RoseAnne Archibald et son destin : décoloniser l’APN
« Je me suis bâtie pour être cheffe et je me suis bâtie pour ce moment », a lancé dans son discours de clô‐ ture de l’assemblée géné‐ rale de l’Assemblée des Pre‐ mières Nations, la cheffe RoseAnne Archibald.
Un destin qui culmine. Un destin qui n’a pas été laissé au hasard, mais qui a été construit pierre par pierre à travers des luttes qu’elle mène depuis trente ans, ditelle. Des luttes qui doivent faire ultimement de l’Assem‐ blée des Premières Nations (APN), l’outil qui devrait me‐ ner à l’émancipation des Pre‐ mières Nations au pays.
Or, un tel objectif passe d’abord pour la cheffe Archi‐ bald par se débarrasser des miasmes du colonialisme qui ont contaminé la plus impor‐ tante organisation autoch‐ tone du Canada. En bref, il faut décoloniser l’APN.
Décoloniser l’APN : le leit‐ motiv de l’assemblée générale qui s’est terminée jeudi soir.
La décolonisation em‐ brasse large et demeure à être défini plus précisément, à devenir concrète. Mais, la ré‐ flexion avance et des proposi‐ tions commencent à émerger, accompagnées de gestes à poser.
Concrètement pour les dé‐ légués, la première action à prendre pour y arriver consiste à implanter des me‐ sures pour assurer un droit de parole amélioré aux chefs et délégués en provenance des communautés pendant les assemblées générales.
Ce droit de parole doit d’abord se déployer en assu‐ rant aux chefs un temps rai‐ sonnable pour parler lors des assemblées, de livrer leur message dont les racines sont justement dans les commu‐ nautés. Si comme le dit la cheffe Archibald, la base re‐ présente le pouvoir légitime – qui l’a maintenu à son poste – sa participation aux discus‐ sions demande du temps.
Ces chefs de la base ont parfois vertement pris à par‐ tie les modérateurs de l’as‐ semblée pour des micros cou‐ pés après 3 minutes de prise de parole. Dans une démocra‐ tie qui se veut participative et qui repose sur la tradition au‐ tochtone, la durée de la prise de parole est un outil non né‐ gligeable, avec le risque évident que les assemblées s’allongent.
L’Assemblée des Premières Nations (APN) est la principale organisation politique au‐ tochtone du Canada. Elle re‐ présente environ 900 000 ci‐ toyens des Premières Na‐ tions. L’APN défend les inté‐ rêts des Premières Nations sur des questions telles que les traités, les droits des Au‐ tochtones ainsi que les terres et les ressources. L’organisa‐ tion a vu le jour en 1982 dans le but de donner aux chefs l’occasion de faire valoir les voix des Premières Nations du pays au sein d'une assem‐ blée délibérante.
Source: Encyclopédie ca‐ nadienne
La cheffe Archibald a don‐ né raison aux partisans de cette mesure et les a assurés qu’il s’agit maintenant de l’une de ses priorités. Le chef de l’Assemblée des Premières Na‐ tions Québec-Labrador (APN‐ QL) Ghislain Picard a aussi ju‐ gé la mesure nécessaire.
Ça fait 40 ans que cette or‐ ganisation existe, c’est sûr que sa structure, certaines de ses façons de faire, ne corres‐ pondent plus aux réalités d’aujourd’hui, ajoute-t-il.
L’autre mesure concrète sur le chemin de la décoloni‐ sation concerne le mode re‐ présentation au sein de l’APN. Une façon de faire actuelle qui s’apparente au fédéralisme ca‐ nadien qui n’a rien à voir avec la tradition autochtone comme l’affirme la grande cheffe de Kahnawake Kahsen‐ nenhawe Sky-Deer.
Par exemple nous sommes regroupés par pro‐ vince, plutôt que par nation. Comme la cheffe (Archibald) l’a affirmé, je crois que le temps des changements est arrivé. Des changements que nous devons faire ensemble.
Même son de cloche de la part de Russ Diabo, qui est aussi de Kahnawake et qui a été candidat au poste de chef de l’APN en en 2018.
Le chef Picard de l’APNQL trouve la proposition intéres‐ sante. Mais il croit aussi qu’une telle réforme prendra du temps, ce qui lui fait dire que c’est sans doute la pro‐ chaine génération qui fera un travail de la sorte au sein de l’APN .
L’autre chantier concerne la violence latérale, dont les femmes et les bi-spirituels au sein de l’APN seraient les prin‐ cipales cibles. C’est comme si les miasmes du colonialisme auraient contaminées les structures de l’organisation avance la cheffe Archibald.
Personnellement je n’ai ja‐ mais fait l’objet de tels com‐ portements. Mais si de tels comportements existent à l’APN, il faut y faire face et j’ap‐ puie la cheffe Archibald dans son combat.
Kahsennenhawe SkyDeer, grande cheffe de Kah‐ nawake
Une résolution de l’assem‐ blée générale va en ce sens : elle exige que l’organisation devienne un modèle en éradi‐ quant la discrimination fon‐ dée sur l’orientation sexuelle et le sexe au sein de l’APN. Panser les blessures L’autre grand chantier de l'APN concerne la réconcilia‐ tion qui doit prévaloir entre le comité exécutif de l'organisa‐ tion et la cheffe Archibald. Une directive qui émane de l’assemblée générale. Une opération délicate qui doit être menée avec doigté. Les blessures ne sont pas que po‐ litiques, elles sont également personnelles. C’est ce que croit le chef Ghislain Picard.
Je l’ai dit à mes collègues du comité exécutif, attention ici il y a aussi un défi qui va au-delà de la politique. Il y a des personnes qui ont été blessées personnellement dans cette affaire et tourner la page ne sera pas nécessaire‐ ment facile. Mais nous devons le faire.
D’autant que la défaite po‐ litique du comité exécutif, qui a suspendu rappelons-le la cheffe Archibald- a été cui‐ sante.
Je suis heureux qu’on ait le‐ vé la suspension de la cheffe Archibald. Reconnaître qu’elle a fait son devoir. Je ne sais pas ce qui va arriver avec le conseil exécutif dont la réso‐ lution pour que la suspension se poursuive a été rejetée à 90 % par les délégués. C’est un vote qui a montré que le co‐ mité a outrepassé les limites de son autorité en suspen‐ dant la cheffe nationale, sou‐ ligne Russ Diabo.
Le chef Picard voit aussi un aspect positif avec la fin de la suspension de la cheffe Ro‐ seAnne Archibald : la réinstal‐ lation de la cheffe met fin pour moi à la période de tran‐ sition. Une période de transi‐ tion qui dure depuis un an maintenant.
Une façon de dire pour le chef de l’APNQL que le vrai travail de réforme commence. Et le point de départ concerne bien sûr la gestion au sein de l’APN, un autre élément déco‐ lonisateur comme le croit Russ Diabo.
La mesure qui ordonne une enquête sur l’usage des fonds par l’organisation me semble très importante. Il s’agit une fois pour toutes d’en finir avec cette question, en particulier en ce qui concerne la précédente admi‐ nistration, les allocations de départ, ce genre de chose. On a besoin de faits, pas juste des rumeurs. (…). Au lieu de l’émo‐ tion, on veut des faits. Et la ré‐ solution peut aider en ce sens. Mais il reste beaucoup de travail à faire.
Quant à la cheffe Archi‐ bald, après sa victoire poli‐ tique incontestable, elle a maintenant les mains libres pour que s’accomplisse ce qu’elle qualifie elle-même de destin.
Je suis rendue là où je de‐ vais être. Là où mon parcours de 30 ans de militantisme de‐ vait me mener.