Confessions de Luc Picard : la criminalité à hauteur de petit monsieur
Nous avons rencontré l’ac‐ teur-réalisateur qui pré‐ sente son cinquième film, inspiré d’une histoire vraie, en salle le 20 juillet.
Le tueur à gages… Quelle figure mythique pour le ciné‐ ma! Des plus grands films noirs au terrifiant Anton Chi‐ gurh (No Country for Old Men), beaucoup de cinéastes l’ont illustrée, le plus souvent en version silencieuse, en ani‐ mal doué d’un sang-froid re‐ marquable et d’une cruauté sans nom. Mais Luc Picard, lui, a eu accès à plus qu’au cliché. Car Gérald Gallant, sujet de ses Confessions, a bel et bien existé, auteur de 28 meurtres et de 12 tentatives entre 1978 et 2003, en particulier pen‐ dant la guerre des motards. Basé sur le livre des journa‐ listes Félix Séguin et Éric Thi‐ bault, Confessions offre au réalisateur l’occasion de plon‐ ger dans l’histoire criminelle québécoise récente (une rare‐ té) et à l’acteur un rôle en or (qu’il défend particulièrement bien) : celui d’un petit mon‐ sieur, presque insoupçon‐ nable, mais capable des pires horreurs.
J’ai rencontré pas mal de criminels durant ma prépara‐ tion et, la première chose qui frappe, c’est qu’ils vivent par‐ mi nous. On ne les voit pas, on les ignore, mais ils sont là, beaucoup plus ordinaires qu’on pourrait le croire
Luc Picard
Compléments: Confessions, avec Luc Pi‐ card dans la peau du tueur Gérald Gallant, sort mercredi
Les aveux du tueur Gérald Gallant aux policiers Gé‐ rald Gallant plaide cou‐ pable Confessions: l'histoire d'un tueur à gages prolifique
Nous avons rencontré Luc Picard.
En tant que réalisateur, qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter l’histoire de Gérald Gallant?
Luc Picard : En réalité, j’ai un intérêt pour cet univers depuis longtemps. Pas spécifi‐ quement pour l’histoire de Gallant, mais pour cette crimi‐ nalité québécoise qu’on ne voit pas souvent à l’écran, qui est plus miséreuse que celle qu’on voit d’habitude.
Ce ne sont pas des gang‐ sters spectaculaires ou flam‐ boyants. En fait, c’est aussi un film sur une forme de pauvre‐ té. On peut peut-être penser à Requiem pour un beau sans-coeur [de Robert Morin], mais il y a eu peu de films làdessus, et moi, ça m’a tou‐ jours attiré.
Je ne m’explique pas pour‐ quoi il y en a si peu; c’est une absence bizarre dans le pay‐ sage parce que quand on s’in‐ téresse à la criminalité, on en‐ lève le vernis de la civilisation et on atteint directement les êtres. On n’est jamais si loin de ces gens-là qu’on pense. C’est très facile d’y lire une mé‐ taphore de nous.
Dans votre premier film, L’audition, vous évoquiez déjà le monde criminel, mais par la bande, si on veut. Là, on a le sentiment que vous vous permettez d’y aller plus franchement.
L. P. : Oui. Bon, L’audition, c’était une création, alors que là, c’est basé sur de vrais per‐ sonnages, une histoire vécue. L’audition, aussi, était une fable, alors que là, on tombe presque dans un hyperréa‐ lisme, où on montre autant la violence que la désolation et le désespoir de ce monde-là. C’est sûr que j’évolue comme réalisateur; en tout cas, c’est ce qui est censé arriver, on de‐ vrait s’améliorer [rires], mais surtout, il y a eu une vraie rupture de genre avec mes films précédents.
Mes quatre premiers portent sur l’enfance, les pro‐ messes qu’on se fait, des films d’amour. Là, on change com‐ plètement, et c’est vrai, je ne
sais pas à quel point je me se‐ rais bien débrouillé avec ce genre-là si ça avait été mon premier film.
La musique de Daniel Bélanger compte vraiment beaucoup dans le film. Comment s’est passée votre collaboration?
L. P. : C’est notre deuxième collaboration – on avait déjà travaillé ensemble sur L’audi‐ tion. C’est bien sûr un grand talent, mais c’est aussi quel‐ qu’un de très gentil et de dis‐ ponible. Manifestement, dès le début, le film avait besoin d’un ton, d’une clé de lecture pour le public, et on s’est dit qu’il fallait que la musique in‐ dique qu’il était possible de rire, même noir! On est partis de ça et ensuite, au montage, j’ai mis des musiques qui ne fonctionnaient pas, qui étaient trop sombres, trop violentes, et lui m’amenait des musiques complètement champ gauche qui me désta‐ bilisaient, mais qui permet‐ taient une lecture du film gé‐ niale.
Il a fait lui aussi une mise en scène, si on veut.
Vous interprétez Gallant avec beaucoup de com‐ plexité, de nuances. Com‐ ment avez-vous trouvé la distance qu’il fallait pour ne pas l’héroïser, mais ne pas le rendre détestable non plus?
L. P. : C’était vraiment une composition. Le film est ce que les Américains appellent un character study, donc c’était un défi. Mais je m’y suis pris vraiment d’avance, bien avant la préproduction, même. J’ai eu accès à des heures d’interrogatoires de Gallant, je les regardais en es‐ sayant d’attraper mon bon‐ homme pour qu’il fasse partie de moi et que je le maîtrise pour qu’il puisse ensuite avoir sa vie propre. Je le traînais partout avec moi en essayant de le laisser vivre. Mais en‐ suite, c’est un équilibre déli‐ cat; j’avais tout le temps peur qu’il devienne soit trop sym‐ pathique, soit trop détes‐ table.
Un personnage antipa‐ thique peut accrocher le pu‐ blic s’il a de la superbe, s’il est spectaculaire. Dans ce cas-ci, Gérard n’a pas beaucoup de superbe [rires].
Mais dans la réalité, après avoir vu ses interrogatoires, on ne peut pas s’empêcher d’avoir un peu de sympathie pour lui. Il est émotif, il est po‐ li… même si finalement, ce n’est pas quelqu’un avec qui on veut nécessairement frayer! Je crois vraiment que, dans le film, on touche à quelque chose lorsque sa maîtresse regarde des por‐ traits-robots et dit : Il y a quelque chose qui manque. Je crois que c’est ça, Gallant : il y a beaucoup de choses dans cet être humain, mais il y a fondamentalement quelque chose qui manque.
Confessions, en salle le 20 juillet. La bande-an‐ nonce(source : YouTube)