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Les temps d’attente en santé ne violent pas la Charte, selon la Cour d’appel de la C.-B.

- Francis Plourde

Dans une décision una‐ nime de près de 150 pages rendue vendredi, les trois juges de la Cour d’appel de la Colombie-Britanniqu­e ont rejeté la demande de la clinique Cambie Surgery Centre, à Vancouver, qui cherchait à pouvoir factu‐ rer des services couverts par le régime public aux patients qui souhaitent se tourner vers le privé.

Alors que le ministre de la Santé de la Colombie-Britan‐ nique, Adrian Dix, se réjouit de cette décision, le proprié‐ taire de la clinique, le Dr. Brian Day, annonce qu’il portera la décision en appel devant la Cour suprême du Canada.

Dans leur demande, les plaignants alléguaien­t que les lois en matière de santé pu‐ blique en Colombie-Britan‐ nique étaient inconstitu­tion‐ nelles, car elles empêchaien­t des patients qui le voulaient de se tourner vers le privé en raison de délais d’attente dé‐ raisonnabl­es dans le système public.

Selon les plaignants, il s’agissait là d’une violation du droit à la sécurité selon l‘ar‐ ticle 7 de la Charte cana‐ dienne des droits et libertés. Dans leur appel, ils affirmaien­t que le juge en première ins‐ tance avait erré dans son ana‐ lyse, en concluant que ces vio‐ lations étaient justifiées en vertu de principes de justice fondamenta­ux.

Des conclusion­s laires

Dans leur décision, les juges ont confirmé l'essentiel de la décision du juge John Steeves.

Les juges Robert Bauman et David Harris concluent que certains délais portent at‐ teinte aux droits de patients à la vie et à la sécurité, mais qu’il s’agit là d’une situation raison‐ nable en vertu du principe de la justice fondamenta­le.

La juge Lauri Ann Fenlon, de son côté, estime plutôt que ces privations sont gros‐ sièrement exagérées, mais justifiées selon l’article 1 de la Charte.

Bien que le juge de pre‐ mière instance ait sous-esti‐ mé l’impact sur des milliers de patients n’ayant pas accès aux soins dont ils ont besoin dans des délais raisonnabl­es, écrit la juge Lauri Ann Fenlon dans une décision séparée, il faut se rappeler que tous les patients [...] ne pourraient pas

simi‐ accéder à des soins privés, même si une assurance privée était accessible.

Même sans assurance pri‐ vée, plusieurs pourraient et choisiraie­nt de payer des chi‐ rurgies comme pour les cata‐ ractes, le remplaceme­nt de hanches ou de genoux ou des tests diagnostiq­ues, ajoute-telle.

Ce sont ces Britanno-Co‐ lombiens avec des moyens ordinaires qui se voient refu‐ ser des traitement­s en appli‐ quant l’article 1 de la Charte. Les vrais riches traversero­nt simplement la frontière pour obtenir des soins privés déjà offerts aux États-Unis.

Lauri Ann Fenlon, juge à la cour d'appel de la ColombieBr­itannique

Selon elle, l’ouverture au privé ne mènerait pas à un meilleur accès à des soins à ceux qui sont trop pauvres pour souscrire à une assu‐ rance ou qui ont des pro‐ blèmes médicaux complexes, notamment les personnes âgées. Au contraire, l'annula‐ tion des dispositio­ns pourrait réduire l'accès et augmenter les temps d'attente dans le système public, écrit-elle.

Nous arrivons à la décision que nous rendons dans cette affaire, contraints par le dos‐ sier, et reconnaiss­ant que les dispositio­ns contestées sont maintenues au prix de diffi‐ cultés et de souffrance­s réelles pour de nombreuses personnes à qui le système public ne fournit pas les soins nécessaire­s en temps oppor‐ tun, conclut-elle.

L'argument tionnel

Le Medicare Protection Act de la Colombie-Britanniqu­e autorise les soins de santé pri‐ vés, mais il les encadre, inter‐ disant notamment aux méde‐ cins d'offrir des services à la fois dans le régime public et au privé, ainsi que d'exiger des frais supplément­aires des patients pour des soins cou‐ verts par le régime public. Elle interdit également la création de polices d'assurance cou‐ vrant les services offerts sous le régime public.

Le Dr Brian Day soutient qu'en raison des retards de traitement ces dispositio­ns contrevien­nent aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, de même qu'à l'égalité devant la loi et l'ab‐ sence de discrimina­tion ga‐ rantis par les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Or, selon le juge John Steeves :

bien que les dispositio­ns de la loi britanno-colom‐ bienne puissent avoir un im‐ pact sur les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garantis par la

constitu‐ charte, elles ne contre‐ viennent pas à l'article 7 parce qu'elles ne sont pas arbi‐ traires, que leur portée n'est pas excessive et qu'elles n'en‐ traînent pas de conséquenc­es totalement disproport­ion‐ nées; même si les dispositio­ns de la loi avaient contrevenu à l'article 7 de la Charte, les li‐ mites imposées aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne sont « raison‐ nables » et « sont évidem‐ ment justifiées dans une so‐ ciété libre et démocratiq­ue » en vertu de l'article 1 de la Charte.

Source : Décision du juge John Steeves (en anglais)

Pour un système paral‐ lèle en santé

Le Dr Brian Day, l’un des plaignants à l’origine de la cause et chirurgien orthopé‐ dique, se bat depuis plus de 10 ans pour pouvoir facturer des services déjà offerts par le système public aux patients qui désirent se tourner vers le privé.

Moins d’une heure après la publicatio­n de la décision, il annonçait déjà son intention de porter la décision en appel devant la Cour suprême du Canada.

Nous sommes déçus du résultat, mais il y a des élé‐ ments de la décision qui sont très favorables, a-t-il dit à Ra‐ dio-Canada.(Les juges) ont es‐ sentiellem­ent dit : oui, les droits des patients ont été violés.

Un soulagemen­t dans le domaine de la santé

Dans un communiqué, le syndicat des infirmiers et in‐ firmières de Colombie-Britan‐ nique décrit la décision comme une victoire pour tous les patients.

C'est à mon avis une excel‐ lente nouvelle, souligne pour sa part Damien Contandrio‐ poulos, professeur à l'école de sciences infirmière­s de l'Uni‐ versité de Victoria. Ça va maintenir les principes fonda‐ mentaux de notre système de santé, c'est-à-dire qu'on ne peut pas passer devant eux en payant plus. Et ça va main‐ tenir l'interdicti­on pour les médecins de travailler à la fois dans le public et dans le privé et d'essayer de maximiser leurs revenus.

Il ne fait aucun doute que notre système de santé pu‐ blique est actuelleme­nt fra‐ gile, et nous devons travailler ensemble pour le solidifier et l’améliorer, réagit quant à elle la Dr Melanie Bechard, prési‐ dente de Médecins canadiens pour un régime public. Elle souligne que des solutions existent, mais que le recours au privé n’en fait pas partie.

Ce n’est pas seulement

une question judiciaire, mais une question de soins et on a fait de véritables progrès, a déclaré Adrian Dix en confé‐ rence de presse. Depuis la pandémie, on a réduit la liste d’attente, on a ajouté des chi‐ rurgies, mis en place des pro‐ cessus et depuis deux ans on a ajouté 300 infirmière­s en salles d’opérations.

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