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Incarnatio­n, l’exposition qui met le corps dans tous ses états

- Mathilde Gautier

L’exposition Incarnatio­n met en scène l’histoire des corps de quatre artistes vi‐ suelles de l’Ouest cana‐ dien : Yvette Cenerini, Su‐ san Aydan Abbott, Michèle Bygodt et Riisa Gundesen.

La directrice par intérim de la Maison des artistes et com‐ missaire de l’exposition, LouAnne Bourdeau, a choisi de montrer des oeuvres contem‐ poraines afin de « représente­r toute la diversité de l’art dans la francophon­ie canadienne ». Des installati­ons, des photo‐ graphies et des sculptures composent Incarnatio­n.

Au début, je pensais prendre des artistes qui tra‐ vaillaient sur la photograph­ie, mais ce n'est pas tant le mé‐ dium qui est devenu impor‐ tant que l'autoreprés­entation, explique Lou-Anne Bourdeau.

L’objectif est de raconter une histoire personnell­e par le truchement de la représen‐ tation du corps. Je trouvais qu'il y avait des parallèles vrai‐ ment intéressan­ts aussi avec des questions qui partaient d'expérience­s personnell­es, mais qui débouchaie­nt vers des questionne­ments univer‐ sels, rapporte la commissair­e de l’exposition.

Certaines oeuvres peuvent heurter la sensibilit­é de cer‐ tains visiteurs et un panneau a été installé à l'entrée de l’ex‐ position afin d’inviter le spec‐ tateur à se faire accompagne­r durant la visite.

Les oeuvres présentées né‐ cessitent en effet un déco‐ dage, car elles sont avant tout porteuses de sens et d’his‐ toire. Chacune des artistes a un message spécifique à transmettr­e à travers ces oeuvres très personnell­es et autobiogra­phiques autour de leurs propres corps.

Quatre artistes, quatre corps, quatre histoires

Susan Aydan Abbott té‐ moigne de ses traumatism­es vécus, comme le viol ou le sui‐ cide, à travers ses installa‐ tions.

Je partage mon paysage personnel avec cette oeuvre ainsi que mes propres trau‐ mas. Mon travail est moi et mon expérience. Ce travail est basé sur une expérience de viol il y a 35 ans. Depuis ce trauma, je suis dissociée. C'est donc très important pour moi, car c’est un moyen de re‐ venir à cette expérience, confie l’artiste.

La photograph­ie me repré‐ sente après une tentative de suicide après que ma fille est morte dans mes bras. [Les médecins] m'ont donné du charbon et ont pompé mon estomac. Ne sachant pas de quoi j'avais l'air, je suis sortie de l'hôpital pour demander une cigarette et j'ai reçu des regards très étranges. Puis j'ai vu mon reflet dans la vitre…, relate-t-elle.

Riisa Gundesen, pour sa part, réalise des autoportra­its en peinture à l'huile qu’elle dé‐ coupe suivant la forme qu’elle donne aux corps. Pour l’ar‐ tiste, il s’agit de recréer des pé‐ riodes d’agitation mentale dans l’environnem­ent intime de la maison, qui prend un rôle sinistre, rempli de désordre, de déchets jetés ou de nourriture en décomposi‐ tion.

Son objectif est d’interpel‐ ler le spectateur par des images dérangeant­es afin de le faire sentir vivant en res‐ sentant des émotions et des sensations dans son corps.

Michèle Bygodt, quant à elle, présente trois photogra‐ phies de son corps en noir et blanc, prises en 2017. Alors âgée de 24 ans, elle cherche à travailler sur une chronologi­e du corps à travers les âges. Comment est-ce que le corps de la femme évolue? À quelle période de la vie le corps change?, s'interroge l’artiste.

À travers son travail, elle cherche à montrer l’humanité qu’il y a en chacun de nous. J'aimerais simplement à tra‐ vers cela que les gens com‐ prennent qu’on est tous liés, on est tous pareils. Il n'y a pas de différence entre une per‐ sonne européenne, une per‐ sonne asiatique, une per‐ sonne américaine.

Yvette Cenerini, elle, parle d’un corps qu’elle ne peut plus bouger depuis 31 ans. Lors d’une formation en arts mé‐ diatiques en 2019, on lui a de‐ mandé de réaliser un objet animé. Elle a donc souhaité animer son corps, elle-même se trouvant en situation de handicap et dépendante de‐ puis 31 ans.

Elle a donc créé des figures animées à son effigie. C'est aussi pour voir comment les autres réagissent à ça. Si tu avais la liberté de bouger le corps de quelqu'un, de faire ce que tu veux, est-ce que tu le respectera­is? En prendraist­u soin? Lui ferais-tu du mal? C'est un peu jouer sur ça. C'est pouvoir donner l'occa‐ sion au public de prendre la responsabi­lité d'aider les uns et les autres.

Pour l'artiste, il s’agit sur‐ tout de transmettr­e un mes‐ sage de dépendance comme la vraie frustratio­n que je vis chaque jour de dépendre des autres et des machines pour tout ce que je fais. Sans des mécanismes qui fonctionne­nt pour m'aider, je ne pourrai pas survivre.

Pour l’artiste, il est impor‐ tant de montrer la réalité des corps parfois très éloignée de ce que l’on veut bien montrer sur les réseaux sociaux. Je suis honoré de faire une exposi‐ tion de groupe avec d'autres femmes artistes qui tra‐ vaillent sur la manière de communique­r les secrets de leur corps parce qu’on est tel‐ lement habitué, avec les mé‐ dias sociaux, de seulement montrer les choses amu‐ santes, plaisantes et belles de nos vies. Mais on montre ra‐ rement les vraies histoires.

C’est aussi un des objectifs de Lou-Anne Bourdeau.

Je crois que présenteme­nt, avec le climat politique, par exemple aux États-Unis, où le droit de l'avortement pourrait être révoqué, c'est vraiment important de réaliser ce que cela signifie qu’être maître de son corps, être maître de sa représenta­tion.

Lou-Anne Bourdeau, com‐ missaire de l'exposition Incar‐ nation.

Souvent quand on pense au corps féminin, c'est dans une idée de séduction, de beauté, tandis qu'ici, c'est des oeuvres qui sont peut-être parfois dérangeant­es. Ça ne cherche pas à être beau. Je pense que ça cherche avant tout à être vrai. Puis je pense que l'art est là justement pour aborder des sujets comme ceux-là qui sont difficiles, mais dont il faut parler, auxquels il faut réfléchir comme société.

La Maison des artistes vi‐ suels francophon­es présente l’exposition Incarnatio­n jus‐ qu’au 24 septembre.

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