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Les terrasses de Toronto appréciées par certains, décriées par d’autres

- Yanick Lepage

Un produit de la pandémie, le programme CaféTO de la Ville de Toronto permet aux restaurate­urs d’amé‐ nager des terrasses devant leur commerce. Malgré la popularité de l’initiative, certains se plaignent du coup d'oeil que donnent certaines terrasses à la ville.

Sur la rue Dundas dans le quartier Beaconsfie­ld Village à l’ouest du centre-ville, la de‐ vanture de la boutique de vin Grape Witches se démarque du lot.

Les propriétai­res ont amé‐ nagé à même la rue une ter‐ rasse clôturée par une struc‐ ture de bois et protégé par de grands parasols. Des jardi‐ nières et des lumières d’am‐ biance viennent compléter le décor.

Cet aménagemen­t est ren‐ du possible grâce au pro‐ gramme CaféTO, créé il y a deux ans pour permettre aux restaurate­urs d’accroître leur capacité tout en respectant les mesures de distanciat­ion sociale. Plus de 1200 com‐ merces torontois ont profité du programme pour aména‐ ger une terrasse l’an dernier.

Grape Witches participe à l’initiative pour la première fois cette année. Les proprié‐ taires veulent accueillir plus de clients, voyant le succès de leur patio arrière.

C’est une nouvelle terrasse chaque année, explique avec enthousias­me la gérante Ni‐ cole Raufeisen. Elle souligne l’engouement de sa clientèle pour ces espaces de dégusta‐ tion à l’extérieur. C’est mer‐ veilleux. Les gens sont très ex‐ cités, dit-elle.

Quelques kilomètres plus loin au café Moonbean dans le quartier Kensington Mar‐ ket, la terrasse qu’a aménagée Allen Edstein, le propriétai­re, est plus modeste. Quelques tables en plastique, certaines couvertes de parasols, per‐ mettent aux clients de profi‐ ter du beau temps. L’espace est protégé par des cônes orange et d’imposants blocs de béton fournis par la ville pour des questions de sécuri‐ té.

Le style industriel de ces terrasses que l’on retrouve partout à travers la ville ne plaît pas à tous. Sur les mé‐ dias sociaux, le conseiller mu‐ nicipal Josh Matlow deman‐ dait plus tôt ce mois-ci des aménagemen­ts plus inspi‐ rants.

Pour le propriétai­re du ca‐ fé Moonbean, ces critiques sont déplacées. Vous avez des restaurate­urs qui tentent de se remettre de deux ans de pandémie et vous avez des gens qui se plaignent qu’ils n’ont pas de belles terrasses?, se questionne-t-il.

Une question d’argent et de bureaucrat­ie

La terrasse de la boutique de vin Grape Witches a coûté 4000 dollars à l’entreprise, es‐ time la copropriét­aire, Nicole Campbell. C’est sans compter les quelques centaines de dol‐ lars par mois additionne­ls dé‐ boursés pour louer la struc‐ ture en bois.

Une partie de ces dé‐ penses aurait pu être finan‐ cée par un nouveau pro‐ gramme d’améliorati­on des espaces commerciau­x exté‐ rieurs bâtis à travers CaféTO. Ce financemen­t rendu pos‐ sible par le gouverneme­nt fé‐ déral couvre la moitié des dé‐ penses d’aménagemen­t d'une terrasse jusqu’à hauteur de 5000 dollars. Un montant ad‐ ditionnel de 2500 dollars est disponible pour rendre les installati­ons plus accessible­s aux personnes à mobilité ré‐ duite.

Grape Witches n’a pas fait de demande de financemen­t cette année. Les propriétai­res attendent de faire des inves‐ tissements plus substantie­ls pour le faire.

Pour M. Edstein, c’est la bureaucrat­ie qui l’a incité à aménager sa terrasse par ses propres moyens. C’est trop pénible. Il y a trop de régle‐ mentations et ça n’en vaut pas la peine, dit-il.

Le conseiller Matlow se montre compréhens­if devant ces critiques du restaurate­ur. Je crois que la Ville devrait rendre le processus [pour ob‐ tenir du financemen­t] beau‐ coup plus simple , soutient-il.

Néanmoins, il n’est pas prêt à renoncer à son désir de voir des terrasses plus at‐ trayantes à Toronto.

Le 15 juin dernier, il a pré‐ senté une motion acceptée par le conseil de Ville de To‐ ronto visant à encadrer le de‐ sign des installati­ons de Café‐ TO. La directrice de la division des services de transport, Bar‐ bara Gray, doit formuler des recommanda­tions et les re‐ mettre début 2023.

Une manne pour une entreprise torontoise

Tout comme les proprié‐

taires de Grape Witches, plu‐ sieurs restaurate­urs qui ont décidé d’embellir leur terrasse font affaire avec l’entreprise GRIPBlock. Celle-ci leur loue pour la saison estivale une structure en blocs de bois re‐ tenus par de petites dents en aluminium.

Nous offrons une solution qui est visuelleme­nt belle et qui agit en même temps comme barrière de sécurité, explique le directeur des ventes Mark Lavelle.

Selon l’entreprise, plus de 300 restaurate­urs torontois utilisent à ce jour leur produit. Aux dires de M. Lavelle, ceuxci déboursent entre 400 et 500 dollars par mois pour la structure d’une terrasse convention­nelle.

Josh Matlow mentionne l’exemple de GRIPBlock comme une solution que la Ville pourrait inciter les com‐ merçants à utiliser pour rendre les installati­ons de Ca‐ féTO plus attrayante­s.

Un urbaniste appelle à la patience

Pour l’urbaniste Ken Greenberg, l’arrivée de CaféTO pendant la pandémie a pro‐ fondément changé la manière dont les Torontois occupent l’espace public. C’est la possi‐ bilité de s'asseoir, de prendre un verre avec des amis ou des collègues dans la rue et ce n’était pas du tout la façon dont on vivait avant à Toron‐ to, explique-t-il.

Le conseiller Matlow abonde dans le même sens, lui qui rapporte la joie de nombreux résidents de dé‐ couvrir à Toronto une culture de la terrasse qu’ils enviaient de certaines villes du monde.

Tous ne sont pas de cet avis. Andy Scrimshaw, un ré‐ sident du quartier Kensington Market, dit détester les nou‐ velles terrasses qui rendent selon lui les déplacemen­ts en voiture plus compliqués à To‐ ronto. Il est l’un des seuls clients à boire son café à l’inté‐ rieur lors du passage de Ra‐ dio-Canada chez Moonbean où il est un habitué.

Aux yeux de Ken Green‐ berg, ces irritants sont à pré‐ voir et vont pour certains s'at‐ ténuer à mesure que la culture de la terrasse va se dé‐ velopper. Dans cinq ans, lors‐ qu’on va se balader à Toronto, on va voir une expérience de CaféTO qui va être nettement meilleure de ce qu’on voit au‐ jourd’hui, soutient-il. Il envi‐ sage l’émergence d’une indus‐ trie de produits de fabricatio­n de terrasses à Toronto, et po‐ tentiellem­ent la piétonnisa‐ tion prolongée de certaines artères.

Les terrasses de CaféTO demeureron­t dans les rues jusqu’au 7 novembre cette année. L’automne dernier, la Ville de Toronto a rendu Café‐ TO permanent, une mesure qui permettra aux restaura‐ teurs d’aménager des ter‐ rasses à longueur d’année, et ce à partir de 2023.

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