Bond de 1500 % des coûts pour la main-d’oeuvre indépendante depuis la création du CISSS-AT
Radio-Canada a appris que le Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue (CISSS-AT) a dépensé un peu plus de 71 millions de dollars pour l’utilisation de la main-d'oeuvre indépen‐ dante en 2021-2022. Ces coûts sont 15 fois plus éle‐ vés que lors de la création de l’organisation en 2015.
Le montant obtenu en vertu de la Loi sur l'accès à l'information représente une augmentation de 15 % par rapport à l’année précédente et de 1508 % depuis 2015.
C’est une catastrophe. On voit que d’année en année, ça n’arrête pas de gonfler et rien n’est fait concrètement pour diminuer ça.
Jean-Sébastien Blais, pré‐ sident de la Fédération inter‐ professionnelle de la santé de l'Abitibi-Témiscamingue
Pénurie de maind’oeuvre
Le CISSS de l’Abitibi-Témis‐ camingue attribue cette nou‐ velle hausse par l’importante pénurie d’employés qui l’af‐ fecte. L’organisation estime que plus de 1000 travailleurs sont actuellement absents ou manquants dans le réseau de la santé et des services so‐ ciaux de la région.
Les coûts sont directe‐ ment associés à notre besoin de main-d'oeuvre indépen‐ dante qui augmente. La pénu‐ rie de main-d'oeuvre s’accen‐ tue. Les cinquième et sixième vagues de COVID-19 ont né‐ cessité une utilisation accrue de la main-d'oeuvre indépen‐ dante, explique le directeur adjoint des ressources hu‐ maines, des affaires juridiques et des communications du CISSS-AT, Mathieu Fortier.
Le président de la Fédéra‐ tion interprofessionnelle de la santé de l’Abitibi-Témisca‐ mingue, Jean-Sébastien Blais, déplore que la tendance à la hausse des coûts pour la main-d'oeuvre indépendante du CISSS-AT ne se renverse pas.
À chaque année, on dé‐ pense tout le temps de plus en plus d’argent sans toute‐ fois avoir des mesures d’at‐ traction et de rétention qui nous garantissent que le per‐ sonnel va rester en région. On n’a pas de stabilité au niveau des professionnels en soins , expose-t-il.
Relevant d’agences pri‐ vées, la main-d'oeuvre indé‐ pendante est utilisée par le CISSS-AT lorsqu’il n’a pas les effectifs nécessaires au sein de ses établissements.
Depuis le 1er mai, la majo‐ rité des agences de placement du Québec doivent mainte‐ nant respecter une nouvelle grille tarifaire. Le taux horaire maximal se chiffre à 74,36 $ pour les infirmières clini‐ ciennes, 71,87 $ pour les infir‐ mières, 47,65 $ pour les infir‐ mières auxiliaires et 41,96 $ pour les préposés aux bénéfi‐ ciaires. Ces montants peuvent être majorés de 20 % dans certaines régions éloignées comme l’Abitibi-Témisca‐ mingue.
Le personnel paratech‐ nique des services auxiliaires et de métiers, qui comprend notamment les préposés aux bénéficiaires, forme la catégo‐ rie d’employés pour laquelle le CISSS-AT a dû dépenser la plus grande somme d’argent en main-d'oeuvre indépen‐ dante en 2021-2022, avec près de 40 millions de dollars.
Ailleurs au Québec
Parmi les CISSS de la pro‐ vince ayant rendu public leur rapport financier 2021-2022, celui de l’Abitibi-Témisca‐ mingue est le troisième ayant alloué le plus d’argent pour l’utilisation de main-d'oeuvre indépendante, et ce, pour une clientèle en moyenne trois fois moins grande à desservir qu’ailleurs au Québec.
Impact sur le budget du CISSS-AT
Les dizaines de millions dé‐ pensés par le CISSS-AT pour la main-d'oeuvre indépendante affectent le budget de l’orga‐ nisation, au point où elle a en‐ registré un septième déficit d'affilée en 2021-2022.
Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a par ailleurs demandé un plan de retour à l’équilibre budgé‐ taire. Par courriel, le MSSS fait savoir que le gouvernement est conscient des enjeux reliés à la rareté de main-d'oeuvre, aux coûts afférents à la maind'oeuvre indépendante et soucieux des enjeux particu‐ liers rencontrés par les éta‐ blissements en régions éloi‐ gnées.
Afin d’absorber une partie des dépenses reliées à l’utilisa‐ tion de la main-d'oeuvre indé‐ pendante, le CISSS-AT atteste qu’aucune compression bud‐ gétaire n’est appliquée aux services directement offerts à la population.
Gestion de la maind’oeuvre indépendante
Jean-Sébastien Blais consi‐ dère que le CISSS-AT pourrait diminuer les coûts liés à la main-d'oeuvre indépendante s’il l’utilisait de façon plus adé‐ quate et efficiente.
Souvent, il y a de la maind'oeuvre indépendante utili‐ sée alors que les besoins ne sont pas là. Les gens viennent pour faire sept ou dix quarts de seize heures alors qu’on n’en aurait besoin que pour quatre quarts de seize heures. La main-d'oeuvre indépen‐ dante est donc utilisée pour moins de services que nous en avons réellement besoin, dénonce le président de la FIQ-SISSAT.
Mathieu Fortier indique que la logistique et la gestion de la main-d'oeuvre indépen‐ dante au sein du CISSS-AT sont différentes de celles de son propre personnel.
Il y a des secteurs qui dé‐ pendent grandement de la main-d'oeuvre indépendante. C’est justement une maind'oeuvre qui est autonome et on n’a pas nécessairement la capacité de maintenir une pla‐ nification à long terme avec eux, fait remarquer le direc‐ teur adjoint des ressources humaines, des affaires juri‐ diques et des communica‐ tions du CISSS-AT.
Réviser l’élaboration des horaires
La Fédération interprofes‐ sionnelle de la santé de l’Abiti‐ bi-Témiscamingue incite le CISSS-AT à mettre en place l’autogestion des horaires afin de diminuer le recours à la main-d'oeuvre indépendante.
Autogestion des ho‐ raires
L’autogestion des horaires permet à des gestionnaires de centres d’activités et départe‐ ments d’élaborer eux-mêmes les horaires de leur propre équipe. Par exemple, un ges‐ tionnaire d’Amos ne pourrait pas définir les horaires de tra‐ vail d’un département à Rouyn-Noranda.
Le président de la FIQ-SIS‐ SAT, Jean-Sébastien Blais, évoque le cas de l’urgence au Centre hospitalier de RouynNoranda, où l’autogestion des horaires aurait permis d’éradi‐ quer complètement l’utilisa‐ tion de la main-d'oeuvre indé‐ pendante.
Le directeur adjoint des ressources humaines, des af‐ faires juridiques et des com‐ munications du CISSS-AT, Ma‐ thieu Fortier, confirme que l’organisation a l’intention d’élargir ce type d’horaire à d’autres établissements, no‐ tamment ceux offrant des soins 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
Tout ce qui est la modula‐ tion et l’aménagement d’ho‐ raires, pour nous, c’est une voie qui est assurément né‐ cessaire et importante à ex‐ plorer et à travailler pour ré‐ soudre l’enjeu de maind'oeuvre et le défi de la maind'oeuvre indépendante. Mathieu Fortier
Le CISSS-AT travaille égale‐ ment à offrir des horaires plus avantageux et prévisibles à certaines tranches de ses em‐ ployés.
On travaille actuellement plus sur des projets d’aména‐ gement d’horaires innovants. On est donc plus dans des compositions de gens qui tra‐ vaillent à temps complet, mais avec des horaires : je tra‐ vaille sept jours, j’ai sept jours de congé, précise Mathieu Fortier.
Formation
Mathieu Fortier soutient que la diminution de l’utilisa‐ tion de la main-d'oeuvre indé‐ pendante et les coûts asso‐ ciés passent également par le recrutement et la formation de nouveaux travailleurs de la santé.
On travaille de manière as‐ sez intensive, autant avec les maisons d’enseignement pour le développement de co‐ hortes que pour des forma‐ tions accélérées. On travaille aussi le volet international, beaucoup développé dans les dernières années, assure le di‐ recteur adjoint des ressources humaines, des affaires juri‐ diques et des communica‐ tions du CISSS-AT.
Questionné à savoir si les différentes mesures pour di‐ minuer l’utilisation de la maind'oeuvre indépendante au‐ ront un impact positif sur les finances du CISSS-AT, M. For‐ tier préfère demeurer pru‐ dent.
On ne peut pas se posi‐ tionner et dire qu’il y aurait une diminution parce que la pénurie [de main-d'oeuvre] se maintient dans l’ensemble des secteurs. On n’assistera donc pas nécessairement à une diminution dans la pro‐ chaine année, souligne-t-il.