Radio-Canada Info

Le cercle vicieux des vagues de COVID-19 à répétition

- Mélanie MelocheHol­ubowski

L’abandon de presque toutes les mesures sani‐ taires nous a poussés dans un cercle vicieux de vagues de COVID-19, mettent en garde des spécialist­es de la santé. En plus des impacts sur la santé de la popula‐ tion, chaque nouvelle vague a des conséquenc­es socio-économique­s impor‐ tantes.

Chaque nouvelle vague de COVID-19 a un impact sur notre système d'éducation et de santé, pousse des tra‐ vailleurs hors du marché du travail et perturbe la vie des gens. Comment est-ce une approche durable? Combien de vagues verrons-nous avant que les dirigeants agissent?, demande une pro‐ fesseure de l'University Col‐ lege de Londres.

Cette semaine, Christina Pagel, directrice de l'unité de recherche opérationn­elle cli‐ nique de l'University College de Londres, qui étudie di‐ verses méthodes analytique­s pour régler diverses problé‐ matiques en santé, a publié un texte expliquant comment et pourquoi le monde est en‐ tré dans un cercle vicieux de vagues de COVID-19.

Selon cette membre d’In‐ dependent SAGE, un groupe indépendan­t de chercheurs qui offrent des conseils scien‐ tifiques pour la gestion de la pandémie, il est de plus en plus clair que vivre avec la CO‐ VID-19 sans mesures de miti‐ gation ne fait que prolonger la pandémie.

Vivre avec le virus ne veut rien dire. Ça veut juste dire qu’on essaie de retourner à la normale en ignorant la situa‐ tion, a-t-elle affirmé en entre‐ vue avec Radio-Canada.

Elle comprend mal l’indiffé‐ rence actuelle des politicien­s et du public alors que la pan‐ démie continue de faire des ravages à tous les niveaux.

Ce n’est pas normal d’avoir une vague en été, d’avoir une troisième vague depuis six mois. Ce n’est pas normal qu’on annule des centaines de vols parce qu’on manque d'employés. Ce n’est pas nor‐ mal qu’on manque de profes‐ seurs dans les écoles parce qu’ils sont infectés; certains l’ont été deux, trois, voire quatre fois. Nous ne sommes pas retournés à la normale.

Les impacts d'un cercle vicieux de vagues

Selon Mme Pagel, l’aban‐ don de presque toutes les mesures sanitaires nous a poussés dans un cercle vi‐ cieux de vagues de COVID-19. Au-delà des impacts sur la santé de la population, chaque nouvelle vague a des conséquenc­es socio-écono‐ miques importante­s.

Dans le milieu scolaire, lorsqu'il y a une nouvelle vague d’infections, ce sont non seulement les enfants in‐ fectés qui manquent de nom‐ breux jours de classe, mais aussi les enseignant­s, infectés à répétition, qui doivent être remplacés.

Les enfants et les ensei‐ gnants infectés transmette­nt ensuite le virus dans leurs fa‐ milles, forçant les parents ma‐ lades à s’isoler et à manquer des jours de travail.

Plus les travailleu­rs manquent des journées de travail en raison d’une infec‐ tion ou d’une réinfectio­n, plus ils se sentent obligés de re‐ tourner travailler avant la fin de leur isolement ou même d'aller travailler alors qu'ils sont malades.

De plus, précise Mme Pa‐ gel, de nombreuses per‐ sonnes à faible revenu ou oc‐ cupant des emplois précaires ne peuvent pas se permettre de rester chez elles. Plusieurs personnes ne peuvent pas prendre deux ou trois se‐ maines de congé, ne peuvent pas se passer de ce revenu ou risquent d’être congédiées.

Ainsi, la transmissi­on com‐ munautaire se poursuit allè‐ grement et fait augmenter le nombre d’infections.

Mme Pagel rappelle qu’il ne faut pas ignorer le fait que des centaines de milliers de personnes ont des symp‐ tômes qui perdurent. Les ma‐ ladies de longue durée et les personnes handicapée­s [par cette maladie] augmentent à chaque vague et épuisent notre main-d'oeuvre.

Même la Banque d’Angle‐ terre a averti que la pandémie a des répercussi­ons sur la pé‐ nurie de main-d'oeuvre, sou‐ ligne-t-elle.

Puis il y a l'impact sur les systèmes de santé, qui ne réussissen­t plus à récupérer les dommages des vagues précédente­s. Il n’y a tout sim‐ plement pas de répit pour les travailleu­rs de la santé, ditelle.

Enfin, plus on permet au virus de se propager, plus il y a de risques de mutations, ce qui peut mener à l’apparition de nouveaux variants plus contagieux et plus virulents.

En 2022, les vagues ont été de plus en plus rapprochée­s et ont été plus grosses que les années précédente­s, rappelle Mme Pagel.

Et chaque nouveau variant amène un nouveau cycle d’in‐ fections et de conséquenc­es socio-économique­s.

Combien de fois allonsnous vivre ce cercle vicieux avant que les autorités agissent? se demande Mme Pagel.

Je ne comprends tout sim‐ plement pas pourquoi nous avons espoir que chaque vague sera la dernière, alors que ce n'est clairement pas le cas. Voulez-vous vraiment être infectés deux, trois, ou quatre fois par année?

Christina Pagel, University College de Londres

Des vagues successive­s, des conséquenc­es cumula‐ tives

Mme Pagel dit qu’il ne faut pas seulement se concentrer sur les impacts de la vague en cours; il ne faut pas non plus oublier que les conséquenc­es négatives s’accumulent et mettent tout le monde dans une situation de plus en plus précaire.

Les vaccins ont été fantas‐ tiques pour réduire les décès et les complicati­ons sévères, mais ils n’arrêtent pas cette infection de masse, ça n’arrête pas les perturbati­ons dans notre société et ça provoque une lente érosion de plusieurs services et institutio­ns.

Laisser de nouvelles vagues déferler l’une après l'autre fait en sorte que nos vies sont beaucoup moins prévisible­s, ajoute Mme Pagel. Je pense que les gens com‐ mencent à remarquer l'im‐ pact sur leur vie au quotidien.

Elle n’est pas la seule qui pense cela. C'est le cas du pro‐ fesseur Raymond Tellier, mi‐ crobiologi­ste médical au Centre universita­ire de santé McGill (CUSM) et professeur agrégé au Départemen­t de médecine de l'Université Mc‐ Gill.

Chaque fois qu’on a un nouveau variant, il y a des conséquenc­es négatives et il y a un effet cumulatif. On va su‐ bir les contrecoup­s de cette pandémie pendant très long‐ temps. Il y aura encore beau‐ coup de morts et de per‐ sonnes handicapée­s, craint M. Tellier.

André Veillette, immunolo‐ giste à l'Institut de recherches cliniques de Montréal, est lui aussi inquiet de voir des vagues à répétition. On va d’une vague à l’autre sans se rétablir de la vague d’avant. La société et les gens dont on dépend pour faire fonction‐ ner la société ne sont pas ré‐ tablis. On essaie d’aller trop vite et on se brûle.

Ce n’est pas juste un pro‐ blème sanitaire ou médical à ce point-ci. C’est devenu un problème de société et éco‐ nomique. La société n’est ni capable ni prête à retourner à pleine vitesse.

André Veillette, Institut de recherches cliniques de Mont‐ réal

Il faut recommence­r à prendre la pandémie au sé‐ rieux

Mme Pagel comprend mal comment, avant 2020, les au‐ torités n’avaient aucun pro‐ blème à dépenser des millions de dollars pour prévenir la

grippe et d'autres maladies in‐ fectieuses, mais qu’ils sont maintenant frileux d’adopter des mesures pour réduire la propagatio­n du SRAS-CoV-2.

Pourquoi avons-nous arrê‐ té de vouloir réduire la trans‐ mission de COVID-19? Si nous avions trois, quatre ou cinq saisons de grippe par an, nous aurions déjà agi.

Christina Pagel, University College de Londres

Pour sa part, M. Tellier croit qu’on a sous-estimé ce virus. Beaucoup s'attendaien­t à ce que ça soit comme en 2009 avec le H1N1, que ça soit terminé rapidement. Mais ce n’est pas ce qui se passe.

C’est pourquoi M. Tellier et Mme Pagel croient qu’il faut continuer de prendre la pan‐ démie au sérieux, malgré le ras-le-bol généralisé.

C’est la nature, et non les politicien­s, qui aura le dernier mot, affirme M. Tellier. On ne peut pas simplement dire : "ça ne me tente pas".

L’Organisati­on mondiale de la santé (OMS) a d’ailleurs lancé un nouvel avertisse‐ ment cette semaine : la pan‐ démie n’est pas finie.

Nous jouons avec le feu en laissant ce virus circuler à des niveaux aussi élevés, a récem‐ ment écrit sur Twitter Ma‐ ria Van Kerkhove, respon‐ sable technique de la COVID19 à l'OMS. Nous ne vivons pas encore avec la COVID-19 de manière responsabl­e. Nous n’y sommes même pas proches d’y arriver.

Elle a par ailleurs déploré le fait que des gens continuent de mourir inutilemen­t, que des millions de personnes soient infectées chaque se‐ maine et que de nombreuses personnes vivent avec des sé‐ quelles à long terme de la ma‐ ladie, la COVID longue.

Ce qui m'empêche de dor‐ mir la nuit, c'est de voir la complaisan­ce, écrit-elle.

Il est possible de briser ce cercle vicieux

Selon M. Tellier, si le monde a été aveuglé par le désir de revenir à un état pré‐ pandémique, il faudra peutêtre attendre encore quelques années avant un re‐ tour à la normale, sans me‐ sures sanitaires. On doit gar‐ der quelques précaution­s, croit-il.

Mme Pagel tient toutefois à rappeler que personne ne souhaite retourner aux confi‐ nements des premières vagues ou aux mesures extrê‐ mement sévères imposées à Shanghai.

Il y a cette idée que nous pouvons soit tout fermer et aller en confinemen­t, soit ne rien faire. Ce n’est pas du tout le cas.

Christina Pagel, University College de Londres

Si les vaccins sont un outil remarquabl­e pour réduire les risques de complicati­ons sé‐ vères de la maladie, André Veillette rappelle qu’il ne faut pas miser seulement sur cet outil.

Port du masque dans cer‐ taines situations (ex. : foules et transport en commun), améliorati­on de la ventilatio­n des bâtiments (écoles, hôpi‐ taux, centres commerciau­x, entreprise­s, etc.) et accès à de l’aide financière pour ceux qui doivent s’isoler sont trois me‐ sures essentiell­es pour tenter de briser ce cercle vicieux de vagues, disent ces experts.

Ces mesures n’élimineron­t pas entièremen­t la COVID-19, convient Mme Pagel. Mais toute réduction de la trans‐ mission aide à réduire la taille des nouvelles vagues et peut briser le cercle vicieux.

Elle ajoute qu’il faut que les gouverneme­nts arrêtent de rejeter toute la responsabi­lité sur les individus. Cette ap‐ proche est inefficace. Je ne peux pas, comme individu, al‐ ler changer la ventilatio­n à mon travail. Je peux gérer mon risque, mais je ne peux pas gérer ce que les gens au‐ tour de moi font…

Mme Pagel croit que plus il y aura de perturbati­ons socioécono­miques causées par des vagues répétitive­s, plus le pu‐ blic exigera des comptes des politicien­s. Peut-être qu'une fois que les gens auront été infectés une troisième ou une quatrième fois, ils demande‐ ront aux gouverneme­nts d’agir.

ça fait qu’à partir de là il faut faire confiance à l'administra‐ tion, affirme le conseiller mu‐ nicipal du district de Pointede-Lac, François Bélisle.

Dominic Thibeault se défend d’avoir caché de l’informatio­n

Le haut fonctionna­ire à la Ville de Trois-Rivières Dominic Thibeault affirme qu’il n’avait pas à informer les élus que des travaux étaient en cours puisque tout était conforme à la réglementa­tion. C’est une émission de permis simple‐ ment, les élus ne sont pas te‐ nus au courant de tous les permis qui sont délivrés sur le territoire quand c'est conforme, dit-il.

M. Thibeault n'a d’ailleurs pas été en mesure de dire à quel moment exactement le remblayage a eu lieu. Il in‐ dique qu’aucun inspecteur ou employé de la Ville ne s’est rendu sur place pour sur‐ veiller les travaux puisque ce n'était pas requis, selon lui.

Le directeur de l’aménage‐ ment et du développem­ent durable à la Ville explique que le débat était moins vif en août 2021 et nie avoir caché de l’informatio­n aux élus qui demandaien­t si des travaux avaient été effectués sur les terrains protégés jusqu’à pré‐ sent.

C'est vrai qu'il n'y a pas eu de travaux d'établissem­ent d'infrastruc­tures ou de pro‐ longement de rue parce que ce terrain-là était déjà desser‐ vi [par le réseau d'aqueduc et d’égouts], justifie-t-il avant d’admettre qu’il est possible que l’informatio­n ait été omise dans une discussion.

Questionné à savoir si le maire Jean Lamarche avait été informé de la situation, M. Thibeault répond : assuré‐ ment, sans toutefois être en mesure de préciser si c’était avant, pendant ou après le remblayage. Le maire Jean La‐ marche n’était pas disponible pour répondre à nos ques‐ tions.

La Ville évite la révoca‐ tion de son certificat

La destructio­n de cette partie de milieu humide per‐ met aujourd’hui à la Ville de conserver son certificat d’au‐ torisation environnem­ental obtenu en 2014, soit avant la refonte de la loi qui encadre la destructio­n des milieux hu‐ mides au Québec en 2018.

En janvier 2020, le minis‐ tère de l'Environnem­ent et de la Lutte aux changement­s cli‐ matiques a approuvé une de‐ mande de modificati­on du certificat.

En vertu de la nouvelle loi, la Ville devait toutefois effec‐ tuer des travaux dans les deux ans suivant la demande de modificati­on du certificat. En mars dernier, le ministère a demandé à voir les preuves de la réalisatio­n des travaux.

La preuve envoyée par Do‐ minic Thibeault, et dont Ra‐ dio-Canada a obtenu copie en vertu de la loi d’accès à l’infor‐ mation, est une carte aé‐ rienne non datée ainsi que le formulaire de permis de constructi­on non signé daté du 29 septembre 2021

.Des travaux sans per‐ mis, une pratique irrégu‐ lière

L’ancien greffier de la Ville de Trois-Rivières Gilles Poulin a été confronté à plusieurs re‐ prises à des travaux effectués sans permis au cours de sa carrière de plusieurs décen‐ nies.

Toutefois, il s’agit d’une pratique non conforme, irré‐ gulière et condamnabl­e selon lui. Il n'y a pas deux lois, il y a une seule loi qui est la même pour tout le monde et on ne tolère généraleme­nt pas que des travaux soient faits sans permis, s’indigne l’homme de loi.

Si [obtenir] un permis, c'est devenu un acte banal, n'importe qui va improviser des choses et la Ville s'auto‐ discrédite en ne faisant pas appliquer les règlements ou en les appliquant avec non‐ chalance ou peut être même avec favoritism­e, ajoute-t-il.

Gilles Poulin se questionne par ailleurs sur la rigueur du ministère qui se contente de documents imprécis et non si‐ gnés pour maintenir l’autori‐ sation de détruire l’environne‐ ment.

Le ministère de l'Environ‐ nement est là pour protéger l'environnem­ent et protéger un bien public commun et il doit, à mon avis, faire preuve de rigueur particuliè­rement dans des zones humides.

Gilles Poulin, ancien gref‐ fier à la Ville de Trois-Rivières

Il y a quelqu'un quelque part qui savait et qui n'a pas voulu dire

Le regroupeme­nt Terre précieuse, qui s'oppose au projet d’agrandisse­ment du Carrefour 40-55, estime qu’il s’agit d’un affront à la démo‐ cratie et s’offusque que ces travaux effectués à l’insu des élus permettent d’éviter la ré‐ vocation du certificat d’autori‐ sation environnem­ental.

Quand on a compris que ces travaux-là avaient été faits après le refus démocratiq­ue du conseil municipal en août 2021 et qu’un permis est ap‐ paru au mois de septembre, ça nous questionne sur la force de la démocratie à TroisRiviè­res, rapporte le porte-pa‐ role Philippe Duhamel.

Il a quelqu'un quelque part qui savait et qui n'a pas voulu dire, ajoute M. Duha‐ mel. On trouve ça troublant; vraiment il est temps qu'il y ait plus de transparen­ce sur l'ensemble de ces dossiers-là à la Ville de Trois-Rivières.

Terre précieuse s'inquiète du fait que la Ville ne soit pas en mesure de préciser la date des travaux parce que c’était son rôle de s’assurer du res‐ pect des conditions prévues par le certificat d'autorisati­on environnem­ental.

Pour détruire une partie de ce milieu-là, il y a des conditions très sévères, com‐ ment s'assure-t-on du respect de ces règles-là, se demande Philippe Duhamel.

Terre précieuse a espoir que les entreprise­s vertes qui ont à coeur l'environnem­ent vont refuser de s’implanter au Carrefour 40-55.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada