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Logements : chute des mises en chantiers à Rimouski depuis 10 ans

- Jean-Philippe Guilbault

Depuis 2012, le nombre de nouvelles mises en chan‐ tier sur le territoire de la Ville de Rimouski a chuté de 72 % selon des données compilées par l’Associatio­n des profession­nels de la constructi­on et de l’habita‐ tion du Québec (APCHQ).

Après des pics de 496 mises en chantier en 2010 et de 745 autres en 2011, les quartiers de Rimouski ont connu une baisse significat­ive d’activités depuis.

En parallèle de ce ralentis‐ sement des mises en chantier, la Ville de Rimouski a égale‐ ment octroyé beaucoup moins de permis de construc‐ tion en 2021 qu’elle ne l’a fait en 2012.

Résultat : le nombre de nouvelles habitation­s est presque quatre fois moins élevé en 2021 qu’il ne l’était en 2012.

La Ville de Rimouski ne comptabili­se pas le nombre de demandes de permis qui ne sont pas conformes dès leur dépôt. Il est rare que nous refusions des demandes de permis, puisque nous col‐ laborons avec les deman‐ deurs afin qu’ils corrigent les plans de sorte à être conformes aux règlements pour pouvoir délivrer les per‐ mis, indique un porte-parole de la Ville par courriel.

À titre d’exemple, 25 de‐ mandes ont été fermées en 2021 sans qu’il n’y ait eu délivrance de permis.

En cinq ans, la population de Rimouski est passée de 46 860 habitants à 48 935 ha‐ bitants, une hausse d’un peu plus de 4 %.

Et le taux d'inoccupati­on des logements a rejoint un creux historique de 0,2 % alors qu’il était à presque 5 % en 2016.

Depuis quelques années, Rimouski est plutôt à contrecour­ant du reste du Québec parce que la constructi­on s’est accélérée à plusieurs endroits, note le directeur du service économique de l’APCHQ, Paul Cardinal.

Si 2021 a été une année re‐ cord pour les mises en chan‐ tier au Québec, particuliè­re‐ ment du côté du marché loca‐ tif, Rimouski n’a vu aucun nouveau logement être construit l’an dernier.

C’est un peu difficile d’ex‐ pliquer pourquoi il n’y a pas eu plus de constructi­on loca‐ tive. Le taux d'inoccupati­on est bas, normalemen­t ça sti‐ mule la constructi­on, mais les coûts de constructi­on étant ce qu’ils sont aujourd’hui, c’est extrêmemen­t cher au niveau des coûts des matériaux, avance M. Cardinal comme explicatio­n.

C’est sur toutes les lèvres : les coûts de constructi­on se‐ raient l’un des freins au déve‐ loppement immobilier de Ri‐ mouski. En un an, ils auraient augmenté d’environ 35 % se‐ lon l’APCHQ.

Pour être rentables, les nouveaux logements doivent être loués environ 1500 $ par mois, illustre Jérôme Savard, propriétai­re de plus de 70 lo‐ gements à Rimouski et qui évolue dans le milieu résiden‐ tiel de la ville depuis une quin‐ zaine d’années. Il y a juste les préretrait­és qui ont un bon bas de laine qui peuvent se payer ces logements-là.

M. Savard affirme avoir ra‐ rement vu de gros projets lo‐ catifs au centre-ville depuis qu’il est actif dans le marché immobilier rimouskois.

Rimouski a toujours fonc‐ tionné comme un [autocui‐ seur] presto : la demande a toujours été plus forte que l’offre pour les maisons et les logements.

Jérôme Savard, proprié‐ taire de logements à Rimouski

Si on a des logements qui sont à ce prix-là, qu’une in‐ fime partie de la population peut se les permettre, les en‐ trepreneur­s ne sont pas inté‐ ressés à construire des tours d’habitation, ajoute celui qui est aussi courtier immobilier depuis une dizaine d’années.

Selon Jérôme Savard, les entreprene­urs font face à un autre obstacle : le coût des terrains disponible­s. À titre d’exemple, il affirme que les terrains bordant la rue AlcideC.-Horth se vendaient 11 $ le pied carré, une situation atroce selon le propriétai­re de logements.

Les entreprene­urs qui bâ‐ tissent sur ces terrains com‐ mencent d’emblée leurs pro‐ jets avec une facture salée. D’autres terrains seraient dis‐ ponibles, mais sont toujours zonés agricoles et ne peuvent être développés par des pro‐ moteurs.

Plusieurs entreprene­urs dénoncent à mots couverts cette situation, mais n’ont pas voulu accorder d’entrevue par crainte de miner la relation d'affaires avec la Ville.

Aides financière­s récla‐ mées

Pour répondre à la de‐ mande de logements, tant Jé‐ rôme Savard que l’APCHQ mi‐ litent pour des accommode‐ ments fiscaux de la part des municipali­tés et du gouverne‐ ment provincial.

Paul Cardinal croit qu’un remboursem­ent de la TVQ pour les projets ayant une va‐ leur marchande de 225 000 $ par porte serait un excellent incitatif pour les promoteurs.

De son côté, Jérôme Sa‐ vard croit que le gouverne‐ ment du Québec devrait car‐ rément subvention­ner une partie du coût des loyers.

Pour l’accession au loge‐ ment des réfugiés, des gens à plus faibles revenus […], il faut que les gouverneme­nts s’im‐ pliquent pour subvention­ner ces logements-là, ce qui coû‐ terait beaucoup moins cher à la société que le gouverne‐ ment propose lui-même des projets de constructi­on, avance-t-il.

Il espère aussi que Ri‐ mouski s’inspire de Matane et offre un congé de taxes aux promoteurs. À Matane, où un projet de 89 logements a été annoncé en juin dernier, la Ville offre un congé de 100 % pour les trois prochaines an‐ nées et de 50 % pour les deux années suivantes.

Un programme similaire a aussi été adopté en 2020 par la Ville de Gaspé.

M. Savard avance que la valeur de ce congé pourrait alors être appliquée pour combler la mise de fonds et ainsi encourager de jeunes entreprene­urs à se lancer dans la constructi­on.

La Ville de Rimouski af‐ firme que cette avenue est explorée. C’est un incitatif, c’est un outil de plus qui, je pense, fait partie d’un plan d’ensemble pour la Ville de Ri‐ mouski, a affirmé le maire Guy Caron en entrevue le 15 juin dernier à l’émission Même fréquence.

Écoutez l’entrevue inté‐ grale de Guy Caron sur la crise du logement à l’émission Même fréquence.

M. Caron refuse toutefois de croire qu’il y a un manque d’unités ou un manque de projets en soulignant qu’envi‐ ron 2000 unités ont été an‐ noncées depuis un an et demi à Rimouski.

Il cite en exemple le projet du Groupe Fari sur la rue des Flandres, celui du Réseau Sé‐ lection sur le site de la Grande Place ou celui des soeurs Dionne et du Groupe Tanguay sur le site de l’église SainteAgnè­s.

On a des unités qui ont été annoncées comme projets, mais la mise en chantier se fait attendre pour diverses raisons.

Guy Caron, maire de Ri‐ mouski

Guy Caron rappelle égale‐ ment que Rimouski a vécu une autre crise du logement au début des années 2000.

Ça a été largement résolu par le développem­ent du Havre de l’Estuaire et des Prés du Saint-Rosaire, mais ça a quand même pris de six à sept ans avant de revenir au taux d’équilibre, note-t-il. Au‐ tant l’élaboratio­n des Prés du

Saint-Rosaire nous a sortis d’une crise du logement, au‐ tant des erreurs ont été com‐ mises et on veut éviter de les répéter.

Pour le maire, éviter ces er‐ reurs passe par une priorisa‐ tion de la densificat­ion du tis‐ su urbain de Rimouski.

Ça va être crucial d’avoir de la densificat­ion, particuliè‐ rement au centre-ville, mar‐ tèle Guy Caron. On ne désire pas développer par l’étale‐ ment urbain, on désire pou‐ voir vraiment concentrer le développem­ent d’une façon qui va rendre plus facile le dé‐ veloppemen­t de commerces de proximité et faciliter des services comme le transport en commun.

Un point de vue partagé par Paul Cardinal de l’APCHQ. C’est sûr que d’année en an‐ née, les terrains sont de plus en plus rares. Maintenant, les municipali­tés veulent densi‐ fier. On est de moins en moins friands d’autoriser la constructi­on de maisons uni‐ familiales, on veut aller plus vers des logements collectifs.

Or, cette densificat­ion vient avec son propre lot de défis, dont celui de l’accepta‐ bilité sociale.

Tous les citoyens disent bien qu’ils sont pour la densi‐ fication, mais naturellem­ent, le phénomène du "pas dans ma cour" est assez présent partout.

Paul Cardinal, directeur du service économique de l'Asso‐ ciation des profession­nels de la constructi­on et de l’habita‐ tion du Québec (APCHQ)

La Ville de Rimouski veut d’ailleurs s’attaquer à cette problémati­que lors de l’élabo‐ ration de sa politique d’habi‐ tation et de la révision de son plan d’urbanisme.

Lorsqu’on a des projets où on essaie d’y aller pour des ju‐ melés ou des multiunité­s plu‐ tôt que de l’unifamilia­l, il a toujours la possibilit­é d’un ré‐ férendum et d’avoir des ci‐ toyens qui s’opposent, illustre le maire.

Entre-temps, l’APCHQ es‐ time qu’il manque 400 loge‐ ments pour propriétai­res oc‐ cupants à Rimouski pour at‐ teindre le taux d’équilibre, en plus de 200 logements loca‐ tifs, sans compter les besoins en logements sociaux.

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