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Pinocchio Hughes et « l’indécision » du Canadien

- Martin Leclerc

Si le directeur général du Canadien s’était appelé Pi‐ nocchio Hughes, son nez aurait été si long qu’il au‐ rait dû quitter la salle de presse à reculons, lundi après-midi, après avoir ren‐ contré les journalist­es au complexe d’entraîneme­nt de Brossard.

Sans sourciller, Kent Hu‐ ghes a affirmé qu’à 72 heures du repêchage de la Ligue na‐ tionale de hockey (LNH), l’or‐ ganisation du Canadien n’avait pas encore pris sa déci‐ sion quant à l’identité du joueur qu’elle sélectionn­era au tout premier rang jeudi soir!

C’est un peu fort de café. Très fort même.

Une chance que le repê‐ chage n’a pas lieu à la fin de juin comme d’habitude, parce qu’ils auraient sans doute dé‐ cidé ça à pile ou face, a lancé un pince-sans-rire.

Chose certaine on est très loin de Patrick Roy qui, en 2013, avait coupé immédiate‐ ment court au jeu des compa‐ raisons entre Nathan MacKin‐ non et Seth Jones. Roy avait écarté Jones de l’équation ma‐ nu militari. Et il avait renchéri en affirmant qu’il serait très difficile pour l’Avalanche de ne pas sélectionn­er l’attaquant des Mooseheads de Halifax.

Pour ceux qui l’auraient oublié, c’était Seth Jones, et non MacKinnon, qui trônait au sommet de la liste de la centrale de recrutemen­t de la LNH cette année-là.

Les déclaratio­ns de Roy détonnaien­t certaineme­nt avec les convention­s établies. Mais en même temps, cette façon de faire lançait un mes‐ sage clair à MacKinnon : tu es notre homme, nous avons confiance en toi et il n’y a au‐ cune hésitation de notre part.

On comprend fort bien que la LNH préfère que l’iden‐ tité du premier choix soit dé‐ voilée le soir du repêchage. Après tout, des télédiffus­eurs paient très cher pour obtenir le privilège de retransmet­tre les matchs et les événements de la ligue. Et plus les cotes d’écoute de ces partenaire­s sont élevées, plus le prix d’ac‐ quisition des prochains droits de télé de la ligue risque de l’être aussi.

Sans compter les milliers de spectateur­s qui, incroya‐ blement, ont déboursé de fortes sommes pour se procu‐ rer des billets. Au moment d’écrire ces lignes, seuls des billets d’admission générale, offrant des places aux ni‐

veaux supérieurs du Centre Bell, étaient encore dispo‐ nibles pour la soirée de jeudi.

Ça fait 42 ans que le CH n’a pas détenu le premier choix d’une séance de sélection. Le côté historique de cette soi‐ rée contribue certaineme­nt à cette frénésie aux guichets.

Cela dit, il y a une marge entre plaider l’indécision et tout simplement dire aux re‐ présentant­s des médias qu’un choix a été fait à l’interne et qu’il ne sera dévoilé que sur le plancher du repêchage.

Ce n’est pas de l’hésitation. Nous voulons simplement être sûrs que nos devoirs sont faits. Nous voulons aussi permettre à tous nos recru‐ teurs de faire entendre leur voix, a expliqué Kent Hughes.

Quand je leur ai relayé ces propos, deux recruteurs de la LNH ont spontanéme­nt écla‐ té de rire.

Les recruteurs du Cana‐ dien, évidemment, ont déjà fait leurs devoirs. Et deux fois plutôt qu’une, faut-il croire, puisqu’ils misent sur deux codirecteu­rs du recrutemen­t amateur en Martin Lapointe et Nick Bobrov. Lors du bilan de fin de saison du CH, Kent

Hughes affirmait d’ailleurs que la priorité de l’organisa‐ tion consistait à préparer le repêchage. Et c’est ce qui s’est produit.

En jouant la carte du nous ne sommes pas certains et du nous voulons encore faire d’autres vérificati­ons, la direc‐ tion envoie à son futur pre‐ mier choix des signaux ambi‐ gus.

La preuve que la CH a mi‐ nutieuseme­nt fait ses devoirs réside dans une foule de dé‐ tails. Comme ces offres, lan‐ cées depuis plusieurs se‐ maines, à des organisati­ons qui choisiront au milieu du premier tour.

Le Canadien est très com‐ batif dans son intention de troquer de la quantité pour mieux se positionne­r, notam‐ ment au premier tour. L'équipe dispose de 14 choix dans cette séance.

Les équipes approchées par Kent Hughes se sont fait offrir les 26e et 33e sélections (la 33e sélection étant la pre‐ mière du second tour) du CH en échange de leur position au milieu du premier tour.

Les recruteurs de Mont‐ réal ne sont pas des caves. Comme tout le monde, ils voient bien qu’il y a une sorte de cassure dans ce repêchage (une baisse de talent) autour de la 19e position. Par contre, le premier choix du second tour, ça vaut de l’or. Le lende‐ main de la première ronde, les DG qui détiennent les pre‐ miers choix de la deuxième ronde reçoivent des tas d’ap‐ pels. Tout le monde les veut! Alors l’offre du Canadien est certaineme­nt alléchante pour bien des équipes, affirme un recruteur d’un club de l’Ouest.

Il reste maintenant à voir comment se jouera le reste de la partie de poker.

Le Tricolore a tout intérêt à conclure ce marché le plus ra‐ pidement possible afin de pouvoir se servir d’un éven‐ tuel choix de milieu de pre‐ mier tour, en le bonifiant, pour s’avancer davantage à l’intérieur du top 5 ou du top 10.

Par contre, les équipes po‐ sitionnées au milieu du pre‐ mier tour ont tout intérêt à attendre jusqu’à la toute der‐ nière seconde pour conclure un tel marché. Si vous échan‐ gez, disons, votre 15e sélec‐ tion trop vite et qu’un joueur que vous aviez placé parmi les 10 meilleurs est encore dispo‐ nible au 15e échelon, vous ris‐ quez de vous en mordre les doigts. Il vaut donc mieux gar‐ der l’offre du CH dans sa manche et prendre le temps de voir si la séance prendra une direction inattendue.

Pour le reste, les partisans de l’équipe n’ont rien appris de significat­if au cours de ce point de presse du Canadien. Il fallait certaineme­nt être mu‐ ni d’un décodeur à haut degré se sensibilit­é pour saisir toutes les nuances du dis‐ cours offert par Kent Hughes et Vincent Lecavalier.

Par exemple, il était remar‐ quable que les dirigeants du CH insistent sur le fait qu’il y a toujours trois joueurs dans la course à leurs yeux, ce qui laisse dans le portrait le centre américain Logan Co‐ oley avec le centre canadien Shane Wright et le gros ailier slovaque Juraj Slafkovsky.

Kent Hughes est aussi re‐ venu à plusieurs reprises sur le fait que le but de l’exercice ne consiste pas à identifier le meilleur joueur de 18 ans mais plutôt celui qui sera le meilleur à 22, 23, ou 24 ans. Encore là, de l’avis général, Co‐ oley semble être le joueur ayant le potentiel de dévelop‐ pement le plus élevé.

Hughes a souvent répété que la familiarit­é avec un es‐ poir (l’avoir vu jouer sur une période de plusieurs années) est un aspect primordial du processus de recrutemen­t. En ce sens, il était impression‐ nant d’entendre le DG énumé‐ rer toutes les compétitio­ns et tous les niveaux où il a vu jouer Shane Wright dans le passé. Les agents, c’est connu, recrutent leurs éventuels clients vers l’âge de 13-14 ans.

Lecavalier a aussi souligné qu’il était difficile d’évaluer un espoir évoluant au sein d’une équipe qui lui offre peu de temps de jeu, ce qui était une allusion directe à Slafkovsky.

Par ailleurs, l’appel que Vincent Lecavalier a logé à Shane Wright s’est sans doute avéré un exercice fort instruc‐ tif pour le Canadien.

Cela dit, que cherchait à savoir le CH avec cet appel? Voulait-on vraiment savoir comment Wright avait géré la pression d’être identifié comme le futur premier choix du repêchage, ou voulait-on comprendre pourquoi la pro‐ duction offensive de Wright s’est avérée inférieure aux at‐ tentes?

Bref, il ne nous reste que trois jours à tenter de lire dans les feuilles de thé.

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