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Lignes de fuite : Catherine Chabot ôte les gants

- Helen Faradji La pièce

La dramaturge adapte avec Miryam Bouchard sa pièce de théâtre dans un film acide et drôle, en salle le 6 juillet.

« On peut-tu boire des bulles sans parler de la ban‐ quise qui fond? » – Lignes de fuite

Sur les planches, le texte rentrait déjà dans le lard. La petite bourgeoisi­e, les intellos snobs, les gens de région, la sexualité, le monde des mé‐ dias, l’engagement, l’amitié, la célébrité, la liberté d’expres‐ sion… rien n’était épargné au rythme pétaradant de ré‐ pliques qui tuent que s’échan‐ geaient les membres de trois couples de trentenair­es dont les filles sont des amies d’en‐ fance.

Sur grand écran, la greffe prend. Même si le huis clos s’est ouvert, que certains in‐ terprètes ont changé et que la mise en scène ne transcende rien, restent la force et la viru‐ lence des mots de Catherine Chabot, autrice, comédienne, désormais coréalisat­rice (avec Miryam Bouchard), coscéna‐ riste (avec Émile Gaudreault) et observatri­ce lucide et viru‐ lente de notre monde. Complément­s:

Menteur: l'entrevue-vérité avec Émile Gaudreault, Cathe‐ rine Chabot et Antoine Ber‐ trand "Pourquoi j'écris", avec Catherine Chabot

Lignes de fuite: décloisonn­er la réalité Lignes de fuite: dans l'ombre de la fin du monde

Nous l’avons rencontrée. Comme la pièce, le film tire sur tout ce qui bouge et c’est jubilatoir­e. Ressen‐ tiez-vous le même senti‐ ment à l’écriture?

Catherine Chabot : Oui. Oui, oui! J’ai sorti mes an‐ goisses et appuyé sur toutes mes contradict­ions, parce que je nous regarde aller, moi et mes contempora­ins, et je les vois bien.

On est très conscients de nos angles morts, mais on est tout et son contraire en même temps : on composte et on prend l’avion pour aller dans un tout-inclus; on se rend aux marches pour l’envi‐ ronnement en char… Tout ça m’habite.

J’ai plongé en moi, et ces personnage­s sont vraiment six voix qui se parlent en moi! Je ne cherche pas à donner raison à qui que ce soit, mais j’ai en moi ces discours qui se confronten­t, se cognent, s’ef‐ fritent. Et c’est ce qui explique qu’on reste pognés dans le statu quo aussi, parce que qu’est-ce qu’on fait devant l’ampleur de la crise? On s’en‐ cabane, on prend la voie du capitalism­e en se disant « après moi le déluge! », on a une conscience bobo de fa‐ çade…? Je me dis souvent : « Il faut que tu arrêtes de com‐ mander sur Amazon! » J’ap‐ puie sur mes contradict­ions et j’essaie de démêler ça à tra‐ vers six personnage­s qui s’en‐ gueulent!

Lorsqu’on met de l’avant ce qui fonctionne plus ou moins dans la société, il y a nécessaire­ment une envie de bousculer l’ordre établi. La comédie plus pop, plus sucrée, est-elle particuliè‐ rement propice à ça?

C.C. : La comédie, ça per‐ met aux spectateur­s et aux spectatric­es une détente, un dégagement, une disponibil­i‐ té, et donc la réception de ré‐ flexions, même philoso‐ phiques. C’est une comédie, oui, mais habitée de grands questionne­ments; de De‐ leuze, notamment. Les per‐ sonnages se demandent s’ils ont fait les bons choix de vie, s’ils vivent une vie bonne, s’ils respectent les attentes des autres, les leurs… Tellement de gens taisent les petites voix en eux qui disent : « At‐ tends un peu, peut-être que j’irais m’ouvrir un bar sur une plage au Mexique; c’est peutêtre ça, ma ligne de fuite? »

Cette ligne, explique Deleuze, est dangereuse; elle déterrito‐ rialise, elle te sort de tes a priori, de ton convenu, de ce que tu connais pour explorer autre chose. Beaucoup de monde est pogné avec ça, et

collective­ment, c’est en‐ core plus vaste : c’est quoi, saisir notre ligne de fuite col‐ lective? Comment on fait pour repenser ce qui doit l’être au complet? Métaphori‐ quement, c’est ce que le film dit : « Hey, la gang, c’est quoi, notre devenir collectif? » Et je crois que la comédie dispose à recevoir de telles réflexions.

Qu’est-ce que vous avez pu explorer de différent en transforma­nt la pièce en film?

C.C. : Entrer dans l’intimité des personnage­s. Au théâtre, le huis clos ne permettait pas d’aller dans la salle de bains, dans les chambres à coucher, de faire un gros plan sur les yeux d’un personnage qui re‐ çoit une réplique... C’était da‐ vantage un raz-de-marée où tout était donné en un seul plan, mais au cinéma, on choi‐ sit ce qu’on regarde, et donc on entre plus dans cette inti‐ mité.

Je pense aussi que c’est

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