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Pollution : des parents regrettent d’avoir eu des enfants à Rouyn-Noranda

- Thomas Gerbet

ROUYN-NORANDA – À la fête foraine de la Grande Place Edmund-Horne, qui a donné son nom à la fonde‐ rie, les parents ont autre chose à faire que de parler du sujet de l'heure, mais les préoccupat­ions de‐ meurent dans un coin de leur tête.

C'est sûr qu'on y pense, à l'impact sur notre santé, dit

Geneviève Morin, qui habite le quartier le plus exposé aux contaminan­ts. Quand on en‐ tend qu'on a 5 ans d'espé‐ rance de vie de moins, on se demande si on doit déména‐ ger.

Oui, il y a une inquiétude, confesse un père qui ne pré‐ fère pas être nommé, car il travaille pour un fournisseu­r de la Fonderie Horne. Je ne suis pas déçu que tout le monde se mobilise.

Pas d'arsenic dans notre pique-nique, indique la ban‐ derole déployée par le groupe Mères au front de Rouyn-No‐ randa. Mercredi, plusieurs pa‐ rents accompagné­s de leur enfants, ont sensibilis­é le mi‐ nistre de l'Environnem­ent Be‐ noit Charette à leur demande d'imposer des plafonds d'émissions sévères à l'usine qui émet 23 contaminan­ts dif‐ férents.

Par amour pour mes en‐ fants, je vais souhaiter qu’ils s'établissen­t ailleurs, si ça ne change pas.

Jennifer Ricard-Turcotte, mère de famille présente à la manifestat­ion du 13 juillet

À l’automne 2018, la santé publique régionale a mené un dépistage du plomb, du cad‐ mium et de l’arsenic chez les jeunes enfants du quartier Notre-Dame, adjacent à la fonderie. Les résultats in‐ diquent qu'ils sont en moyenne 3,7 fois plus expo‐ sés à l’arsenic, que dans la ville d'Amos. Les résultats vont jusqu'à 40 fois plus.

Ça va me rendre émotive, dit Valérie Fournier. Un de ses fils avait 13 fois plus d’arsenic dans les ongles et l'autre 7 fois plus. J’ai été tellement en colère, ajoute la maman originaire de la Gaspésie.

Je ne m’étais jamais ques‐ tionnée à savoir si c’est sécuri‐ taire d’aller vivre dans ce quar‐ tier-là. [...] Plus je lisais, plus la culpabilit­é se mettait à gran‐ dir.

Valérie Fournier, porte-pa‐ role du comité citoyen Arrêt des rejets et émissions toxiques de Rouyn-Noranda (ARET)

Valérie Fournier avait été rassurée, à son arrivée, par certains résidents du quartier Notre-Dame qui constataie­nt que l'air est plus agréable qu'avant et qu'on goûte moins la mine, en référence aux fortes émanations de souffre d'une époque révolue. Mais l'arsenic ne sent rien et ne goutte rien, rappelle-t-elle.

Si le ministère de l'Environ‐ nement n'impose pas le res‐ pect des normes à la compa‐ gnie Glencore, lors du renou‐ vellement de son attestatio­n d'assainisse­ment, en no‐ vembre, la mère de famille en‐ visage de quitter la ville.

« Oui, on se sent cou‐ pable. »

La co-porte-parole du re‐ groupement local Mères au front, Émilie Robert, a mis au monde un bébé de petit poids, 4,5 livres. Le risque que ça survienne est 25 % plus éle‐ vé à Rouyn-Noranda qu'ailleurs au Québec.

On ne pourra jamais sa‐ voir, on ne pourra jamais prouver le lien de cause à ef‐ fet, explique la biologiste, qui travaille au Centre technolo‐ gique des résidus industriel­s. Par contre c’est un facteur ag‐ gravant et je me suis exposé à ces contaminan­ts-là. Oui, il y a un sentiment de culpabilit­é.

Après la naissance de son enfant, elle a déménagé à 20 kilomètres de la ville et elle se demande encore si c'est as‐ sez loin.

Marianne Saucier aussi se sent coupable. La mère mo‐ noparental­e de deux enfants a acheté une résidence dans le quartier Notre-Dame, juste avant le dévoilemen­t des pre‐ miers résultats des études de biosurveil­lance, il y a quatre ans.

Toutes les données qu'on a là, on ne les avait pas au moment de l'achat maison, explique-t-elle. La maman s'en veut de ne pas avoir anticipé les risques, alors que la fonde‐ rie est à quelques centaines de mètres. Comment ça se fait que j'ai manqué le ba‐ teau?

Si j’avais su, je ne serais pas revenue

L’envie de partir est grande également pour Suzanne Boisvert, fonctionna­ire pour le Régime québécois d'assu‐ rance parentale (RQAP), dont le service clientèle principal est localisé à Rouyn-Noranda.

Née à Rouyn-Noranda, bébé de petit poids, tout comme ses trois frères, elle avait déménagé au Témisca‐ mingue. Mais une rupture l'a amenée à revenir s'établir ici avec ses filles.

Avoir su, on aurait été s’installer ailleurs, regrette-telle. Les résultats des tests de la santé publique ont démon‐ tré que la mère et ses filles avaient 3, 4 et 6 fois plus d'ar‐ senic dans leurs ongles que le groupe témoin.

De les mettre dans cet en‐ vironnemen­t-là, quand elles sont nées au Témiscamin­gue puis qu’elles auraient pu avoir une autre qualité de vie, oui, ça me fait regretter.

Suzanne Boisvert, mère de famille et fonctionna­ire au Ré‐ gime québécois d'assurance parentale

Lundi soir, au conseil mu‐ nicipal de Rouyn-Noranda, Véronique Aubin est venue raconter qu'un de ses enfants est le grand champion de la contaminat­ion à la suite de l'étude de l'arsenic dans les ongles.

Elle a élevé ses trois en‐ fants dans le quartier au sud de la fonderie. En 2008, en‐ ceinte, on m’a dit, tu vois, la ruelle, si elle est toute en roche, c’est parce qu’ils ont tout décontamin­é.

Il n’y a pas une job qui vaut plus que ces trois petits êtres humains là.

Véronique Aubin, mère de famille du quartier NotreDame

Miguel Charlebois, père de trois enfants, pense que les élus se montrent complai‐ sants avec la multinatio­nale. Ce n’est pas une culpabilit­é qu’on devrait porter nous, comme parents. La culpabili‐ té, c’est Glencore qui devrait l’avoir, c’est la fonderie qui de‐ vrait l’avoir.

D’autres familles comme moi vont quitter

Maude Letendre n'a pas attendu. Elle est partie vivre en Gaspésie avec sa famille, en 2020, après 12 ans à Rouyn-Noranda. C’était trop difficile, je ne voulais pas at‐ tendre que ça bouge, il fallait que moi je bouge, pour proté‐ ger à la fois mes enfants et ma santé mentale.

Selon elle, l'inaction des pouvoirs publics dans ce dos‐ sier, depuis des années, est un couvercle sur la marmite qui va faire que d’autres fa‐ milles comme moi vont quit‐ ter.

Je veux dire aux gens, ce n'est vraiment pas de votre faute. Il ne faut pas vous en vouloir si vous voulez partir.

Maude Letendre, mère de famille qui a quitté Rouyn-No‐ randa pour la Gaspésie

L'image de Rouyn-Noran‐ da risque-t-elle de pâtir de tout cet épisode? Rouyn-No‐ randa est encore une ville at‐ tractive, soutient la mairesse Diane Dallaire. À l'issue de ce dossier-là, nous serons un exemple pour l'ensemble du Québec.

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