« Libérée, soulagée » : France Daigle lève le voile sur sa transidentité
Dans le cadre du festi‐ val Acadie Love à Caraquet, l’écrivaine phare en Aca‐ die, France Daigle, a abor‐ dé la question de la transi‐ dentité et la révélation fondamentale qu’elle a vé‐ cue il y a cinq ans dans sa vie personnelle.
C’est lors de la conférence Déconstruire le genre qu’elle présentait vendredi que France Daigle a partagé que bien qu’elle continue d’utiliser le pronom féminin, elle s’iden‐ tifie aussi comme un homme. L’identification est primaire pour moi, personnellement, précise-t-elle.
Ce fut toujours quelque chose que je savais quelque part, dit-elle. C’était un dessin qu’on dessine avec les points, un deux trois, puis, on finit par trouver le dessin. J’avais les points, mais les points étaient sans numéro.
Cela a pris 40 ans à France Daigle pour réussir à trouver son dessin.
C’est sûr que la dernière décennie était plus révélatrice que les autres, souligne-t-elle. Finalement, j’étais arrivé de‐ vant une sorte de mur, où je me disais bon eh bien, qu’est ce qu’il y a là, au fond ?
C’est à ce moment que France Daigle a décidé d’avoir recours à des services de psy‐ chologie pour mieux com‐ prendre ce qui se passait au fond d’elle. Il y avait une né‐ cessité absolue de mettre les numéros sur les points, illustre-t-elle.
Elle est tombée sur une psychanalyste qui l’a beau‐ coup aidé à cheminer dans sa démarche.
C’est cependant lors d’une rencontre scolaire avec des étudiants du nord du Nou‐ veau-Brunswick que France Daigle a eu une sorte d’épi‐ phanie, à la suite d’échanges avec des jeunes et des confé‐ renciers. Se rendant sur les lieux comme porte-parole, les rôles se sont inversés, pour un moment.
Arrivé là, j’ai presque com‐ pris plus de choses que j’en savais avant, raconte-t-elle. J’étais plus sur le choc que les autres.
D’une chose à l’autre, sa transidentité est devenue claire.
Agoraphobie, littéra‐ ture et transidentité
Dans ses oeuvres, l’autrice a souvent abordé la théma‐ tique de l’agoraphobie, un trouble dont elle souffre.
Avec du recul, elle réalise maintenant le lien direct entre sa crainte des lieux publics et la transidentité qu’elle n’avait pas encore identifiée en elle à l’époque de l’écriture de ses romans.
Comment je pouvais être bien dans le monde, à l’exté‐ rieur, quand moi je n’étais pas bien à l’intérieur ?, lance-t-elle. Je comprenais bien que je pouvais ne pas me sentir bien, mais je n’avais pas les éléments qu’il fallait pour des‐ siner le portrait […] C’était l’empêchement pour moi de comprendre ma vie, d’une certaine manière.
En pause d’écriture depuis un moment, France Daigle in‐ dique qu’il existe une corréla‐ tion entre l’éveil à sa transi‐ dentité et la façon dont elle a écrit ses romans.
C’était en fait des construc‐ tions de moi [ses romans], car je ne savais pas comment y arriver autrement, dit-elle. Quelque part, j’ai toujours eu l’impression d’écrire avec des restes. J’avais des morceaux […] mais je ne réussissais pas à faire le gros portrait.
Au festival Acadie Love cette semaine, France Daigle a présenté des oeuvres visuelles faites à partir de morceaux de bois pris d’un bâtiment qu’elle possédait.
Une démarche symbolique afin d’illustrer la reconstruc‐ tion du genre qu’elle a vécue.
Une révolution des genres
Maintenant âgé de 68 ans, le long chemin vers la quête de soi aura pris une quaran‐ taine d’années à France Daigle.
L’autrice affirme que sa transidentité n’a jamais été re‐ foulée, c’est plutôt qu’elle n’avait pas les clefs pour la comprendre.
Selon elle, les questions de transidentité dans l’espace public tournent souvent au‐ tour de l’homme devenant femme.
Je n’avais pas vraiment trouvé de réponse au sujet de la femme se sentant homme, explique-t-elle. J’avançais avec tout ça, mais pas comme ce jour-là, où j’ai rencontré des jeunes et des conférenciers.
France Daigle souligne que si elle avait eu cette révélation plus tôt dans sa vie, elle aurait possiblement considéré la chi‐ rurgie de confirmation de genre.
Sans passer sous le bistou‐ ri à son âge pour ne pas créer un stress physique à son corps, elle a maintenant l’es‐ prit libre face à sa transidenti‐ té.
Je suis heureuse et satis‐ faite de comprendre ce qui m’arrive, dit-elle. Libérée, sou‐ lagée, et je me sens plus nor‐ male dans la transidentité que je me suis sentie toute ma vie dans l’ordinarité des gens hommes—femmes.
Il reste néanmoins beau‐ coup à faire, dans la société, afin d’épargner des souf‐ frances à plusieurs personnes, avance France Daigle.
Je trouve que c’est très im‐ portant d’éduquer les jeunes à ça , dit-elle. Notre société est extrêmement genrée […] Dans les cinq à dix dernières années, tout cela a un peu ex‐ plosé. Il y a comme une révo‐ lution même des genres et tout est peut-être possible, et chacun peut un peu choisir, selon ses besoins.
France Daigle passe main‐ tenant le flambeau : l’éduca‐ tion doit porter sur l’être : comment tu te sens ? Sens-tu que tu es bien, toi, dans ton élément ? C’est surtout ça.
Avec les informations de l’émission de radio L'heure de Pointe - Acadie