Des « travailleurs de proximité » pour aider les enfants et leur famille
Aussi étonnant que cela puisse paraître, même en 2022, plusieurs enfants de moins de cinq ans n'ap‐ paraissent pas sur les écrans radars du gouverne‐ ment. Ils ne fréquentent pas de CPE ou de garderie et sont rarement vus par des médecins. La plupart du temps, ils vivent dans des milieux défavorisés et souffrent souvent de re‐ tards moteurs ou de lan‐ gage, ainsi que de troubles de comportement. Québec veut les retrouver et aider leurs familles, en dé‐ ployant des « travailleurs de proximité » partout dans la province.
C'est quelque chose qu'on n'a jamais fait auparavant, af‐ firme le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe. On doit al‐ ler vers eux et prendre leur fa‐ mille par la main pour leur of‐ frir des services, sans les obli‐ ger.
Son ministère veut ainsi donner suite à une recom‐ mandation du rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la pro‐ tection de la jeunesse, prési‐ dée par Régine Laurent. Un projet pilote de neuf millions de dollars sera lancé au cours des prochaines semaines, pour une durée de trois ans.
Les organismes commu‐ nautaires et les centres de pé‐ diatrie sociale sont appelés à collaborer au projet. Plusieurs d'entre eux comptent déjà ce type d'intervenant dans leurs rangs, mais chacun fonc‐ tionne à sa manière, selon la mission qui lui est confiée. L'un des objectifs du projet pi‐ lote sera de développer le concept à l'échelle du Québec, autant pour les milieux ur‐ bains et ruraux que pour les communautés autochtones.
Des messagers sociaux Les travailleurs de proximi‐ té sont définis comme un croisement entre le travailleur social et l'intervenant com‐ munautaire, appelés à tra‐ vailler davantage sur le terrain qu'en clinique.
C'est un peu comme les travailleurs de rue, qui vont à la rencontre des gens en diffi‐ culté plutôt que d'attendre qu'ils viennent à nos bureaux ou qu'ils nous appellent. Il y a un aspect de dépistage là-de‐ dans, mais un dépistage par des gens capables d'apprivoi‐ ser des personnes en difficul‐ té et pas toujours faciles à ap‐ procher, explique le Dr Gilles Julien, dont la Fondation est reconnue comme l'un des précurseurs en matière de pé‐ diatrie sociale communau‐ taire. Il qualifie ces travailleurs de messagers essentiels.
Selon lui, cette approche de proximité est d'autant plus nécessaire au sortir de la pan‐ démie, après que de nom‐ breuses familles démunies se soient encore plus isolées. Ces gens-là sont habitués à se ca‐ moufler. J'ai vu dernièrement des parents que je n'avais ja‐ mais vraiment vus aupara‐ vant parce qu'ils étaient tou‐ jours masqués avec leurs en‐ fants quand ils sortaient. Ils ont tendance à rester chez eux, à moins s'ouvrir.
L'argent de Québec per‐ mettra de créer de nouveaux postes de travailleurs de proximité dans les orga‐ nismes communautaires et les centres de pédiatrie so‐ ciale. Les sommes pourront aussi être utilisées pour boni‐ fier le salaire des intervenants qui font déjà le travail. Le Dr Julien estime qu'un ou deux travailleurs par organisme pourront être ajoutés grâce au projet pilote.
Ils devront développer des stratégies pour rejoindre les familles en situation de vulné‐ rabilité qui ne sollicitent pas les services offerts gratuite‐ ment par l'État dont elles au‐ raient pourtant besoin. Il peut s'agir d'aide pour trouver des banques alimentaires, des vê‐ tements, des services éduca‐ tifs, ou d'accompagnement. L'objectif principal est de les sensibiliser aux ressources existantes ou de les informer de leur existence.
Des travailleurs par‐ tout, dans toutes les ré‐ gions
On veut les amener vers les services et les outiller pour que leur vie soit meilleure. Il faut qu'elles aient accès à ce qu'elles ont droit, ajoute le mi‐ nistre Lacombe. Avec le projet pilote, il compte définir préci‐ sément le rôle des travailleurs de proximité et trouver les meilleures méthodes pour re‐ joindre les familles.
Le directeur de la Fédéra‐ tion québécoise des orga‐ nismes communautaires Fa‐ mille (FQOCF), Alex Gauthier, espère qu'ils réussiront à trouver le meilleur modèle pour reconduire ce projet pi‐ lote de façon permanente et obtenir un financement ré‐ current pour ce type d'inter‐ venant.
Ils agissent comme une courroie de transmission et sont un frein à l'isolement des familles. Certaines familles peuvent avoir de la difficulté à demander de l'aide et c'est sûr que le problème s'est exa‐ cerbé avec la pandémie, ex‐ plique-t-il.
Depuis deux ans, on a constaté une hausse impor‐ tante de la toxicomanie, de l'alcoolisme, de la violence conjugale et des problèmes d'adaptation sociale des en‐ fants. Ces familles-là ont be‐ soin d'aide pour sortir du ma‐ rasme dans lequel elles peuvent s'être enracinées, ajoute M. Gauthier. Mais pour les rejoindre, il pense aussi qu'il faudra aller à leur ren‐ contre, sans attendre que ces familles entreprennent les dé‐ marches en premier pour de‐ mander de l'aide.
Plus on va vers eux, plus on se rapproche d'eux, plus ils viennent nous confier des choses et nous demander des services. Mais si on n'est pas près d'eux, c'est plus difficile et on échappe beaucoup d'enfants qui tombent entre deux chaises et qui passent dans les filets de la DPJ et des CLSC. Ça fait longtemps que je souhaitais un mouvement vers ça. C'est peut-être le dé‐ but de quelque chose de nou‐ veau, une forme de médecine de proximité, conclut le Dr Gilles Julien.