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Violences gynécologi­ques : des femmes se disent « prisonnièr­e de la table d’examen »

- Kim Vermette

Les violences gynécolo‐ giques et obstétrica­les sont difficiles à quantifier au Québec. Pourtant, elles existent et peuvent être lourdes de conséquenc­es pour celles qui les su‐ bissent. Alors que de plus en plus de voix s’élèvent pour les dénoncer, des gy‐ nécologues reconnaiss­ent qu’on doit s’y attarder.

Ce qui devait être un simple examen gynécolo‐ gique de routine a été lourd de conséquenc­es pour Laure Warda. Lorsqu’elle a inséré le spéculum, la médecin a été si brusque que la femme de 32 ans a lancé un cri de dou‐ leur.

Au moment de subir le test Pap, elle n’a pas osé lui dire qu’elle avait très mal. Je sais qu’un test Pap n’est pas agréable, mais là c’était pire. J’ai saigné, raconte-t-elle.

Elle m'a fait vraiment mal. C'est comme si je m'étais fait clouer à la table.

Laure Warda

Par la suite, Mme Warda a répondu à des questions concernant sa santé sexuelle. Elle a dit à la médecin avoir eu une dizaine de partenaire­s sexuels dans l’année.

Elle me regarde et elle me dit : ''En tout cas, tu es occu‐ pée''. Je me suis sentie comme une poubelle à ce moment-là, il n'y a pas d'autres mots, confie la jeune femme.

Au moment des faits, Laure Warda n’a pas su nom‐ mer ce qu’elle avait vécu. À l'époque, j'ai été sonnée. Je l'ai mis dans un tiroir de ma tête de toutes les expérience­s traumatisa­ntes qu'on vit et qu'on veut oublier. Je me di‐ sais ce n'est pas grave, ça ar‐ rive.

Elle sait aujourd’hui qu’il s’agissait de violence gynéco‐ logique. Il n’existe pas de défi‐ nition précise pour décrire ces

violences aux formes très di‐ verses. Ce sont souvent des gestes, des propos ou des pratiques qui peuvent avoir des conséquenc­es significa‐ tives sur les femmes.

C'est les paroles qui m'ont le plus blessée. Le jugement que j'ai vécu qui m'a mis très, très mal à l'aise.

Laure Warda

Laure n’a plus osé subir d’examen gynécologi­que pen‐ dant quatre ans, après ce qu’elle avait vécu. C'est un en‐ droit où on est supposées se sentir en sécurité en tant que femme. Vivre ce genre de commentair­e, ce n'est pas normal, déplore-t-elle.

Des gens qui ont peur de retourner chercher des soins, ça ne me surprend pas. J'en‐ tends souvent parler de ça, dit Lorraine Fontaine, direc‐ trice générale de Regroupe‐ ment Naissances Respectées.

Elle s’intéresse au phéno‐ mène depuis plus de 20 ans et sait que ces violences ont des conséquenc­es significat­ives sur les femmes.

Les personnes qui ont vé‐ cu de la violence gynécolo‐ gique, ça dure une vie. Même si ça n’arrive qu’une seule fois, dit-elle.

Il existe peu, pour ne pas dire aucune, donnée sur le su‐ jet, mais elle affirme avec cer‐ titude que c’est plus commun qu’on ne le pense.

Quelle est l'ampleur au Québec? On ne sait pas, on ne peut pas mesurer. On peut juste vous dire qu'on entend des centaines de témoi‐ gnages.

Lorraine Fontaine, direc‐ trice générale Regroupeme­nt naissances respectées

D’ailleurs, de nombreuses femmes ont témoigné par courriel avoir subi des vio‐ lences gynécologi­ques qui les ont marquées.

L’importance de l’éduca‐ tion

La Dre Marie-Josée Bédard est obstétrici­enne-gynéco‐ logue et professeur­e à la Fa‐ culté de médecine de l’Univer‐ sité de Montréal. Elle a été sensibilis­ée à la question il y a cinq ans.

Depuis, elle milite pour une meilleure éducation des profession­nels de la santé.

C’est en faisant de l’éduca‐ tion dans nos milieux que ça arrivera moins. Avec nos infir‐ mières, nos sages-femmes, nos médecins, tout le monde, explique la Dre Bédard.

Il ne faut plus accepter ce qui n’est pas acceptable.

Dre Marie-Josée Bédard, obstétrici­enne-gynécologu­e

Elle est d’avis que la culture est en train de chan‐ ger. Ce n’est qu’un début, je pense que ça va continuer comme ça, dit-elle.

Les femmes doivent dé‐ noncer

La Société des obstétri‐ ciens et gynécologu­es du Ca‐ nada (SOGC) reconnaît aussi l’existence des violences gyné‐ cologiques et obstétrica­les.

La directrice générale, la Dre Diane Francoeur, affirme que la position de l’organisme est très claire. On doit tout faire et tout mettre en oeuvre pour que ça cesse, dit-elle.

La cadence rapide et le ré‐ seau de la santé surchargé contribuen­t au problème, se‐ lon elle. Il peut être difficile d’obtenir un rendez-vous et le temps manque souvent une fois face au profession­nel de la santé.

Il faut à tout prix améliorer la communicat­ion entre les femmes et les profession­nels de la santé. Il faut encourager les femmes à parler, à nous dire leurs secrets. Parfois, on pose des questions, mais les femmes ne disent pas qu’elles ont eu des examens doulou‐ reux qui les ont traumatisé­es, explique la Dre Francoeur.

Il faut que les femmes n’aient pas peur de le dire. C’est trop important.

Dre Diane Francoeur, di‐ rectrice générale de la Société des obstétrici­ens et gynéco‐ logues du Canada (SOGC)

Le problème est partout, rappelle la Dre Francoeur. On le voit aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en

France, dit-elle.

En France, le sujet fait à nouveau les manchettes. Cette fois-ci, c’est la secrétaire d’État et gynécologu­e Chry‐ soula Zacharopou­lou qui se retrouve sur la sellette. Elle est visée par trois plaintes pour viols, commis pendant son activité gynécologi­que, en 2016. Une enquête est en cours.

Au Québec, le Collège des médecins n’affirme et n’in‐ firme aucune informatio­n en ce qui concerne de poten‐ tielles plaintes de cette nature envers des spécialist­es de la santé, mais réitère sa posi‐ tion. Le Collège réprouve toute forme de violence et d’abus envers les patientes et interviend­ra chaque fois qu’il le faudra.

À écouter aussi : Violences obstétrica­les : ces médecins qui décident pour les mères

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