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À Vancouver, la communauté lesbienne oscille entre visibilité et invisibili­té

- Audrey Simon

Vancouver a la réputation d’être une ville ac‐ cueillante et ouverte aux communauté­s LGBTQ2+. Pourtant, l'absence de lieux identifiés à la com‐ munauté lesbienne, comme des bars, donne l'impression que cette der‐ nière est invisible.

À son arrivée à Vancouver, en juillet 2021, Caroline Lebrec remarque immédiatem­ent une grande disparité au sein de la communauté LGBTQ2+, notamment en ce qui concerne les bars. C’est beau‐ coup plus gai, dit-elle.

Moi je me suis dit zut, la communauté est bien ou‐ verte ici, mais il n’y a pas de bar lesbien. Ça ne me gêne pas d’aller dans des bars où il n’y a pas seulement que des lesbiennes, mais c’est vrai que c’est autre chose d’aller dans un bar lesbien, confie la pro‐ fesseure de français à l’Univer‐ sité de la Colombie-Britan‐ nique.

Néanmoins, elle reconnaît que l’existence du village gai, dans le quartier West End, est très importante.

Commercial Drive, nid de la communauté les‐ bienne

Il n’existe plus de bars pour celles qui veulent ren‐ contrer leurs paires, mais le quartier Commercial Drive et l’est de la ville semblent en‐ core appartenir aux les‐ biennes vancouvéro­ises.

C’est là qu’a lieu, par exemple, la marche Dyke de Vancouver, une manifestat­ion féministe qui célèbre les expé‐ riences des personnes margi‐ nalisées à l’intérieur du mou‐ vement de la Fierté, selon El Cameron, qui participe à l’or‐ ganisation de la marche.

Depuis 2004, la marche dé‐ marre au parc McSpadden, dans l’est de la ville, puis elle se dirige vers Commercial Drive, jusqu’au parc Grand‐ view.

Notre vision : organiser un rassemblem­ent dans un souci de visibilité pendant les festi‐ vités annuelles de la Fierté.

El Cameron, membre du comité d'organisati­on de la marche Dyke de Vancouver

Avoir un espace consacré aux personnes lesbiennes est difficile, à Vancouver, nous n’avons pas de bars lesbiens qui ont pu rester ouverts et en place pour la communau‐ té, explique El Cameron.

Des événements comme la marche Dyke ou les nom‐ breuses soirées destinées aux personnes lesbiennes qui ont lieu dans l’est de la ville, comme Man Up, Babes on

Babes Vancouver ou encore Queers and Beers, per‐ mettent de créer ces espaces où la communauté et ses membres sont visibles et peuvent s'exprimer, soutient El Cameron.

Une (in)visibilité qui s'explique sociologiq­ue‐ ment

Selon El Chenier, qui en‐ seigne l’histoire à l’Université Simon Fraser, les lesbiennes gagnent moins bien leur vie que les hommes, du simple fait qu'elles sont des femmes.

C’est en partie pour cette raison qu’elles s’installent dans des quartiers où le coût de la vie est significat­ivement plus bas. À l’opposé, le quar‐ tier West End et la rue Davie ont une très forte présence d’hommes gais blancs, note El Chenier.

El Chenier dirige égale‐ ment les Archives des témoi‐ gnages oraux lesbiens à SFU.

Ces archives orales per‐ mettent d’en apprendre da‐ vantage sur leurs histoires. Par exemple, dans les an‐ nées 1970 et 1980, le quartier Commercial Drive accueillai­t entre autres de nombreux collectifs et cafés lesbiens.

Les histoires des femmes queers tendent cependant à être oubliées, selon l’universi‐ taire. En effet, ce sont les his‐ toires des hommes queers blancs qui prédominen­t.

De nos jours, beaucoup de femmes queers continuent de s’installer et socialiser dans Commercial Drive ou dans l’est de la ville, selon Nadine Boulay, assistante de re‐ cherche et candidate au doc‐ torat du départemen­t des Études de Genre, Sexualité et Féministes à l'Université Si‐ mon Fraser (SFU).

Julie Podmore, professeur­e de géographie à l’Université Concordia, à Montréal, avance le fait que les per‐ sonnes lesbiennes ont ten‐ dance à s’éparpiller et choisir des quartiers cosmopolit­es et dans la contre-culture.

Commercial Drive semble correspond­re à cette défini‐ tion, conclut-elle.

L’embourgeoi­sement, l’autre coupable

La plus jeune génération s’éparpille toutefois vers l’est du Grand Vancouver, comme dans le quartier Renfrew-Col‐ lingwood, ou les villes de Bur‐ naby et New Westminste­r, re‐ marque la professeur­e.

Elle explique notamment cette transition par la hausse des prix des logements, qui a des conséquenc­es sur les communauté­s de jeunes femmes queers.

Ce phénomène n'existe pas qu'à Vancouver, note Julie Podmore. À Montréal, le quar‐ tier lesbien qui s’est formé dans l’arrondisse­ment du Pla‐ teau-Mont-Royal, dans les an‐ nées 1980, s'est aussi déplacé à cause de l’embourgeoi­se‐ ment.

La gentrifica­tion et la "condoisati­on" des dernières années ont forcé le déplace‐ ment de la communauté les‐ bienne ainsi que des per‐ sonnes aux revenus mo‐ destes, analyse la profes‐ seure.

Même son de cloche dans le Mile-End, le quartier lesbien historique de la métropole québécoise, qui a récemment connu une hausse drama‐ tique des loyers et des valeurs des propriétés.

Outre les changement­s dé‐ mographiqu­es, le Vancouver Lesbian Collective, parfois ju‐ gé transphobe par ses paires, voit une raison linguistiq­ue à cette invisibili­té.

Selon le collectif, les les‐ biennes subissent des pres‐ sions [de groupes LGBTQ2+] pour utiliser le terme inclusif "queer", ce qui a pour effet d'effacer la communauté les‐ bienne.

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