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Qui succédera à Boris Johnson au Royaume-Uni?

- Ximena Sampson

On saura aujourd’hui quels seront les deux finalistes dans la course à la succes‐ sion de Boris Johnson. Le chef conservate­ur a démis‐ sionné le 7 juillet après le départ fracassant d’une cinquantai­ne de membres de son gouverneme­nt, dont plusieurs ministres et d'autres membres du Cabi‐ net, qui soutenaien­t ne plus lui faire confiance.

1. Qui sont les candi‐ dats?

Rishi Sunak, ex-ministre des Finances, 42 ans

M. Sunak a été l'un des tout premiers à se position‐ ner dans la course qu’il a luimême provoquée, explique Thibaud Harrois, maître de conférence­s en civilisati­on bri‐ tannique contempora­ine à l'Université Sorbonne Nou‐ velle à Paris. C'est lui qui a été un peu à la manoeuvre dans cette histoire parce qu’il était chancelier de l'Échiquier, un des postes les plus impor‐ tants aux finances. Et c'est suite à sa démission que s'est mis en route le processus qui a conduit au retrait de Boris Johnson.

Son départ, immédiate‐ ment suivi de celui du mi‐ nistre de la Santé Sajid Javid, a amorcé la vague qui a finale‐ ment emporté le premier mi‐ nistre.

Né à Southampto­n, sur la côte sud anglaise, de parents originaire­s de l’Inde, Rishi Su‐ nak a fait fortune dans la haute finance.

S’il est élu, ce serait la pre‐ mière fois qu’une personne d’origine indienne se retrouve à la tête du Royaume-Uni. Ce‐ pendant, souligne Thibaud Harrois, il y a déjà eu plusieurs ministres originaire­s du souscontin­ent indien, dont M. Ja‐ vid et l’ancienne ministre de l’Intérieur Priti Patel.

À part leur origine, ce sont des politicien­s sortis d’un moule on ne peut plus clas‐ sique, précise M. Harrois.

Rishi Sunak est un pur pro‐ duit d'Oxford, où il a fait le programme philosophi­e, poli‐ tique et économie, comme la plupart des premiers mi‐ nistres récents. Il a un profil conservate­ur traditionn­el. Après un MBA à l’Université Stanford, en Californie, il a été analyste pour Goldman Sachs et partenaire dans deux fonds spéculatif­s.

Ce n'est pas quelqu'un qui vient d'une classe populaire ou qui aurait une éducation différente.

Thibaud Harrois, maître de conférence­s à l'Université Sor‐ bonne Nouvelle à Paris.

Ce milieu assez élitiste pourrait jouer en sa défaveur dans la mesure où les conser‐ vateurs tentent d’élargir leur base électorale en allant no‐ tamment chercher des voix dans le nord de l'Angleterre, plus traditionn­ellement tra‐ vailliste, soutient M. Harrois. M. Sunak n'a pas ce profil-là, ajoute-t-il.

La réduction des impôts a été au coeur des échanges entre les candidats, note Brian Lewis, professeur au Dé‐ partement d’histoire de l’Uni‐ versité McGill. Sur cette ques‐ tion, M. Sunak est le plus réa‐ liste étant donné qu’il ne pro‐ pose pas de baisses d'impôts immédiates. Mais il est vulné‐ rable, car, en tant que chance‐ lier, il a augmenté les impôts à des niveaux jamais vus depuis les années 1940 pour faire face à la COVID-19. De plus, c'est un milliardai­re et pas vraiment un homme du peuple.

Liz Truss, ministre des Affaires étrangères, 46 ans

Au fil des ans, Mme Truss a occupé plusieurs postes mi‐ nistériels qui l’ont placée sous les projecteur­s. Elle est recon‐ nue pour son appui sans équivoque au libre-échange.

Elle est la candidate de la droite dure et du camp de Bo‐ ris Johnson, observe Brian Le‐ wis. Mais on se moque d’elle en disant que c’est un camé‐ léon, qu’elle manque de sub‐ stance et qu’elle possède de faibles compétence­s en ma‐ tière de débat.

Penny Mordaunt, secré‐ taire d'État au Commerce internatio­nal, 49 ans

Mme Mordaunt, qui était un des visages du Brexit, a dé‐ tenu des postes dans les gou‐ vernements de David Came‐ ron et de Theresa May.

C’est la moins connue des trois finalistes, mais elle est la moins entachée par les an‐ nées Johnson et s'est imposée comme la candidate de com‐ promis entre les lobbies antiSunak et anti-Truss, estime Bran Lewis.

Mme Mordaunt avait une bonne longueur d’avance la semaine dernière dans un sondage YouGov mené au‐ près d’électeurs conserva‐ teurs, mais elle a depuis été rattrapée par ses concurrent­s.

Même si les finalistes sont tous relativeme­nt jeunes (moins de 50 ans), aucun d’entre eux n'offre rien de nouveau ou de visionnair­e, souligne Brian Lewis. Ils tendent à se positionne­r comme des thatchérie­ns en‐ durcis, note-t-il.

Ils n'offrent aucune solu‐ tion au principal dilemme des conservate­urs, qui est de réussir à maintenir ensemble une coalition fragile compo‐ sée, d’une part, de conserva‐ teurs fortunés, partisans d’un faible taux d’imposition et d’un désengagem­ent de l’État, et, de l’autre, de Brexiters blancs appartenan­t à la classe ouvrière.

Brian Lewis, professeur au Départemen­t d’histoire de l’Université McGill.

Ils n’ont pas non plus de propositio­ns pour joindre les plus jeunes électeurs, qui se sont massivemen­t détournés des conservate­urs, ajoute M. Lewis.

2. Comment se déroule le choix du chef?

Ce sont les 358 députés conservate­urs qui choisissen­t les finalistes dans un scrutin à plusieurs tours qui a débuté le 13 juillet. À l’issue du dernier tour, mercredi, il ne restera plus que deux candidats.

Ce sera alors aux membres du parti (entre 160 000 et 200 000) de se prononcer dans le cadre d’un vote par correspond­ance au cours de l’été. Le résultat est attendu le 5 septembre.

La personne qui prendra la tête du Parti conservate­ur de‐ viendra automatiqu­ement premier ou première ministre du Royaume-Uni. En atten‐ dant, Boris Johnson reste en poste.

3. Quand auront lieu les prochaines élections légis‐ latives?

Comme au Canada, la dé‐ mission du chef du parti au pouvoir ne déclenche pas d’élections générales.

Les Britanniqu­es sont allés aux urnes pour la dernière fois en décembre 2019. Les conservate­urs, menés par Bo‐ ris Johnson, avaient alors rem‐ porté la majorité.

Les prochaines élections sont prévues en dé‐ cembre 2024. Mais un nou‐ veau chef pourrait décider de convoquer les électeurs aux urnes bien avant, croit Thi‐ baud Harrois.

On peut imaginer qu'un nouveau premier ministre conservate­ur cherche à profi‐ ter de la faiblesse de l'opposi‐ tion et déclenche des élec‐ tions avant que les tra‐ vaillistes n'arrivent à remon‐ ter dans les sondages et à s'organiser pour gagner, dit-il.

Cela lui permettrai­t de s’as‐ surer tout de suite cinq an‐ nées au pouvoir plutôt que de devoir attendre à l'échéance de 2024 sans sa‐ voir quelle serait la situation à ce moment-là et si les tra‐ vaillistes pourraient reprendre du poil de la bête.

De plus, soutient M. Har‐ rois, anticiper l'élection per‐ mettrait au nouveau premier ministre de gagner de la légiti‐ mité auprès de l’ensemble de l’électorat.

4. Qu’en pensent les électeurs?

Tous les Britanniqu­es n’ont pas voix au chapitre dans l’élection du chef conserva‐ teur, puisque seuls les membres du parti peuvent se prononcer. N’empêche, les at‐ tentes sont fortes, estime M. Harrois.

Boris Johnson est extrê‐ mement décrié et sa façon de gérer les crises a été très criti‐ quée, rappelle-t-il. Les scan‐ dales qui se sont accumulés sur sa personne, et pas seule‐ ment sur sa politique, ont re‐ mué les passions.

Les gens ont maintenant hâte de voir comment la per‐ sonne élue au poste de pre‐ mier ministre va gérer la situa‐ tion économique difficile que traverse le pays.

Cela inquiète les électeurs. Ils attendent de voir com‐ ment le nouveau gouverne‐ ment va pouvoir répondre à ces très fortes inquiétude­s et dans quelle direction on s'en‐ gage. Est-ce que ça sera plutôt libéral ou plutôt interventi­on‐ niste?

Thibaud Harrois, maître de conférence­s à l'Université Sor‐ bonne Nouvelle à Paris.

Cependant, Brian Lewis n’est pas tout à fait du même avis. Les Britanniqu­es, croit-il, ont d’autres chats à fouetter. La plupart des gens sont plus préoccupés par la crise du coût de la vie, les prix élevés de l'énergie et la chaleur étouffante, observe M. Lewis.

Surtout, estime-t-il, dans la mesure où la grande majorité d’entre eux n’ont pas voix au chapitre.

Le choix du prochain pre‐ mier ministre sera fait par les 160 000 membres du Parti conservate­ur, qui sont dispro‐ portionnel­lement des hommes blancs, riches, vieillissa­nts et originaire­s du sud-est de l'Angleterre.

Brian Lewis, professeur au Départemen­t d’histoire de l’Université McGill.

Plusieurs croient que c’est une drôle de façon d’élire un premier ministre, conclut-il.

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