L’argent seul n’améliorera pas les soins en CHSLD, prévient la commissaire à la santé
« Un niveau plus élevé de ressources financières n'est pas associé à une meilleure performance », révèle la commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay, dans un rapport qu'elle vient de publier sur l’évolution de la performance en CHSLD entre 2015-2016 et le début de la pandémie de COVID19, soit 2020-2021.
Ces informations inédites sur la performance en CHSLD sont tirées de l'étude de 71 in‐ dicateurs et de données four‐ nies par la Régie de l'assu‐ rance maladie du Québec (RAMQ) et par le ministère de la Santé et des Services so‐ ciaux (MSSS).
La commissaire et son équipe ont établi un cadre d'évaluation basé sur la valeur qui a mené au constat sui‐ vant : Il existe de grandes dis‐ parités dans la performance observée entre les différents territoires – certains réus‐ sissent à bien se positionner par rapport aux balises éta‐ blies, mais une grande majori‐ té n’y arrive pas.
Et ces disparités ont un im‐ pact sur les personnes qui coulent leurs derniers jours dans les centres d'héberge‐ ment et de soins de longue durée (CHSLD). En 2019-2020, il y en avait 58 000; plus de la moitié d'entre elles avaient 85 ans et plus.
Entre autres exemples, la commissaire s'est penchée sur :
l'arrimage aux besoins (prodiguer des soins et offrir des services appropriés); l'ac‐ cessibilité (offrir une place en CHSLD à l'endroit et au mo‐ ment opportun); la producti‐ vité (optimiser les soins en fonction des ressources); la qualité des soins et des ser‐ vices (offrir un milieu de vie de qualité).
Aucun établissement n'est ciblé : C'était vraiment pour tracer un portrait du Québec, puis pour savoir si ça variait beaucoup, explique Gene‐ viève Ste-Marie, responsable de la coordination scienti‐ fique au bureau de la com‐ missaire. C'est un état de fait, avec des données.
En consultant cet état de fait, on conclut qu'il vaut mieux être en CHSLD dans certaines régions plutôt que dans d'autres.
Notamment à l'heure des repas : selon les évaluations du ministère, seuls 36 % des CHSLD offrent des repas structurés. Cela signifie des heures de repas normalisées, un menu alternatif pour les usagers las des patates pilées ainsi qu'une vigilance et une assistance adéquate de la
part du personnel.
Dans cette catégorie – soins et services axés sur les personnes –, les CHSLD de ré‐ gions comme la Côte-Nord, les Laurentides ou bien Laval obtiennent la note passable. Dans l'Ouest-de-l'Île-de-Mont‐ réal, c'est faible.
Ce n'est qu'un exemple. De manière plus globale, seules 10 des 22 régions qui com‐ posent ce portrait réussissent quand même assez bien côté performance, dit Mme SteMarie, compte tenu de leurs ressources financières, hu‐ maines et matérielles. Les 12 autres régions sont reca‐ lées.
Dans le tableau ci-dessus, on constate par exemple que seule l'Estrie se distingue au chapitre de la sécurité ou en‐ core que deux secteurs de Montréal sont parmi ceux qui se démarquent pour les soins et services offerts aux usa‐ gers.
Le meilleur élève, c'est la Mauricie-et-Centre-du-Qué‐ bec. Dans trois des quatre [ca‐ tégories], ils font mieux que le niveau de ressources qu'ils ont, explique Mme Ste-Marie.
C'est un des grands constats de ce rapport : l'ar‐ gent n'est pas forcément gage de qualité.
Des ressources financières plus abondantes ne se tra‐ duisent pas par de meilleurs soins et services axés sur les personnes, écrit la commis‐ saire Castonguay.
En clair, pour accroître la qualité de vie des aînés en CHSLD, l'argent uniquement, ça ne changera rien, résume Geneviève Ste-Marie.
D'ailleurs, durant la pandé‐ mie de coronavirus, note la commissaire, Québec a re‐ haussé de manière considé‐ rable les ressources finan‐ cières en CHSLD, et ce, pour tous les établissements, indé‐ pendamment de la façon dont ils ont été touchés par la COVID-19.
Sauf que tout cet argent ne s’est pas traduit par un ac‐ croissement de la même am‐ pleur au regard des res‐ sources humaines, de la quali‐ té de vie au travail et de l’ac‐ cessibilité des soins et ser‐ vices.
Pour que ça s'améliore, il faut former des gens, il faut recruter des gens pour former des gens, insiste Geneviève Ste-Marie. Il faut adopter de bonnes pratiques. Il faut se mesurer pour savoir qu'on a les bonnes pratiques, qu'il faut réajuster.
Manque d'accessibilité généralisé
En juin dernier, 4160 per‐ sonnes au Québec étaient en attente d'une place en CHSLD, selon les plus ré‐ centes données du MSSS compilées par Radio-Canada. C'est une augmentation de 50 % par rapport au moment de l'arrivée au pouvoir de la Coalition avenir Québec (CAQ), en octobre 2018. Il y avait alors 2766 personnes en attente.
De fait, le rapport de la commissaire à la santé et au bien-être illustre le fait que l'accessibilité du réseau des CHSLD est un problème sys‐ témique au Québec. Seule‐ ment trois régions – avec le Saguenay–Lac-Saint-Jean en tête – affichent une accessibi‐ lité bonne ou excellente.
Les problèmes d’accessibi‐ lité ne sont pas surprenants [...], écrit la commissaire.
En effet, bien que les com‐ paraisons entre les provinces canadiennes doivent être faites avec prudence, on peut avancer que le Québec est la province ayant le moins de lits pour les soins de longue durée relativement à sa popu‐ lation, et ce, malgré des be‐ soins en soins de longue du‐ rée parmi les plus élevés au Canada.
Autre problème : le manque de continuité et de coordination du personnel soignant. La continuité, c'est la proportion du personnel qui travaille à plein temps.
En CHSLD, dit Geneviève
Ste-Marie, ce sont beaucoup des postes à temps partiel. Vous pouvez vous imaginer combien de gens différents un bénéficiaire voit par jour quand l'ensemble de son équipe soignante est à temps partiel.
En CHSLD, 44 % des heures travaillées par les infir‐ mières sont effectuées par des employés à temps plein; cette proportion est de 40 % chez les préposés aux bénéfi‐ ciaires.
Extrait du rapport intitulé La performance du système de soins et services aux aînés en CHSLD, publié par la com‐ missaire à la santé et au bienêtre du Québec
C'est quoi, un bon résul‐ tat en CHSLD?
Dans un rapport accablant publié il y a moins d'un an et portant sur la gouvernance des CHSLD, la commissaire Castonguay avait conclu que la crise survenue durant la première vague de COVID-19 était en partie due à une désorganisation généralisée et à une transmission dé‐ faillante de l'information.
Selon les données obte‐ nues par Radio-Canada, on a dénombré plus de 15 000 pertes de vie associées à la COVID-19 au Québec depuis le début de la pandémie. Plus de 40 % de ces décès ont eu lieu dans les CHSLD.
La commissaire à la santé et au bien-être recommande au gouvernement de François Legault d'instaurer un sys‐ tème d'information qui va mesurer la qualité de façon adéquate dans tous les CHSLD, rappelle Geneviève Ste-Marie.
Le problème, c'est que les données manquent.
C'est quoi, un bon résultat en CHSLD? demande Mme Ste-Marie. Il y a la quali‐ té de vie à améliorer, il y au‐ rait l'état de santé contrôlé, un décès avec des soins pallia‐ tifs appropriés... Toute une sé‐ rie d'éléments qui pourraient être de vrais résultats d'un bon système de CHSLD. Mais on n’a rien pour mesurer ça, on n'a aucune information sur ça. Donc on n'est pas ca‐ pables de savoir ça.
Certes, ce récent rapport sur la performance illustre les écarts entre la situation ac‐ tuelle et ce qui serait souhai‐ table. Mais il ne permet pas de comprendre ce qui ex‐ plique ces écarts.
La commissaire [Joanne Castonguay] veut vraiment alimenter le débat public, mettre des données de l'avant puis commencer la conversation. Mais si on le cache parce que ce n'est pas parfait, ça ne s'améliorera pas.
Geneviève Ste-Marie, coor‐ donnatrice scientifique au bu‐ reau de la commissaire à la santé et au bien-être du Qué‐ bec
Un pas positif
Je trouve que la commis‐ saire à la santé et au bienêtre, Mme Castonguay, a fait "une belle job", commente Me Paul Brunet, porte-parole du Conseil pour la protection des malades. Toutefois, M. Brunet est totalement en désaccord avec la commis‐ saire lorsqu'elle affirme qu'avant la pandémie, la per‐ formance des CHSLD était adéquate en ce qui a trait à l’intensité des soins et à la pertinence clinique.
Dans une action collective de 500 millions de dollars in‐ tentée en 2018 contre le gou‐ vernement du Québec, le Conseil pour la protection des malades allègue que des conditions de vie dégradantes règnent dans le réseau des CHSLD. On a une centaine d'allégués sur le fait qu'il manque de monde, il manque des services, il manque des soins, résume Me Brunet. La cause sera entendue en Cour supérieure.
Il n'en demeure pas moins que l'analyse menée par Joanne Castonguay dresse un très bon portrait de ce que le terrain vit [...], approuve Me Brunet. Cela confirme nos préoccupations et nos allé‐ gués [...].
Les données statistiques analysées par la commissaire ont une valeur, renchérit Me Patrick Martin-Ménard, du cabinet du même nom, qui a une expertise dans la défense des victimes du système de santé. C'est un pas positif.
Mais il faut en faire davan‐ tage : Il y a plusieurs éléments de la réalité des patients en CHSLD qui ne sont pas reflé‐ tés dans ce rapport-là et pour lesquels on doit se poser da‐ vantage de questions, pré‐ vient-il.
Entre autres problèmes criants, il cite la climatisation des chambres dans les CHSLD. Ça fait des années qu'on connaît le problème et rien ne semble changer. Y a-til réellement une volonté poli‐ tique de changer quoi que ce soit?
Qu'est-ce qui a été fait de‐ puis l'hécatombe de la pre‐ mière vague en CHSLD? Fon‐ damentalement, le système reste le même. La philosophie reste la même, l’approche qu’on a avec ces patients-là reste la même.
Me Patrick Martin-Ménard Pour Me Brunet, du Conseil pour la protection des malades, les faits saillants du rapport de la commissaire Castonguay sont l'introduc‐ tion d'un système de reddi‐ tion de comptes, avec un mandat clair et des exemples d'indicateurs de performance.
Maintenant, est-ce que ce‐ la va mener à un système de reddition de comptes? Je ne suis pas sûr.
Me Paul Brunet, porte-pa‐ role du Conseil pour la protec‐ tion des malades
Le travail de la commis‐ saire doit mener à des chan‐ gements concrets, conclut Me Martin-Ménard. On doit cesser de considérer les pa‐ tients de CHSLD comme des numéros.
Avec la collaboration de Mélanie Meloche-Holubowski et de Daniel Boily