Vers un nouveau parti libéralconservateur au Canada?
Le Parti conservateur du Canada est à la croisée des chemins entre populisme et pragmatisme, écrit Ta‐ sha Kheiriddin, et la course à la direction qui mènera à l'élection d'un nouveau chef en septembre expose ces failles au grand jour.
Entre une randonnée dans les Rocheuses avec sa fille et une séance de dédicaces dans une librairie de Vancouver, Ta‐ sha Kheiriddin défend la pu‐ blication de son livre en plein coeur de la course à la direc‐ tion du Parti conservateur.
Elle assure rester objective et répète qu’il n’y a pas de conflit, même si elle assure la coprésidence de la campagne de Jean Charest.
Le livre avait pour objectif de donner des conseils au Parti conservateur à la suite de sa troisième défaite électo‐ rale de suite, l'automne der‐ nier, dit-elle. Ça n’a rien à voir avec la course.
Le livre devait être publié en anglais et en français en novembre 2022, mais sa sor‐ tie dans la langue de Shakes‐ peare a été devancée en rai‐ son de la course à la direction, dont l’issue aura un effet indé‐ niable sur l’avenir de cette for‐ mation politique.
Viser le retour au pou‐ voir
Dans The Right Path, l'au‐ trice explore les thèmes de la liberté, de l’élitisme, du popu‐ lisme et de la création d’occa‐ sions pour tous. Elle trace la voie à suivre qui, selon elle, permettra de porter le Parti conservateur de nouveau au pouvoir.
Le mot "liberté" a été terni par le convoi [de camion‐ neurs] et semble maintenant synonyme d’"anarchie". "Li‐ berté" n’est plus un mot qui unit mais qui divise. C’est de‐ venu l’illustration du "nous" contre "eux". Le peuple contre l’élite. Et c’est un problème majeur.
Extrait de The Right Path Pour Mme Kheiriddin, ces appels à la liberté font fi des responsabilités collectives au profit de l’individualisme à ou‐ trance. Ça n’a rien de modéré ou de conservateur comme discours, dit-elle. Elle estime que ceux qui alimentent cette façon de penser, comme Pierre Poilievre, jettent de l’huile sur le feu plutôt que d’essayer d’améliorer la situa‐ tion.
L’autrice constate que le Parti conservateur se déchire en deux camps. D'un côté, ce‐ lui qu’elle appelle les conser‐ vateurs du convoi, plus popu‐ liste et qui appuie Pierre Poi‐ lievre de l'autre, celui du club conservateur, qui représente l’establishment du parti, c'està-dire des gens d’affaires et des professionnels qui ont porté au pouvoir d'anciens premiers ministres du Canada comme Brian Mulroney et Stephen Harper ainsi que Mike Harris en Ontario.
Les inégalités comme vecteurs politiques
Tasha Kheiriddin estime que la frange populiste ex‐ pose de véritables problèmes d’inégalités économiques et sociales mais avec des solu‐ tions trop simplistes pour une situation complexe, notam‐ ment en véhiculant un mes‐
sage venimeux anti-élite.
Chaque parent rêve que son enfant qui joue au hockey devienne un joueur d’élite dans la LNH ou obtienne un prix d’excellence à l’école. L’ob‐ jectif ne devrait pas être d’éli‐ miner l’élite mais de donner une chance à tous d’atteindre ce niveau. Quand les parti‐ sans de Pierre Poilievre disent qu’ils détestent les élites, ce qu’ils veulent dire en fait, c’est qu’ils détestent les inégalités injustes qui les empêchent d’avancer.
Extrait de The Right Path Mme Kheiriddin essaie de réconcilier les populistes conservateurs du convoi et les pragmatiques du club conservateur pour qu’ils trouvent un point de ren‐ contre et forment une coali‐ tion des conservateurs du bon sens, un clin d'oeil au slo‐ gan de Mike Harris, la révolu‐ tion du bon sens, lorsqu'il avait pris le pouvoir en Onta‐ rio il y a plus de 25 ans.
C'est très facile pour un populiste de montrer du doigt, fait valoir la stratège en entrevue. Dire qu’on va se dé‐ barrasser des gatekeepers, c’est une réaction normale quand les élites ont perdu le contact avec la réalité. Mais ça ne règle pas le problème, qui est le manque de mobilité so‐ ciale.
Vers un nouveau parti? Peu importe qui remporte‐ ra la course à la chefferie, ditelle, ces deux factions du Parti conservateur devront trouver le moyen de travailler en‐ semble, sinon il pourrait y avoir un autre schisme au sein de la formation.
Vu le climat acerbe qui règne dans la course à la di‐ rection du Parti conservateur, il sera très difficile pour les partisans d’un des deux camps de vivre en harmonie avec l’autre camp. Un parti centriste va aliéner les popu‐ listes. Et vice-versa. Il y a une troisième possibilité : la re‐ création d’un parti libéralconservateur, comme celui qui a fondé le Canada.
Extrait de The Right Path Je ne fais pas la promotion [d’un nouveau parti], se dé‐ fend la stratège conservatrice, mais je souligne que c’est une possibilité, parce que ça s’est déjà produit dans le passé. Mais ce n’est pas ma solution préférée.
Les déchirements au sein du mouvement conservateur jouent en faveur des libéraux, avance Mme Kheiriddin, qui craint que la fondation d’un nouveau parti produise des gouvernements libéraux pen‐ dant la prochaine décennie, comme ce fut le cas au temps du Parti réformiste et de l’Al‐ liance canadienne.
Ma solution préférée, ré‐ sume-t-elle, c'est que le Parti conservateur réconcilie ses di‐ vers éléments et propose des solutions qui répondent aux demandes du populisme de façon à répondre à la frustra‐ tion réelle des gens.
Et si les conservateurs n’y arrivent pas? Oui, il y a un vrai danger que le parti actuel ne puisse pas devenir un véhi‐ cule qui pourrait remporter le pouvoir.