer pour déposer une demande dans des bureaux gouvernementaux parfois éloignés.
Armée virtuelle
Sur le champ de bataille numérique, là aussi, l’Ukraine s’est démarquée avec ce que le ministère de la Transforma‐ tion numérique appelle son IT Army, c'est-à-dire son armée des technologies de l’informa‐ tion, en fait constituée de ha‐ ckers (pirates) bénévoles de l’Ukraine ou d’ailleurs qui continuent de lancer des at‐ taques contre les sites gou‐ vernementaux russes.
Tout est plus ou moins co‐ ordonné au moyen d’une chaîne sur Telegram, suivie par plus de 275 000 per‐ sonnes. La technique consiste notamment à lancer des at‐ taques par déni de service. Se‐ lon cette méthode, un site re‐ çoit tellement de demandes en même temps qu’il en de‐ vient inaccessible, avec tous les problèmes que cela peut entraîner pour ceux qui le gèrent. Un des faits d’armes notables de ce groupe? La pa‐ ralysie de la plateforme Ru‐ tube, l'équivalent russe de YouTube.
Le vice ministre Dubinski reste plutôt discret quant aux actions véritables et aux ré‐ sultats de cette armée vir‐ tuelle. Il s'agit de préserver le secret stratégique, souffle-t-il.
Ce sont des civils qui, à leur manière, nous donnent un coup de main dans cette cyberguerre.
George Dubinsky, ministre adjoint de la Transformation numérique de l'Ukraine
Il reste que plus de 1800 sites russes auraient ain‐ si été la cible de ces dizaines de milliers de soldats numé‐ riques.
Gagner la cyberguerre grâce aux géants du Web
L’élan de solidarité en fa‐ veur de l’Ukraine s’est aussi propagé jusqu’aux milliar‐ daires de la haute technolo‐ gie. Mykhailo Fedorov a d’ailleurs contacté Elon Musk sur les réseaux sociaux. Pen‐ dant que vous essayez de co‐ loniser Mars, la Russie tente d’occuper l’Ukraine, a-t-il écrit sur Twitter deux jours après le début de l’invasion russe, en février dernier. Quelques heures plus tard, le milliar‐ daire activait le service Star‐ link d’Internet par satellite en Ukraine pour soutenir le ré‐ seau du pays attaqué.
Meta (qui possède Face‐ book) et Google ont aussi été approchés par le gouverne‐ ment Zelinsky afin de consoli‐ der le blocus numérique contre la Russie, notamment pour empêcher la diffusion de la propagande de Moscou sur les réseaux sociaux. Cela a fait déclarer au ministre Fedorov que l’Ukraine a déjà gagné la guerre sur Internet.
Microsoft, une entreprise très avancée dans le domaine de la cybersécurité, nous avise dès qu’elle détecte des attaques en voie de prépara‐ tion par la Russie si notre pays peut y être vulnérable, ajoute George Dubinsky.
L’Ukraine a aussi sollicité des États comme le Canada pour effectuer une migration numérique afin de protéger, de stocker et de mettre ses bases de données à l’abri des attaques russes. Cette opéra‐ tion a été scellée lors du ré‐ cent sommet de Davos, en Suisse, où le ministre cana‐ dien de l'Industrie et de l'In‐ novation, François-Philippe Champagne, avait offert cette possibilité.
Créer pour et pour mobiliser
Il suffit de parcourir les ré‐ seaux sociaux pour s’aperce‐ voir de l’efficacité des cam‐ pagnes de l’Ukraine pour dé‐ noncer l’attaquant russe et pour fédérer des aides inter‐ nationales de tout type. Que ce soit avec des vidéos de promotion très léchées pour le gouvernement Zelensky ou avec des images fortes de la guerre pour sensibiliser l’opi‐ nion internationale, l’Ukraine a acquis un savoir-faire évident en la matière.
Nos citoyens ont accompli un immense effort en matière de créativité. Ils ont tellement été outragés par l'attaque russe qu’ils en ont été inspi‐ rés. Et on ne s'attendait pas à ce qu'ils le montrent de façon aussi efficace.
George Dubinsky, vice-mi‐ nistre de la Transformation numérique
Au ministère de la Trans‐ formation numérique, on aime démontrer que la Russie a été surévaluée presque au‐
résister